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Le patron de la marque basée à La Chaux-de-Fonds veut se reconcentrer sur les modèles d’entrée de gamme. Stéphane Linder détaille les raisons qui l’ont incité à réduire la voilure, au début de l’automne
Si TAG Heuer était un athlète, il aurait aujourd’hui perdu ses kilos superflus et gagné en musculature. C’est ainsi que son patron, Stéphane Linder, image le processus que vient de traverser la marque horlogère basée à La Chaux-de-Fonds.
Au début du mois d’octobre, TAG Heuer annonçait le licenciement de 46 personnes et le recours au chômage partiel pour 49 autres collaborateurs. Cette décision est la conséquence de plusieurs phénomènes simultanés, explique celui qui est le directeur de la marque depuis juin 2013.
Il s’agit d’abord d’améliorer l’efficacité de l’entreprise. Cela a concerné une dizaine de salariés. Ensuite, TAG Heuer renonce à commercialiser des accessoires en cuir – mais pas des lunettes – et a annoncé aussi l’abandon progressif de ses activités de chronométrage, celles-là même qui ont fait sa renommée dans les sports automobiles notamment. La marque en mains du groupe LVMH suspend par ailleurs la production de son chronographe CH 80. Au final, seule une vingtaine de postes, sur les 46 supprimés, le sont pour des pures raisons de volumes. Des volumes qui sont inférieurs aux prévisions de l’entreprise.
Cet excès d’optimisme, notamment pour les mouvements de ses modèles situés dans la gamme de prix de 5000 francs et plus, est intimement lié à l’ouverture de la nouvelle usine de Chevenez (JU), l’an dernier. Bien sûr, la décision de Swatch Group de réduire les livraisons de mouvements aux marques tierces a incité TAG Heuer à investir dans sa propre production. Mais Stéphane Linder le concède: «Nous étions dans le mauvais timing. Il y a forcément une certaine inertie entre le moment où l’on lance des productions avec une certaine ambition et celui où les montres se vendent effectivement. Et il s’avère que les volumes de ventes ont aujourd’hui baissé, par rapport à 2012.»
Disposer de sa propre usine, c’est aussi asseoir le prestige de la marque, poursuit Stéphane Linder. Et séduire des clients pour qui un mouvement manufacturé a son importance, comme au Japon, par exemple.
Mais entre-temps, Sellita, principale alternative aux produits de Swatch Group, a démonté sa capacité à livrer des mouvements chronographes automatiques. Avec, certes, une finition moins aboutie, mais un prix de production plus intéressant que ceux de la maison.
Du coup, TAG Heuer a opéré un virage. La marque se reconcentre aujourd’hui sur l’entrée de gamme, sur le segment des montres entre 1000 et 3000 francs, qu’elle avait un peu négligé, grisée qu’elle était par le succès des modèles plus onéreux.
Aujourd’hui donc, le régime est achevé. «Ce processus n’avait rien d’amusant, mais il fallait réagir. Nous sommes désormais repartis sur des bases très saines. Nous sommes profitables et je pense que nous allons nous relancer plus vite que les autres. Nos modèles Carrera, Aquaracer et Formula 1 se vendent très bien. C’est un très bon signe», se réjouit Stéphane Linder, qui s’attend à une croissance de ventes de 5 à 10%, en 2015. Et qui précise que les Etats-Unis sont et resteront un moteur de la marque.
Le coup de frein opéré par TAG Heuer va-t-il se généraliser, dans un secteur qui a considérablement investi dans des usines, ces dernières années? Quelques indices le laissent penser, comme l’annonce de Cartier de recourir également au chômage partiel. Les 230 employés de son site de Villars-sur-Glâne sont concernés.
Néanmoins, Stéphane Linder ne pense pas que l’horlogerie suisse a vu trop grand. «A court terme, pendant un ou deux ans, il y a aura une accalmie. Les détaillants, notamment en Chine mais aussi en Allemagne, ont beaucoup stocké, la demande aux usines va en être affectée.» Mais à moyen et long terme, ces investissements dans les appareils de production sont «stratégiquement très intelligents», insiste-il.
Parce que la demande organique, soutenue par l’émergence continue d’une classe moyenne en Chine et dans d’autres pays émergents, continue de s’agrandir. Mais aussi parce qu’en plus de la fin inéluctable du supermarché horloger de Swatch Group, les nouveaux critères du «Swiss made» vont tôt ou tard faire leur apparition.
Les horlogers qui voudront afficher le label suisse devront alors produire 60% de la valeur d’une montre dans le pays, contre 50% aujourd’hui. Pour ceux qui sont «limite», «rapatrier la fabrication de ses mouvements en Suisse permet aisément de combler cette différence», conclut Stéphane Linder.
Servan Peca
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