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Encore sous le choc du «tsunami» monétaire, alors que le Salon international de la haute horlogerie ouvre ses portes, les dirigeants de marque cachent leurs émotions dans les coffrets.
Le Salon international de la haute horlogerie (SIHH) ouvre lundi ses portes à Palexpo dans une drôle d’atmosphère. Après le choc de la décision de la Banque nationale suisse (BNS) de briser le «taux plancher» de l’euro, entraînant une surenchère sur le franc, les grands noms du luxe oscillent entre angoisse existentielle et extase de faire découvrir au monde leurs dernières créations, aussi étincelantes que riches dans leur mécanique.
Les organisateurs du SIHH ont sans doute rêvé d’un environnement plus feutré pour fêter la 25e édition d’une manifestation qui a pris une grande ampleur même si, contrairement à Baselworld, elle reste réservée aux professionnels de la branche et aux médias. Seize maisons – dont une majorité appartient au groupe Richemont, basé à Genève – occupent désormais une surface de 40 000 m2 à Palexpo. Contre cinq en 1991 sur un espace dix fois moindre. Et l’architecture des stands, aux décors fastueux, ne doit rien à celle qui fascine le monde à Bâle.
Conjoncture détraquée
Dans les dernières heures avant le salon, particulièrement agitées en ce mois de janvier 2015, les dirigeants peinent à faire un diagnostic sur une conjoncture horlogère soudain détraquée. Difficile de commenter ces grandes complications alors que l’on règle les derniers détails de l’organisation et que l’on met la touche finale à la présentation des produits.
L’année 2014 n’était déjà pas de tout repos, entre une Europe qui patine toujours au démarrage, une Russie plongée dans le trouble, un Moyen-Orient en prise avec l’extrémisme et un eldorado chinois couvert de nuages. Malgré cela, les exportations horlogères continuent de croître sur l’année. Tim Sayler, chef du marketing chez Audemars Piguet, avait trouvé les mots pour qualifier la situation à sa façon: «Nous ne voyons pas une crise, mais un changement de paramètres. Nous sommes très bien équilibrés dans toutes les régions du monde, donc moins impactés par un pays», expliquait-il peu avant l’annonce de la BNS, en se réjouissant des ventes de sa société en 2014, supérieures à la moyenne des exportations horlogères suisses (un peu plus de 2%).
Nous n’avons pas pu obtenir la réaction de la firme du Brassus après «le tsunami» déclenché par le patron de la BNS, comme l’a qualifié Nick Hayek, à la tête du groupe Swatch, l’un des rares responsables de sociétés horlogères à crier ouvertement son dépit. Les patrons des marques de prestige présentes à Palexpo n’ont pas trouvé le temps de commenter la nouvelle, probablement aussi à court d’éléments pour juger désormais des perspectives 2015.
A l’image de Philippe Léopold-Metzger, CEO de Piaget, qui résume brièvement la situation dans le marché du luxe sans évoquer directement le coup de grisou dans le panier des devises: «Les marques doivent s’adapter à un univers qui bouge sans cesse, mais il reste de nombreux territoires à conquérir.»
Contrairement à l’an dernier, alors que la haute horlogerie affichait une confiance hors du temps, le doute amène certainement nombre de directeurs à réviser les données de leur modèle d’affaires. Jean-Daniel Pasche, président de la Fédération de l’industrie horlogère suisse (FH) rappelait, lui, la semaine dernière, que «la branche exporte près de 95% de sa production principalement vers les zones euro et dollar». Et que forte du Swiss made, elle ne peut échapper à des coûts de production calculés en francs.
Mais, il faut rappeler que si le taux plancher est devenu une référence pour les exportateurs, il reflète un renchérissement considérable de la monnaie helvétique. Un euro valait plus de 1,60 franc en 2007! Fixé à un maximum de 1,20 depuis l’automne 2011, ce taux de change n’a pas empêché l’industrie horlogère de croître comme jamais, en réalisant depuis lors des résultats records. La plupart des entreprises ont investi des sommes énormes dans de nouveaux ateliers et des équipements de production high-tech, à l’image de Patek Philippe qui annonçait, il y a une semaine, vouloir encore investir 450 millions de francs pour agrandir son site de Plan-les-Ouates.
On ne compte plus les projets dans tout l’arc jurassien. Tim Sayler nous a confirmé la construction cette année d’un nouveau musée Audemars Piguet relié à l’atelier historique du Brassus, un écrin confié à un prestigieux bureau d’architectes danois.
Des folies à l’étranger
C’est également le temps d’importants investissements au cœur même des marchés visés afin de renforcer les marques de luxe suisses. Philippe Léopold-Metzger relève que l’année 2015 sera marquée pour Piaget par l’ouverture de deux grandes boutiques à Paris et à Milan. Une illustration de la puissance croissante du réseau de distribution du groupe Richemont dans le monde, sous ses propres enseignes. Là, le franc fort permet «toutes» les folies afin d’attirer la clientèle séduite par les nouveautés présentées au SIHH.
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