|
(Nick Hayek face à Marie-Antoinette, place de la Concorde)
C’est vrai : il est difficile de cracher sur la tombe de la reine décapitée, dont le corps a été jeté à la fosse commune, à l’emplacement de l’actuelle chapelle expiatoire de Paris. Sauf que faire de l’humour sur ce crime de la Révolution française est une insulte à l’histoire de France…
Pour qui a un tant soit peu de mémoire, les liens que Nicolas Hayek, le créateur du Swatch Group devenu le re-créateur de Breguet, avait noué avec la reine Marie-Antoinette, par-delà deux siècles d’histoire, tenaient à la fois de la fascination amoureuse et de la séduction personnelle. Ce n’est pas seulement par goût du défi mécanique ou par caprice marketing que Nicolas Hayek avait entrepris de reconstruire la montre « Marie-Antoinette » (disparue alors après un vol, mais retrouvée depuis dans de mystérieuses circonstances), mais par une sorte d’hommage filial, hautement respectueux, comme pour l’offrir spectaculairement à cette reine-martyre qui était montée sur l’échafaud sans jamais avoir vu cette montre Breguet qui lui avait offerte par amour.
On se demande ce qu’aurait pensé Nicolas Hayek de la bâche publicitaire que le Swatch Group comptait apposer, place de la Concorde, à quelques mètres des pavés imbibés du sang de la reine, sur la façade de l’Automobile Club dont il s’agissait de masquer la façade en travaux. Une bâche sanglante, porteuse d’une maxime publicitaire qui sonne comme un blasphème contre la mémoire d’une reine innocente assassinée : « Marie-Antoinette en aurait perdu la tête »…
L’indignité est totale. En haut de la page, la bâche publicitaire telle qu’on la découvre aujourd’hui (les Parisiens ont pris l’habitude de cet arraisonnement publicitaire d’un paysage urbain qui leur est ainsi régulièrement confisqué). Ci-dessus, la bâche publicitaire telle qu’elle avait été initialement conçue, place de la Concorde, par l’agence parisienne Squid Networks – dont les professionnels un tant soit peu portés sur la décence auront à cœur de mémoriser le nom pour l’avenir.
Sur le plan de la communication, en dehors de tout jugement éthique, le texte prévu était particulièrement abscons pour promouvoir une Swatch Scuba Libre. L’effet publicitaire était manifestement nul : on ne peut donc y voir qu’une provocation stupide et mal venue, qui sonne comme une profanation délibérée en se déployant sur cette place de la Concorde encore fleurie de bouquets parisiens tous les 16 octobre, en souvenir du crime contre toutes les femmes perpétrée ici, sous le couteau de la guillotine révolutionnaire, en 1793…
Heureusement que le directeur régional des Affaires culturelles (DRAC, organisme d’Etat) a pu percevoir à temps la charge blasphématoire de ce slogan : il a donc fait interdire la pose de cette bâche, transformée depuis avec le seul logo de la marque – ce qui est encore plus nul en termes de communication !
Jamais le fondateur du Swatch Group n’aurait admis une telle incongruité de la part d’une de ses marques, surtout à propos de Marie-Antoinette. Imagine-t-on une mauvaise blague sur le cancer de Napoléon en face des Invalides ou un jeu de mots maladroit sur l’AVC mortel du général de Gaulle à Colombey-les-deux-Eglises ? Imagine-t-on un vaseux clin d’œil marketing sur les Poilus face à l’ossuaire de Douaumont ? Ou une bâche publicitaire tout aussi déplacée à l’entrée des grands cimetières du débarquement de Normandie ?
Toute marque horlogère a des responsabilités éthiques qu’elle doit assumer – y compris Swatch, même si l’impertinence est un des marqueurs génétiques de l’esprit maison. Un minimum de décence s’impose avant de piétiner n’importe quel souvenir historique et de moquer n’importe quel maillon de l’identité nationale : on ne joue pas impunément avec la mémoire d’un peuple, surtout quand on appartient à un groupe qui porte une partie de l’honneur des horlogers suisses. Comment oublier que les ancêtres de ces horlogers ont défendu jusqu’à leur mort, sur les marches des Tuileries, en août 1792, la reine Marie-Antoinette et le roi Louis XVI. Cracher ainsi sur la reine, c’est cracher aussi sur la mémoire et sur la tombe de ces 600 Gardes suisses, massacrés pour honorer leur drapeau où se lisait « Honneur & Fidélité ».
Il faudrait signaler à Nick Hayek que Lucerne n’est pas seulement la ville suisse où on vend le plus de montres, mais aussi la ville qui honore ces Gardes suisses par un émouvante sculpture, le « Lion de Lucerne », érigée à leur mémoire peu après la Révolution française (ci-dessous)…
À présent, si des têtes doivent tomber, c’est bien à la direction française de Swatch et du Swatch Group, lequel doit des excuses publiques aux Parisiens et au peuple français…
genevoisrienvenir.blog.tdg.ch |