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Il n’existe dans le monde qu’une trentaine de ces pierres, selon le Gemological Institute of America. La mise à l’encan s’adresse à un petit cercle d’initiés, de connaisseurs.
Le syllogisme est des plus connus: tout ce qui est rare est cher. Dans cette famille de l’exclusivité, les diamants rouges tiennent pleinement leur rang. L’événement est donc de taille, vu que le groupe minier anglo-australien Rio Tinto a annoncé cette semaine mettre en vente quatre diamants rouges extraits de sa mine d’Argyle, en Australie. Ces pierres comptent parmi les diamants colorés les plus rares, puisque seulement une trentaine d’entre eux est recensée à travers le monde, selon le Gemological Institute of America (GIA). Certains experts estiment même que seuls cinq d’entre eux méritent réellement le qualificatif de rouge. Soit le Saint-Graal de la gemmologie.
Pièce maîtresse de la vente de Rio Tinto, l’«Argyle Cardinal» de 1,21 carat, qui tient son nom d’un passereau d’Amérique du Nord. Les diamants rouges se vendent généralement entre 1 et 2 millions de dollars par carat. Mais pour les plus beaux ou purs d’entre eux, le prix peut atteindre entre 2 et 5 millions le carat. Le «Moussaieff Red Diamond», 5,11 carats, découvert au Brésil et propriété du bijoutier Moussaieff Jewellers, serait estimé à près de 20 millions de dollars, selon certains experts. Pour un diamant rouge, plus sa couleur est profonde, sans la moindre nuance, plus cher il coûtera.
«Ce sont des pièces très prisées des collectionneurs. Elles sont généralement vendues à des personnes qui possèdent déjà des diamants d’autres couleurs, comme le jaune, l’orange, le bleu ou le gris», commente Eric Valdieu, un ancien de Christie’s devenu négociant et consultant en joaillerie. Rareté rime ici avec exclusivité: les acheteurs potentiels ne sont pas légion. «C’est une niche dans un marché lui-même de niche», selon l’expert. Ces pierres ne sont de plus pas toujours destinées à être montées sur un bijou. Si elles le sont, l’optique d’en faire aussi un investissement financier n’est jamais très éloignée, complète Rahul Kadakian, directeur international du département des bijoux chez Christie’s à New York.
La majorité des diamants rouges actuels ne pèse que rarement plus d’un demi-carat. Plus de 90% d’entre eux proviennent de la mine d’Argyle, dont les réserves sont supposées s’épuiser avant 2020. Selon Robert Kane, du laboratoire GIA, les diamants rouge intense sont extrêmement rares, particulièrement ceux ayant des reflets violets. L’an dernier, l’«Argyle Phoenix», diamant rouge de 1,56 carat, a été acquis pour 2 millions de dollars par un joaillier de Singapour lors d’une vente aux enchères. Autre exemple, une pierre de 2,26 carats s’est vendue chez Christie’s à Genève en novembre 2007 pour la somme de 2,67 millions de dollars.
«La couleur rouge de ces pierres provient d’un mélange naturel inédit de brun et de rose. En quelque sorte c’est une anomalie de la nature», précise Eric Valdieu. Les diamants peuvent prendre pratiquement n’importe quelle couleur quand bien même leur formation est similaire. Il s’agit de la cristallisation de molécules de carbone sous haute pression. Lorsque des atomes spécifiques sont pris au piège dans la structure cristalline au cours de l’opération, le diamant qui en résulte se colore. Le bore donne du bleu, l’azote du jaune et l’hydrogène du rose et du rouge. Ce dernier contiendrait aussi d’infimes quantités d’azote, selon Rahul Kadakia. Le diamant noir, lui, est composé de pur carbone graphite. Sur 10 000 diamants trouvés, seul un est de couleur. Ainsi, la valeur des gemmes roses, rouges et bleues est en moyenne 50 fois supérieure à celle des diamants blancs.
Les pierres rouges de Rio Tinto seront présentées aux potentiels acquéreurs à Sydney, New York, Hongkong et Perth. Les enchères se termineront le 8 octobre. «Il s’agit de ventes silencieuses», explique Eric Valdieu. Les acheteurs font des offres par écrit, dans une enveloppe scellée, et le plus généreux l’emporte. Ni le nom de l’acheteur ni le prix ne sont toutefois rendus publics. La pierre doit être payée dans les quatre jours. Dans le cadre de cette vente, la trentième du genre, le groupe minier proposera aussi 51 diamants roses et pourpres, dont l’«Argyle Rosette» (2,17 carats) et l’«Argyle Toki» (1,59 carat).
«Les affaires se font vraiment en Australie, au Japon, aux Etats-Unis et en Europe», a expliqué à l’AFP Josephine Johnson, responsable de la division Argyle Pink Diamonds chez Rio Tinto. «Néanmoins ces trois ou quatre dernières années, nous avons vu l’émergence de l’Inde et de la Chine», souligne-t-elle. Selon Eric Valdieu, les principaux intéressés par ces pierres viendront sûrement d’Asie. La demande asiatique pour la joaillerie bouillonne. Raison pour laquelle Sotheby’s va vendre aux enchères le 7 octobre à Hongkong un diamant rose de 8,41 carats. Il est estimé entre 12,8 et 15,4 millions de dollars. L’an dernier, la même maison, dans la même ville, avait battu un record avec un diamant blanc de 118,28 carats, parti pour 30,6 millions.
Et les perspectives s’annoncent brillantes, forcément. «Nous prévoyons que la demande va croître d’environ 6% durant la décennie», a déclaré récemment au Wall Street Journal Alan Davies, chef de l’unité diamant chez Rio Tinto, troisième plus grand producteur au monde. La preuve? Ce printemps, un diamant jaune exceptionnel de 100,09 carats, appelé «Graff Vivid Yellow», a été vendu aux enchères à Genève pour 14,5 millions de francs. Il s’agissait d’un montant record pour une pierre de cette couleur. Les experts s’attendent à d’autres records cette année encore.
Bastien Buss
LE TEMPS |