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«Les Russes ont disparu d’Europe de l’Ouest.» Le directeur financier de Richemont Gary Saage n’a pas chaussé de gants, vendredi, pour commenter les dernières observations du groupe de luxe genevois en matière de tourisme d’achat. Il s’exprimait à l’occasion de la publication des résultats semestriels (voir encadré).
C’est que l’un des plus solides piliers de la croissance du secteur – diverses estimations attribuent aux «globeshoppers» la moitié des achats de produits de luxe – semble désormais moins porteur qu’il ne l’a été auparavant, fragilisé par les mouvements des devises, de nouvelles législations et par les tensions géopolitiques en Ukraine. Les premiers concernés sont les touristes chinois et russes, nationalités les plus dépensières lors de leurs vacances.
«Cela se remarque surtout via les exportations horlogères et les mouvements des touristes chinois du continent», commente René Weber, analyste de la banque Vontobel. Les vacanciers achètent moins et moins cher, selon le spécialiste. A cela, deux raisons: la politique de moralisation de la vie publique, mais aussi les restrictions imposées aux voyagistes chinois sur les détours forcés dans des enseignes qui leur reversent des commissions.
Chez Richemont, la progression des ventes à deux chiffres dans la région Amériques et au Moyen-Orient a fait dire à Gary Saage que cette frugalité nouvelle n’avait rien de dramatique. Il s’agirait de problèmes conjoncturels et non structurels.
Nathalie Longuet, analyste dans le secteur des biens de consommations chez Lombard Odier, est du même avis: «Le ralentissement du tourisme d’achat n’est que transitoire.»
Très lié aux cours de changes
Structurellement, insiste-t-elle, le phénomène n’est pas près de s’affaisser, tant les prévisions d’augmentation du nombre de voyageurs chinois sont élevées. Un autre chiffre livré par Nathalie Longuet illustre lui aussi combien le tourisme d’achat peut s’appuyer sur des bases solides: seuls 30 à 35% de la consommation des Chinois, des Russes ou des Moyen-Orientaux est réalisée dans leur propre pays. Le reste est dépensé à l’étranger.
Les variations cycliques sont et resteront toutefois inévitables. «La corrélation entre les cours de changes et la propension des touristes des pays émergents à voyager est très forte», explique encore l’analyste de Lombard Odier. A ce titre, les statistiques du mois de septembre sont éloquentes: «La baisse de l’euro semble expliquer la hausse des dépenses des touristes chinois, durant ce mois.»
Selon Global Blue, les Russes ont, eux, dépensé 11% de moins au cours des neuf premiers mois de l’année. En cause, la chute du rouble, qui affecte directement leur pouvoir d’achat. «Après les frais d’hébergement, de nourriture et de loisirs, leur budget dédié aux autres activités, comme le shopping est bien moins élevé», explique la dernière étude de la société spécialisée dans les services de détaxe.
L’autre conséquence de la crise politique avec l’Ukraine est la forte réduction du nombre de touristes russes dans les grandes capitales européennes du luxe, le Kremlin ayant par ailleurs limité les déplacements de nombreux fonctionnaires à l’étranger.
Petite consolation pour les marques, les Russes semblent ne pas avoir perdu leur appétit. Ils se rabattent sur les commerces locaux, notamment à Moscou. Selon Gary Saage, les ventes de Richemont dans ce pays ont augmenté de 9% en une année. La veille, Hermès disait assister au même déplacement de la demande.
Servan Peca et Valère Gogniat
LE TEMPS
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