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Serge Carreira, maître de conférences à Sciences Po Paris, analyse les résultats trimestriels des géants du secteur. Selon lui, ce sont les maisons qui affichent le plus de singularité qui sont en tête
Le luxe doit désormais se contenter de taux de croissance plus raisonnables, après des années de progression souvent à deux chiffres. Dans ce nouvel environnement, les résultats trimestriels des géants du secteur étaient donc attendus avec attention par les observateurs. Pour Luca Solca, analyste vedette chez Exane BNP Paribas, «le principal constat sur les trois premiers mois de l’année est que la demande globale de luxe – malgré les incertitudes conjoncturelles – n’est pas en train de décrocher».
Selon le spécialiste, la croissance s’avère tout à fait satisfaisante et, au total, au-dessus des attentes. Les actions, elles, après une phase de ralentissement, semblent retrouver des couleurs, espère l’expert. «Je commence à voir, petit à petit, un retour vers les valeurs du luxe, après environ six mois de sous-performance relative par rapport au marché européen.
Voilà pour l’avis financier. Pour Le Temps, Serge Carreira, maître de conférences à l’Institut d’études politiques (Sciences Po) à Paris, analyse les performances de ces grands groupes, dans une approche plus stratégique.
Le Temps: Que peut-on dire des chiffres au premier trimestre des différents acteurs du luxe, comme les français Kering, Hermès, LVMH ou encore le britannique Burberry?
Serge Carreira : Les premiers résultats de 2014 semblent confirmer la très bonne résistance du secteur dans un contexte économique international toujours incertain et difficile. LVMH affiche une croissance des ventes de 6%, dont 9% pour la division mode et maroquinerie. Hermès et Burberry connaissent une progression à deux chiffres, avec respectivement 14,7% et 19%. Avec une hausse de 6,3%, c’est l’activité luxe qui soutient Kering, ex-PPR, qui connaît à l’inverse des difficultés avec son pôle sport & lifestyle. Christian Dior Couture progresse quant à lui de 17% sur cette période.
– Y a-t-il des vainqueurs et, à l’inverse, des perdants, selon votre interprétation?
– Il semble que la «révolution» de Louis Vuitton porte ses fruits et que la maison renoue avec la croissance après un ralentissement en 2013. De son côté, Gucci poursuit sa transformation et sa progression est quasi nulle au premier trimestre. Mais le luxe a aussi cette capacité à prendre du temps pour faire les choses correctement. Kering est porté par la réussite fulgurante de Bottega Veneta et par les bonnes performances d’Yves Saint Laurent, version Hedi Slimane le nouveau créateur de la maison]. Les performances exceptionnelles d’Hermès sont en ligne avec sa croissance de 2013 (13%).
– Sont-ce des résultats de bon augure pour les trois autres trimestres?
– On observe que, malgré des performances moyennes en Europe, le secteur continue à être porté par une dynamique forte en Asie, et notamment en Chine, au Japon et aux Etats-Unis. La politique de lutte anti-corruption en Chine, qui avait servi de prétexte pour justifier les difficultés de certaines marques en 2013, ne semble pas avoir diminué l’envie de produits d’exception sur ce marché stratégique.
– Que signifient-ils pour le reste de l’année?
– Je dirais que le secteur peut être confiant à la vue de ces premiers résultats, mais qu’il doit rester prudent. Il y a un certain nombre d’incertitudes qui continuent à planer: politique monétaire pénalisant les comptes des entreprises européennes, crise ukrainienne, etc.
– Quels seront les principaux thèmes, dangers ou relais de croissance durant ces prochains mois?
– Les consommateurs mondiaux du luxe ont rappelé ces cinq dernières années leur profond attachement aux valeurs essentielles du secteur. Que ce soit la qualité, la créativité et l’exclusivité. Si certaines marques renouent avec leurs valeurs, d’autres se transforment en profondeur en faisant appel à de nouveaux créateurs, comme Raf Simons chez Christian Dior, Nicolas Ghesquière chez Louis Vuitton, Phoebe Philo chez Céline ou Hedi Slimane chez Yves Saint Laurent. C’est l’association de l’audace, de l’excellence et du talent qui permet à ces marques de répondre aux attentes des consommateurs, aussi bien sur les marchés traditionnels que sur les nouveaux territoires du luxe. Ce sont les maisons qui affichent le plus de singularité qui sont en tête.
– Sur l’ensemble de l’année, à quoi faut-il s’attendre au niveau des ventes agrégées de cette industrie?
– Globalement, le secteur du luxe connaît des performances remarquables, même si nous sommes davantage dans une période de consolidation que d’expansion. Sauf retournement brutal du marché, je pense que les ventes sur l’année devraient continuer à croître dans le même rythme qu’au premier trimestre qui vient de s’achever.
[LE TEMPS |