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Les marques de luxe internationales ont attendu 2014 pour investir dans leurs boutiques en ligne et les applications mobiles pour accroître leurs ventes, de sorte que la contribution de la numérisation devrait faire un bond entre 2015 et 2018
Des leaders mondiaux du numérique tels que Burberry ont enregistré une forte croissance à deux chiffres en 2014, et nous pensons que les ventes du commerce électronique vont augmenter de 20 à 30%, principalement grâce aux marchés des pays émergents et des Etats-Unis. Le taux moyen de croissance annuelle des ventes en ligne s’est établi à 28% entre 2008 et 2013. Les consommateurs de produits de luxe apprécient de plus en plus les achats en ligne, et la numérisation permet aux marques de réduire considérablement les barrières à l’entrée sur de nouveaux marchés tels que la Chine. Plutôt que d’augmenter le nombre et la taille de leurs magasins, ces marques préfèrent sélectionner les meilleurs sites d’implantation dans le monde, en comptant bien davantage sur une nouvelle croissance de leurs ventes grâce à leurs boutiques en ligne et aux plateformes de e-commerce telles que celles des géants chinois Alibaba, JD.com ou encore Vipshop. Alibaba témoigne d’ailleurs du volume et de la croissance du marché du commerce en ligne. Le 11 novembre 2014, à l’occasion de la Journée des célibataires (le 11.11), tous les distributeurs et les marques ont proposé des promotions sur les plateformes d’Alibaba (Taobao, TMALL), JD.com ou Vipshop. Au cours de cette seule journée, les ventes d’Alibaba se sont chiffrées à 9,3 milliards USD, soit 6,5 millions de ventes par minute. Une très grande partie des achats a été réalisée par téléphone mobile, un moyen très pratique dans un pays comptant 39 villes dont la population dépasse celle de Hongkong et où bon nombre de marques de luxe internationales ne sont pas du tout représentées.
En dépit des nombreuses préoccupations d’ordre macroéconomique, les consommateurs chinois créent une surprise majeure en 2014: ils restent les plus grands consommateurs de produits de luxe, comptant pour plus de 25% des ventes totales de grandes entreprises cotées dans ce secteur, grâce aux achats effectués chez eux et à l’étranger. Le laboratoire d’idées spécialisé dans l’industrie du luxe Altagamma a estimé que les consommateurs chinois contribuaient aux ventes globales de produits de luxe (de marques privées et publiques) à hauteur de 29%. Tandis que de nombreuses marques de luxe ont affiché une faible progression à un chiffre de leurs ventes sur le marché chinois au cours de l’année alors qu’elles cessaient d’ouvrir de nouveaux magasins, les dépenses des touristes chinois à l’étranger ont littéralement explosé. Selon une estimation, 75% des achats auraient été effectués hors des frontières de la Chine continentale. En effet, les taxes d’importation élevées de leur pays incitent les touristes chinois à faire leurs emplettes au Japon, en Corée du Sud, à Macao, à Paris, à Milan ou à New York. Par exemple, un sac à main de luxe coûte 40% moins cher à Paris qu’à Shanghai. Etant donné le récent affaiblissement de l’euro, il est probable que les marques européennes réaliseront de bonnes ventes de Noël dans leurs boutiques en Europe.
L’industrie du luxe en Asie du Sud-Est se développe de plus en plus sur les grands marchés de Manille, Séoul, Djakarta, Singapour et Bangkok, qui représentent déjà un quart du volume des ventes chinoises de produits de luxe. Des centres commerciaux de luxe implantés à Manille et à Bangkok, par exemple, enregistrent une croissance de 20% à 30% par an, et d’autres devraient voir le jour au cours des trois prochaines années. La Thaïlande se propose comme destination de vacances aux touristes chinois en leur facilitant l’obtention d’un visa au point d’entrée, permettant ainsi à Bangkok de rivaliser avec des villes telles que Hongkong. Nous estimons que le marché du luxe indonésien onshore a triplé de volume depuis 2007 pour atteindre 1,2 milliard de USD actuellement. Ce chiffre est bien supérieur si on y ajoute les dépenses des Indonésiens à Singapour. Le marché «singonésien» des produits de luxe devrait atteindre quelque 8 milliards de USD en 2018, se taillant ainsi la part du lion du luxe en Asie du Sud-Est. Des marques de moindre importance sont peu, voire pas du tout représentées dans cette région. Jimmy Choo, par exemple, n’y possède que 18 boutiques, mais veut en implanter 10 à 15 nouvelles par an pour y doper la croissance de ses ventes.
Aux Etats-Unis, le secteur du luxe, toutes catégories confondues et immobilier inclus, se porte bien dans de grandes villes telles que New York et Miami. Les investisseurs ne doivent pas oublier que le pays compte 442 milliardaires en dollars américains, soit presque quatre fois plus que la Chine. Les flagship stores de marques européennes renommées, pourtant peu implantées dans les grandes villes américaines, ont affiché récemment une croissance à deux chiffres. Ce raffermissement de la demande est dû à une extension de la base domestique de consommateurs de produits de luxe et à l’afflux croissant de touristes en provenance des pays émergents. Par exemple, les boutiques se trouvant sur des sites populaires très visités par les touristes brésiliens prospèrent. A Miami, les magasins de certaines marques haut de gamme voient leurs ventes progresser de 20 à 30%. Cette ville est la mieux positionnée pour servir d’entrée aux touristes d’Amérique latine.
Nous pensons que la croissance globale des ventes du secteur du luxe sera de quelque 6% en 2014 et de 7% en 2015. Il est prévu que les revenus progressent de 9 à 10% en 2015 grâce à la stratégie de distribution en ligne, qui devrait accroître le chiffre d’affaires de toutes les marques. Quant au récent affaiblissement de l’euro, il aura probablement un effet favorable sur les ventes de Noël en Europe. Cette évolution pourrait arriver à point nommé pour les marques de luxe en France et en Italie. Nous pensons que les ventes vont augmenter le résultat d’exploitation estimé de 8 à 20% en moyenne au cours des prochaines semaines, car ces sociétés réalisent globalement plus de 60% de leurs ventes aux Etats-Unis et dans des pays dont la monnaie est liée au dollar américain, mais les coûts réels de leurs produits sont inférieurs de 12% en USD. L’évaluation relative et absolue d’autres facteurs de déclassement place cette branche de croissance structurelle à un niveau de cours très raisonnable par rapport à son profil de croissance et à ses solides fondamentaux. La valorisation absolue et relative des titres de ce secteur semble donc intéressante. La plupart des marques de luxe internationales telles que LVMH, Richemont ou le groupe Swatch n’étant plus négociées à prime par rapport au MSCI World et au MSCI Europe, elles sont actuellement attrayantes en termes absolus, pour la première fois depuis la crise financière de 2008.
Juan Manuel Mendoza - Responsable Equities Asia, gérant de CS (Lux) Luxury Goods Fund et de CS (Lux) Global Prestige Fund, Credit Suisse (Singapore) Ltd
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