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Le succès commercial des sites d’e-commerce attise les ambitions. Cet engouement touche Richemont, dont le portail de vente, Net-a-porter, fait l’objet de rumeurs qui évoquent une entrée en bourse
Le luxe s’interroge. Doit-il se lancer à corps perdu dans la vente en ligne? Toutes les marques dignes de ce nom ont bien sûr un site. Mais toutes n’ont pas franchi le pas de l’e-commerce. L’enjeu commercial est immense.
Mais les hésitations sont de l’ordre du philosophique, dans un secteur qui mise sur «l’expérience shopping» de ses boutiques et qui tient aussi à préserver une part d’exclusivité.
Certains ont déjà plongé sans hésiter, à l’image de Burberry, reconnu pour être la grande marque la plus numérisée de l’univers du luxe. Mais, selon le cabinet de conseil Bain&Company, 40% des enseignes haut de gamme ne vendent pas encore leurs produits sur Internet.
La donne pourrait vite changer. D’abord, parce que le vivier de cette industrie, le marché chinois, qui absorbe 25 à 30% de ses ventes, est en train d’évoluer vers (un peu) plus de frugalité. L’ouverture de nouvelles boutiques par centaines, qui a permis d’assouvir – et de faire fructifier – l’appétit de la classe moyenne émergente, pourrait ne plus suffire.
Depuis que Pékin a imposé sa politique de lutte contre les dépenses ostentatoires, la croissance des ventes a faibli. Elle ne disparaîtra pas. Mais ce ralentissement pourrait être un déclencheur qui poussera une partie des récalcitrants à se lancer en ligne, considère-t-on dans le milieu.
Il faut dire qu’Internet va devenir un pays, voire un continent à lui tout seul, si l’on en croit les chiffres avancés par Exane BNP Paribas: d’ici à 2020, la vente en ligne pourrait rapporter 43 milliards de dollars supplémentaires aux Cartier, Chanel et autres Louis Vuitton. Soit pas moins de 20% du marché total du luxe, qui pèse actuellement 220 milliards.
Si le secteur et les marchés financiers s’interrogent sur l’avenir digital des produits haut de gamme, c’est parce que les plateformes en ligne enregistrent des succès probants. Globalement, l’e-commerce a progressé de 28% par an entre 2008 et 2013. Et cette année, le chinois Alibaba bat tous les records boursiers. L’allemand Zalando, coté depuis cet automne, atteindra un chiffre d’affaires supérieur à 2 milliards d’euros en 2014. La société, jeune de 6 ans, pèse déjà 4,6 milliards d’euros.
Ces deux sites ne sont pas estampillés luxe, mais leur réussite démontre combien un modèle d’affaires digital bien rodé peut rapporter gros. Et, s’il fallait finir de convaincre certaines enseignes haut de gamme, l’alliance annoncée en juillet entre eBay et Sotheby’s en est capable. La maison d’enchères considère que les collectionneurs sont mûrs pour acquérir des objets d’art via leur écran d’ordinateur. Elle aspire aussi à capter ceux qui ne franchiraient jamais la porte de l’une de ses salles de vente.
Cet engouement a fini par toucher Richemont. En fin de semaine dernière, Bloomberg prétendait que le groupe genevois voudrait placer en bourse son site de vente Net-a-porter. Cette fois-ci, Richemont n’a pas réagi. En octobre 2013, il avait exclu un tel scénario.
En termes de ventes, rappelle l’analyste de Vontobel René Weber, la contribution de Net-a-porter n’a cessé de progresser, depuis l’acquisition de la société, en 2010. A la fin de l’exercice en cours (fin mars 2015), il s’attend à ce que les ventes atteignent 580 millions d’euros (5% du chiffre d’affaires total). Le site, qui revendique 2,5 millions de visiteuses par mois, devrait devenir rentable sous peu. Ce qui n’était pas le cas jusqu’ici.
Servan Peca
LE TEMPS
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