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Le propriétaire de Corum et Eterna veut dissiper la méfiance à son encontre. Kwok Lung Hon se livre pour la première fois sur ses ambitions et ses erreurs
C’est à l’occasion de l’un de ses séjours «de plus en plus réguliers» en Suisse que Kwok Lung Hon a accepté de rencontrer Le Temps. Fin août, dans un hôtel de Neuchâtel, 90 minutes durant et traducteur à l’appui, le fondateur et président du conseil d’administration de Citychamp Watch & Jewellery, ex-China Haidian, le groupe chinois propriétaire des marques Corum et Eterna, s’est livré, pour la première fois, sur ses ambitions pour les sociétés horlogères qu’il a rachetées récemment. La méfiance et les doutes de l’industrie? Il les comprend. Mais il veut les dissiper.
Le Temps: Il y a en Suisse, et notamment dans le milieu horloger, une certaine méfiance vis-à-vis d’un groupe chinois qui investit dans des marques suisses. En êtes-vous conscient?
Kwok Lung Hon: Bien sûr, je suis très au courant de tous ces échos. Je suis triste mais je suis déterminé. Je ne juge pas ces échos. Il est normal et logique que des Chinois qui investissent dans le monde entier le fassent aussi en Suisse. Il est d’autant plus logique d’investir ici, puisque la Suisse et la Chine sont devenues très proches, depuis la signature de l’accord de libre-échange. J’ai d’ailleurs bon espoir que cet accord crée de nouvelles opportunités.
– Est-ce que vous comprenez ces doutes?
– Je les comprends. Mais ce n’est pas important. En Chine et en Asie, beaucoup de mes amis se sont aussi posé des questions sur mes investissements dans des entreprises qui connaissaient quelques problèmes. Pour moi, c’est un défi! J’ai réussi grâce à l’immobilier mais j’ai toujours voulu investir dans l’horlogerie suisse, ma passion de toujours! Il y a certes aujourd’hui quelques soucis, mais avec la passion et la motivation, nous pouvons réussir à élever ces sociétés à un niveau supérieur.
– Certains craignent que vous transfériez du savoir-faire horloger suisse vers la Chine, que vous vidiez les marques rachetées de leur substance. Que leur répondez-vous?
– Qu’ils ne comprennent pas la culture chinoise et asiatique! Mon but, et celui des investisseurs chinois en général, est de garder le savoir-faire ici pour en faire des entreprises globales! C’est le message que je veux faire passer, au public et aux collaborateurs, afin d’éviter qu’ils ne se démotivent. Je tiens à tout prix à garder le savoir-faire de Corum en Suisse! Si la marque était déplacée en Chine, elle serait détruite.
– Eterna et Corum sont dans les chiffres rouges. Comment l’expliquer?
– Ce sont de bonnes sociétés, j’en reste convaincu. Avec, certes, quelques problèmes et quelques mauvaises surprises. Mais si ces entreprises n’avaient eu aucune difficulté, il aurait été plus compliqué, voire impossible, d’y investir.
– Pensez-vous avoir commis des erreurs, depuis que vous avez repris ces marques?
– Bien sûr. On peut toujours agir d’une autre manière. Nous n’étions sans doute pas conscients des problèmes du passé, en arrivant. Mais j’ai beaucoup appris depuis, notamment que les méthodes peuvent, et doivent, être très différentes, d’un investissement à l’autre. J’ai pris conscience de l’importance de communiquer, à l’interne et avec le public. Si possible des bonnes nouvelles… J’ai toujours pensé que les actes parlent à la place des paroles. Je dois revoir cette pensée.
– Jusqu’à quel point êtes-vous prêt à accepter des pertes?
– J’ai encore totalement confiance dans le potentiel et dans la réussite de ces deux projets. Cela fait quarante ans que je suis dans les affaires et j’ai l’expérience de ce genre de difficultés. Il est normal de perdre de l’argent, au début. Avec Corum et Eterna, j’en perds toutefois de moins en moins, c’est bon signe. La première priorité a été de préserver la position de Corum dans le marché. Et celle-ci demeure vraiment élevée. Peu à peu, les pertes vont se réduire. La maladie est passée, nous sommes maintenant en période de convalescence.
– Comment réagissent les employés à cette situation?
– Je comprends que cela suscite de l’incertitude. Et que les mauvais chiffres pèsent sur leur confiance. Nous avons d’abord rencontré quelques soucis de collaboration mais désormais, tout le monde tire à la même corde. J’ai bon espoir de pouvoir conserver ces équipes, qui sont de très haut niveau.
– Quel était le problème avec Antonio Calce, l’ancien directeur de Corum, que vous avez «libéré de ses fonctions», un an après le rachat?
– Lorsqu’une entreprise rencontre des difficultés, il faut que le patron assume, car il en est responsable. Je ne le juge pas, ni lui, ni ses erreurs. Nous avons conservé de bonnes relations. Mais les affaires sont les affaires. J’ai besoin aujourd’hui de quelqu’un qui puisse réussir, qui aille dans la même direction que moi.
– Quand interviendra son remplacement?
– Pas encore, mais bientôt! L’idée est de nommer un directeur général à l’interne. Il y a des personnes tout à fait compétentes pour assumer cette fonction. Mais rassurez-vous, tout va bien. Corum est pour l’instant dirigée en équipe.
– Vous avez levé 100 millions de francs suisses, début juillet. Avez-vous l’intention d’investir dans d’autres entreprises horlogères?
– Une partie de cet argent est destiné à aider Corum et Eterna. L’autre partie est potentiellement réservée pour une éventuelle acquisition. Mais il est trop tôt pour l’instant.
– Imaginez-vous investir dans d’autres secteurs que l’horlogerie, en Suisse?
– Rien n’est exclu. On ne sait jamais, car la Suisse est un bon pays pour investir. Mais pour l’instant, je ne prévois pas d’investissement dans d’autres secteurs. Je veux d’abord réussir. Ensuite, j’aurai acquis plus de confiance. Et j’en donnerai aussi sans doute à d’autres investisseurs chinois.
– Que devient Codex, la marque lancée ex nihilo en 2010?
– Elle constitue le premier investissement du groupe en Suisse. Nous sommes en train de la développer, comme pour Corum et Eterna.
Servan Peca
LE TEMPS |