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Jeudi, le 6e Forum de la haute horlogerie s’est intéressé à la clientèle du futur: cette génération qui n’a pas connu de vie sans Internet ni téléphones portables et qui, du coup, est un défi sans précédent pour les marques
Les horlogers sont prévenus. Il va falloir adapter leur stratégie à une génération de clients fort différente de toutes celles que le secteur du luxe est parvenu à séduire jusqu’ici. La jeunesse connectée, celle que l’on appelle les digital natives, «est notre ressource de demain», a d’emblée exposé Fabienne Lupo, la présidente de la Fondation de la haute horlogerie (FHH), en ouverture du 6e Forum du même nom, qui s’est tenu jeudi à l’IMD à Lausanne.
Selon diverses estimations, ils seraient environ 80 millions sur la planète. «Ils», ce sont ceux qui n’ont jamais connu de vie sans Internet ni téléphones portables et qui sont à un âge où ils sont susceptibles de consommer – ou de rêver de consommer – des produits de luxe. Et les différences de mentalité seraient criantes entre cette nouvelle génération et les acteurs du luxe. «Nous sommes élitistes, structurés, hiérarchiques. Eux sont connectés, interactifs et fonctionnent en réseaux», a pointé l’octogénaire Franco Cologni, pilier du groupe Richemont et président du conseil culturel de la FHH.
La clé, ce sont bien sûr Internet et les réseaux sociaux. «Que cela vous plaise ou non, leur séjour de consommation débute sur Google», a rappelé Diana Verde Nieto. Et la cofondatrice de Positive Luxury, une société de consulting basée à Londres, de poursuivre: «Avant de se décider, ils vont étudier, comparer, aller voir qui aime et qui n’aime pas, et pourquoi.» Et, peut-être plus important encore, «ils partageront ensuite leur expérience d’achat à leur tour». Du coup, prévient la spécialiste, «la réputation des marques n’a jamais été aussi fragile qu’aujourd’hui».
Digital mais exclusif
Paradoxalement, une fois qu’elle est convaincue d’avoir fait le bon choix, cette génération zapping est plutôt fidèle. «Il faut être transparent, ouvert. Ces jeunes attendent des marques qu’elles agissent comme eux, qu’elles partagent, qu’elles les fassent participer, qu’elles les incluent dans leurs projets», énumère Diana Verde Nieto.
Les jeunes connectés sont aussi soucieux des effets sociaux et environnementaux de leurs actes. Mais il serait contre-productif de les noyer sous de grands principes éthiques ou écologiques. Les rapports de responsabilité sociale les rebutent. Il faut du concret. «Ils veulent savoir où sont fabriqués les produits, par qui et comment. Et ensuite, ils choisiront de s’associer à une marque. C’est leur manière à eux de changer le monde», a soutenu la consultante.
Diana Verde Nieto a finalement cité Burberry, pour son interactivité, ou Gucci, pour son initiative «Chime for Change», qui vise à améliorer la condition féminine dans le monde, comme des exemples à suivre. Mais d’autres marques sont en phase de réflexion, comme Hermès. «Nous étions précurseurs, avec notre site qui, dès 2001, permettait d’acheter des carrés de soie et des parfums», a d’abord rappelé Axel Dumas, le patron de la marque.
Quelques années après avoir également mis sur pied un site plus «institutionnel», la société familiale est désormais en train de chercher un nouveau concept pour s’adresser aux internautes. «Nous voulons être plus directs, mais souhaitons aussi garder une part de mystère, voire de frustration, autour de notre marque, a-t-il précisé. Mais combiner le digital et la frustration est très complexe.»
Servan Peca
LE TEMPS
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