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Comment investir dans la pub pour sortir une marque de l’ombre
 
Le 09-12-2014

Pour se distinguer de leurs concurrents et accroître leur notoriété, les PME restent fidèles aux outils traditionnels. Heidi.com, la nouveau-née Intobloo, Tante Agathe: plusieurs sociétés dévoilent leur stratégie

Un échec. Il n’y a pas d’autre terme pour qualifier l’issue de l’aventure entrepreneuriale d’Ou bien?!, cette société genevoise qui propose des fruits séchés naturels, exempts d’additifs, dans un emballage écologique. Après trois années de commercialisation, ses fondateurs, Florence Ceysson-Thiriet et Wouter van der Lelij, ont dû s’avouer vaincus face aux grands distributeurs, peu enclins à faire de la place sur leurs rayons pour leurs produits locaux.

Mais qui connaît les en-cas d’Ou bien?!? Outre la bataille de la distribution, peut-être que la marque ne s’est tout simplement pas imposée dans l’esprit des consommateurs. La faute à l’agence Trio, qui avait réalisé son lancement? «Parmi les nombreuses pistes créatives que nous leur avons proposées, leur choix s’est porté sur une campagne jouant avec le côté local, car cela leur ressemblait. Mais peut-être que, d’un point de vue purement publicitaire, notre concept autour de la nudité – le produit étant 100% naturel – aurait permis d’autres résultats, estime Michael Kamm, patron de l’agence lausannoise. Quand vous êtes un challenger dans un marché extrêmement dur, il faut particulièrement oser.»

Oser et dépenser, poursuit le spécialiste: «Le problème pour une PME ou une jeune société, c’est qu’elle doit investir au départ pour construire sa marque. Or, à ce moment précis, elle n’a généralement pas encore les moyens de le faire.» Un investissement minimum de 50 000 francs permet de réaliser cette importante phase préalable, en plus de quelques actions de communication.

Cinquante mille francs, une somme astronomique pour Michaël Dusong, qui a lancé La Belle Bleue, son service de livraison de paniers de fruits et légumes, en 2008 déjà. «Nous avons démarré avec une annonce dans le journal local, qui a dû me coûter 23,50 francs», sourit-il. Depuis, le budget publicitaire de la société neuchâteloise n’a guère augmenté et tourne autour de 500 à 1000 francs par mois. «En fait, 60 à 70% de nos nouveaux clients arrivent par le bouche-à-oreille, précise le dirigeant. Nous participons toutefois à une ou deux manifestations par an et réalisons un publipostage. Plus récemment, nous sommes devenus plus présents sur Facebook, dont l’âge du public correspond assez bien à notre clientèle.»

Michaël Dusong est conscient de cette lacune: «C’est clair que nous avons tort de faire si peu, mais nos revenus ne permettent pas d’investir dans la publicité, car nos produits offrent très peu de marges.» Ainsi, pour ouvrir sa première épicerie physique à Neuchâtel en 2015, la PME, qui emploie 35 collaborateurs, réalise actuellement une campagne de crowdfunding (financement participatif) sur la plateforme Ecostart. Lundi matin, l’entreprise avait récolté 43 000 francs sur les 50 000 escomptés.

D’autres sont davantage aguerris aux techniques publicitaires. C’est le cas de Stéphane Périno, fondateur d’Agence Virtuelle, à Genève. L’entrepreneur a lancé lundi une agence de voyages en ligne (OTA), baptisée Intobloo.com. «Nous prenons le client par la main, par exemple en lui offrant un service de limousines. Nous lui proposons des choses inédites, comme les croisières ou les parcs d’attractions», glisse-t-il. Cette plateforme se veut volontairement haut de gamme, donc, avec des photos maison des hôtels proposés comme élément différenciateur par exemple, réalisées par des drones au besoin. «Notre offre est également très réactive en fonction de la météo, afin de jouer avec l’humeur des voyageurs», ajoute-t-il.

Mais comment la jeune société entend-elle se distinguer face à des géants comme Expedia? Comment fera-t-elle pour émerger au milieu de la cinquantaine d’OTA que compte déjà le pays? Après avoir conseillé de grands noms, le fondateur d’Agence Virtuelle souhaite appliquer ses recettes à ses propres besoins. Et il ne lésine pas sur les moyens: le budget marketing se monte à six chiffres pour lancer la marque. «Notre campagne s’appuie sur de la publicité traditionnelle (dite offline) et de la publicité sur Internet (dite online), explique-t-il. Pour accroître rapidement la notoriété, le Web, que nous maîtrisons parfaitement, ne suffit pas. Nous avons encore besoin de médias classiques pour sortir une marque de l’ombre.» Intobloo se déclinera donc en spot TV, basé sur l’humour, avec Stéphane Périno dans le rôle d’acteur. Pour réduire le budget? «Plus parce que ça m’amuse, mais c’est vrai que nous avons utilisé nos nombreuses compétences internes pour communiquer notre lancement», précise-t-il.

«Les bonnes stratégies comportent souvent un mix des deux, du classique et du digital, corrobore Michael Kamm, dont l’agence compte 22 collaborateurs et une antenne à Zurich. Je dirais même qu’on constate un retour au contact humain, avec une utilisation accrue d’outils de communication tels que des stands d’exposition, par exemple.» A l’image des démonstratrices des fers à repasser Laurastar? La compagnie de Châtel-Saint-Denis (FR) n’a pas souhaité s’exprimer sur sa stratégie publicitaire, glissant toutefois le message que le budget est consacré aux foires, précisément. Bref, un canal pas si désuet, la preuve avec Tante Agathe. «Pour nous redéployer à l’international, nous renforcerons notre présence dans les foires à l’étranger dès 2015», indique Thierry Uldry.

La manufacture qu’il dirige glace toujours ses biscuits à la main. Dans son site de Nyon, elle en façonne 450 tonnes par an. Pour rivaliser avec les industriels, qui en produisent la même quantité en deux semaines, la notoriété constitue un défi permanent pour la PME vaudoise. Ainsi, pour conquérir les palais des consommateurs, elle investit quelque 100 000 francs par an dans diverses actions. «La meilleure publicité reste la qualité de nos produits», insiste le dirigeant. Mais ce dernier ne cache pas qu’une nouvelle campagne TV sera organisée en 2015, orientée plutôt sur la marque en général que sur un produit particulier. Et pour toucher encore davantage sa clientèle, la société vient d’ouvrir sa première boutique en propre, au cœur de Genève.

Tante Agathe ne se conjugue guère sur le Web. En effet, pour le fabricant de biscuits, les ventes sur Internet sont quasi insignifiantes. Ainsi, les réseaux sociaux ne sont pas un axe prioritaire, la société a davantage investi dans la sécurité alimentaire et les certifications, nerfs de la guerre de cette industrie.

«Contrairement à il y a dix ans, le marché publicitaire s’est complexifié, souligne le patron de Trio, la plus vieille agence de communication de Suisse. La multiplication des canaux de communication étend désormais l’éventail des moyens à disposition, mais encore faut-il savoir lesquels actionner pour servir au mieux l’intérêt de la marque, tout en conservant un fil rouge. Il faut le dire, les PME sont un peu perdues face à cette nouvelle donne. Elles ne savent pas où mettre les priorités budgétaires.»

S’offrir une publicité sur un bus sillonnant le Chablais pour 4000 francs par mois ou une seconde de publicité au cinéma pour environ 12 francs, ou encore investir dans les «AdWords», ces mots clés permettant aux PME d’être mieux référencées sur Google, pour 500 francs par mois par exemple? L’an dernier, les dépenses publicitaires en Suisse ont atteint 4,2 milliards de francs, selon la Fondation statistique Suisse en publicité. Sur la même période, Media Focus estime que la publicité en ligne a représenté 642 millions de francs, sans les répertoires en ligne.

Et dans ce flot d’e-mails, d’affiches, de spots, de vidéos, de statuts sur les réseaux sociaux, la créativité constitue une arme imparable. «Rendre la PME sexy, c’est notre rôle, estime Michael Kamm. C’est d’ailleurs l’essence même de la pub: mettre en scène l’entreprise de manière surprenante, comique, non conventionnelle, etc. L’objectif est toujours le même: partir de l’authentique pour différencier l’entreprise vis-à-vis de ses concurrents.»

Ainsi, Trio a notamment réalisé une campagne pour la société lausannoise de Rham qui a eu un retentissement média grâce à son originalité. «En raison du passé qui la liait à Sotheby’s, la marque comportait un préjugé «sélect», renforcé par un nom à particule, alors que cette agence nourrit un lien très fort avec ses locataires, explique le dirigeant. C’est cette relation que nous avons voulu mettre en avant dans les affiches, en utilisant les prénoms et en transformant la particule de noblesse en élément de proximité: «Etre de Rham, c’est aussi être la gérance de Noé.»

Et quand les moyens font défaut, notamment pour avoir accès à une agence extérieure, reste le système D. Depuis plusieurs années, Heidi.com s’est fait un nom dans le guerilla marketing, cet art d’exécuter des activités marketing de façon non conventionnelle et sur un très petit budget. «Quand vous avez peu de moyens, vous devez avoir des idées, estime Willy Fantin, cofondateur de la marque de vêtements neuchâteloise. Au départ, nous ne pouvions clairement pas nous offrir de la publicité traditionnelle.»

Alors, la société monte des «coups», comme lors d’un événement de déstockage. «Toute personne qui nous amenait un vieux snowboard repartait avec un t-shirt gratuit, poursuit le dirigeant, à la tête notamment du marketing et des ventes. Ensuite, nous les avons repeints aux couleurs de la marque puis les clients les ont cadenassés dans plusieurs villes d’Europe. Ce type d’opérations interpelle la presse, si bien que du bouche-à-oreille pour le déstockage, vous terminez avec des articles dans les journaux.»

Pour l’heure, la PME n’a jamais été mise à l’index d’un point de vue légal, malgré sa publicité «sauvage». «La créativité fait partie de notre ADN, donc nous développons nos propres idées à l’interne», souligne Willy Fantin. Fin 2013, la PME a ouvert sa première boutique quasi technologique à Neuchâtel. «Du coup, nous avons quelque peu laissé nos opérations guerrières de côté cette année, les relais médias étant suffisants avec notre approche innovante pour les consommateurs.»

Si le budget marketing était très modeste par le passé, l’arrivée de nouveaux investisseurs dans le capital, en mai de cette année, change quelque peu la donne. «Le marketing alternatif demande énormément d’énergie. Il faut du temps pour sortir une marque de l’ombre. C’est pourquoi nous nous sommes également engagés sur une voie de publicité plus traditionnelle», souligne le cofondateur. Fin novembre, la marque a signé avec le chanteur suisse Bastian Baker. «C’est plus un ami de la marque qu’un ambassadeur, car nous développerons également tout son «merchandising» en contrepartie. Il porte les habits qu’il aime et nous réaliserons une série limitée basée sur ses propres dessins l’été prochain», complète-t-il. Le prix de ce partenariat est «raisonnable», selon le dirigeant.

Une deuxième boutique ouvrira ses portes lundi prochain à Verbier. Pour la promouvoir, le cofondateur réfléchit à un partenariat avec les remontées mécaniques Téléverbier. «Depuis plusieurs années, nous avons une cabine à nos couleurs du côté de Nendaz, qui propose de la musique; depuis, la société a «vendu» d’autres espaces publicitaires, alors que nous l’avons toujours eu avec des contreparties, parce que nous avons été précurseurs.»

Après une année 2014 stable côté chiffre d’affaires et en croissance du point de vue des collaborateurs (de 6 à 12), l’exercice à venir devrait permettre d’accroître les volumes et d’atteindre l’équilibre financier. La marque s’est recentrée sur la Suisse. «D’ailleurs, pour développer notre notoriété outre-Sarine, nous avons fait appel à une agence de communication zurichoise.» Mais comme pour son ambassadeur, Heidi.com se montre muette sur les chiffres.

Marie-Laure Chapatte
letemps.ch

 



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