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Apple pourrait dévoiler son iWatch dès mardi. Cette semaine, le responsable du design d'Apple, Jonathan Ive, s'est vanté auprès d'un journaliste du New York Times de l'avance technologique de cet objet connecté, dont l'arrivée pourrait mettre l'industrie horlogère helvétique en "difficulté". Jony Ives aurait d'ailleurs utilisé un terme bien plus grossier, que le journal n'a pas souhaité publier.
"L'Hebdo" avait rencontré Nick Hayek une semaine plus tôt. Le CEO de Swatch Group est sûr de lui: la révolution des montres et bracelets connectés est une opportunité, pas une menace.
Monsieur Hayek, est-ce que vous dormez bien la nuit?
Très bien!
Avez-vous essayé un de ces bracelets d’activité connecté?
Oui, mais pas la nuit. Je n’aime pas porter un objet au poignet quand je dors. Cela ne m’intéresse pas vraiment, j’ai un très bon sommeil. Le vôtre, c’est quel modèle?
C’est un Fitbit.
Vous devez le recharger?
Oui, il tient une petite semaine.
Vous connaissez le Vivofit, de Garmin?
Je ne l’ai pas essayé.
Il tient plus d’une année sans être rechargé.
La «NZZ am Sonntag» dit que Garmin sous-traite la fabrication de la batterie et certains capteurs du Vivofit à Swatch Group. Est-ce vrai?
Je n’ai malheureusement pas le droit de le dire, mais la NZZ am Sonntag est habituellement une source sérieuse.
L’industrie horlogère est-elle aujourd’hui à l’aube d’une nouvelle révolution technologique?
La révolution technologique fait partie de l’ADN de notre industrie. C’est un processus continuel. L’industrie horlogère suisse est dans une position très avantageuse aujourd’hui. Nous sommes les champions de la miniaturisation, qu’il s’agisse de mécanique ou d’électronique. Sans oublier les innovations dans le monde des matériaux. Notre produit se porte sur la peau, et nous devons donc remplir des normes très strictes. Cela passe par la production d’acier sans nickel, de nouveaux plastiques qui ne réagissent pas aux crèmes hydratantes ou solaires. Tout cela doit être maîtrisé. C’est une des excellences de l’industrie horlogère suisse
Qu’en est-il chez Swatch?
Swatch Group est à la pointe de l’innovation, que ce soit dans les matériaux, le silicium, les composants totalement antimagnétiques ou encore des poudres céramiques. C’est le cas également pour les écrans tactiles, les batteries et les senseurs gyroscopiques à basse consommation. C’est peut-être une des raisons pour lesquelles beaucoup de géants de l’électronique viennent nous voir. Les analystes boursiers nous ont souvent demandé pourquoi nous voulions garder des sociétés comme EM Microeletronic-Marin, Renata ou Micro Crystal, qui rapportent moins en termes de bénéfice que nos marques horlogères. Vous avez aujourd’hui la réponse. Les puces, les capteurs, les écrans tactiles et non tactiles, les batteries et toutes les technologies à basse consommation sont nécessaires pour faire un produit porté au poignet. Qu’il soit smart ou pas smart.
Ces nouveaux produits pourraient menacer les ventes de montres traditionnelles.
Si le fait d’indiquer l’heure était le seul intérêt des montres, l’industrie horlogère n’existerait plus depuis longtemps. Je me souviens qu’à l’époque des premiers téléphones portables, les journalistes venaient nous voir pour demander si nous allions encore pouvoir vendre des montres, puisque ces appareils indiquaient l’heure de manière plus précise. Le marché de l’horlogerie n’a fait que croître depuis lors, surtout dans la montre mécanique! L’apparition de nouveaux produits est une occasion fantastique de toucher les millions de personnes qui ne portent pas de montre, et de les habituer à le faire. L’arrivée de nouvelles fonctions nous aidera à convaincre toujours plus de gens à porter quelque chose au poignet. C’est cela le vrai enjeu. J’estime que seuls 30% des Américains portent une montre. Beaucoup de gens dans le monde ne portent pas de montre. Il y a encore tellement de poignets à conquérir! Ces innovations nous aideront à ouvrir un nouveau marché, et à y accéder.
Samsung, LG, Motorola, bientôt Apple: vous avez face à vous des acteurs d’une puissance redoutable.
Nous n’avons pas de complexe d’infériorité. Mais nous n’avons rien à gagner en essayant de submerger les marchés avec des gadgets électroniques. D’ailleurs, aux Etats-Unis, on a rarement autant parlé de Swatch qu’aujourd’hui. On nous compare à Apple… Pas mal, non?
Vous avez des contacts avec ces géants de l’électronique. Comment perçoivent-ils la situation?
Les fabricants d’électronique sont en effet très inquiets. Ils ont peut-être aussi compris que la miniaturisation va conduire à de nouveaux produits qui se porteront sur le corps. Ils craignent que cette évolution ne rende caducs certains de leurs produits actuels. Ils ont raison: ces nouveaux objets connectés menacent plutôt de remplacer les téléphones et d’autres dispositifs portables que la montre! Ils explorent toutes les voies possibles, et toutes les formes: les bijoux, les lunettes et les montres. Et bientôt la culotte, peut-être. C’est un effort énorme pour eux d’ouvrir une nouvelle catégorie de produits qui ne cannibalisent pas ceux qu’ils ont déjà. Pour l’industrie horlogère, c’est tout le contraire. C’est une occasion en or! Nous sommes déjà au cœur de cette révolution. Nous avons tous les savoir-faire nécessaires pour réussir l’intégration de nouvelles fonctions dans un produit porté au poignet. Nous l’avons d’ailleurs déjà fait par le passé.
Ils ont de bonnes raisons d’avoir peur! Ils ont déjà subi coup sur coup l’arrivée de l’iPod, de l’iPhone et de l’iPad…
Nous avons aussi vécu la crise horlogère, et nous avons une très bonne mémoire. A l’époque, l’industrie suisse était exclusivement concentrée sur le luxe, n’avait aucune stratégie de segment et, surtout, aucune innovation. La situation est totalement différente aujourd’hui.
Sur quoi se jouera la guerre des poignets?
La clé de tout, ce sont les batteries et la consommation d’énergie. Nous sommes aux premières loges dans les deux domaines. Regardez le Vivofit, de Garmin: le produit qui n’a pas besoin d’être sans cesse rechargé a un avantage considérable sur les autres. Nous étions les premiers à utiliser des écrans tactiles très peu gourmands en énergie. Nous les avons intégrés dans nos montres des années avant le téléphone mobile. Nous maîtrisons ces techniques.
Vous lancerez une nouvelle montre connectée en 2015. Ne craignez-vous pas de concurrencer vos propres produits?
Il n’y a pas de cannibalisation. La Swatch lance sans cesse de nouvelles collections: ce n’est pas une cannibalisation! Les gens ne veulent pas porter toujours la même chose au poignet. C’est la grande révolution que Swatch a apportée: il en existe pour tous les goûts, pour toutes les occasions et toutes les activités. Les gens en possèdent plusieurs. Prenez la Sistem 51, une Swatch mécanique extrêmement avancée, révolutionnaire, bon marché et 100% Swiss made que nous venons de lancer. Vous pourriez dire la même chose: «Vous êtes fou! Vous cannibalisez les ventes de Tissot et des autres!» C’est tout le contraire. Le marché est stimulé: nous vendons plus de montres Swatch et plus de Tissot. D’ailleurs, les ventes de Swatch aux Etats-Unis ont augmenté de plus de 30% depuis que les bracelets fitness sont apparus aux Etats-Unis.
François Pilet
L'Hebdo |