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La Suisse maîtrise déjà les technologies contenues dans l’Apple Watch, clame Jens Krauss, expert du Centre suisse d’électronique et de microtechnique (CSEM), à Neuchâtel. L’institut est prêt à mettre ses brevets à la disposition des horlogers qui l’approcheront
Contrairement aux nombreuses craintes émises ces derniers mois, à l’approche de la sortie de l’Apple Watch, la Suisse et son industrie horlogère disposent de tous les atouts technologiques pour répliquer, affirme Jens Krauss, le responsable de la division «systems» au Centre suisse d’électronique et de microtechnique (CSEM) de Neuchâtel. Selon ce spécialiste des technologies embarquées sur l’homme, lesdites «wearable technologies», il n’y a rien de révolutionnaire dans ce que proposent la marque à la pomme ou ses quelques concurrents. L’horlogerie est en phase d’observation. Et le CSEM se dit prêt à mettre à disposition ses connaissances et ses brevets.
Le Temps: L’horlogerie suisse fait-elle face à une révolution technologique?
Jens Krauss: Ce n’est pas une révolution du tout. Les technologies contenues dans les montres intelligentes existent déjà et sont également présentes en Suisse. Les multinationales qui les commercialisent sont d’ailleurs venues en chercher une partie ici.
– Comprenez-vous l’inquiétude ambiante pour l’avenir du secteur? Certains craignent une crise similaire à celle du quartz.
– Non. Les capacités de réplique de l’horlogerie suisse sont totalement sous-estimées. Les technologies sur les processeurs, les communications, les batteries, l’ultrabasse consommation, la miniaturisation et la microtechnique, ainsi que sur la mesure des paramètres physiologiques sont prêtes à être utilisées. Au CSEM, voilà plus de dix ans que nous travaillons sur des technologies portables et des systèmes de suivi des performances physiques. Nous les avons déjà par exemple intégrés à des lunettes, ainsi qu’à des vêtements. C’est ce que fait notamment la société zurichoise Sensecore, une start-up née au CSEM.
– Dans ce cas, pourquoi l’horlogerie suisse ne s’est-elle pas encore lancée?
– Elle est en position d’attente. Il faut dire que le modèle d’affaires des montres intelligentes n’est pas encore bien identifié. Les revenus découlent-ils des applications, des smartphones ou de la montre elle-même? Le Gear Fit de Samsung, dont la 3e génération vient d’être présentée au salon IFA de Berlin, était presque donné gratuitement, l’année passée, à l’achat d’un smartphone Galaxy…
– Cet attentisme n’est-il pas risqué?
– Je peux en tout cas vous dire que les horlogers suivent cela de très près. Le CSEM, qui détient des brevets en Europe et aux Etats-Unis pour ce qui concerne la mesure des paramètres physiologiques au poignet, se tient prêt à mettre à leur disposition ses connaissances et sa propriété intellectuelle.
– Avez-vous déjà été approché par l’un d’entre eux?
– Certains acteurs ont manifesté leur intérêt et des discussions sont en cours. Mais aucune des grandes entreprises horlogères pour l’instant ne nous a contactés à ce sujet. Nous venons par ailleurs de céder une licence non exclusive à la société PulseOn, un spin off de Nokia fondée en 2012 et qui s’est installée tout récemment en Suisse. Ce sera le premier acteur de ce secteur à utiliser nos brevets. En parallèle, nous travaillons avec des acteurs suisses sur des composants miniatures pour les montres connectées.
– Comment Apple et les autres ont-ils pu commercialiser cette technologie sans en détenir les brevets?
– C’est une excellente question! Nous sommes en train de l’étudier. Cependant, ce n’est pas dans la philosophie ni dans la stratégie du CSEM que d’attaquer ceux qui, d’une manière ou d’une autre, ont contourné la protection de nos brevets. Ces entreprises ont déjà démontré par le passé qu’elles savaient parfaitement comment procéder. Par contre, les entreprises avec lesquelles nous travaillons, ou travaillerons, sont libres d’agir dans ce marché comme elles le souhaitent.
– Comment voyez-vous évoluer la commercialisation de ces technologies?
– Jusqu’ici, les traceurs d’activité physique étaient plutôt des gadgets que de véritables appareils médicaux au sens propre. Mais désormais, avec la mesure du pouls, par exemple, ou d’autres paramètres vitaux sur lequel nous travaillons, le marché de la télémédecine devrait véritablement s’ouvrir.
Servan Peca
LE TEMPS |