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Le 25e SIHH ouvre ses portes lundi. Les taux de change et la demande asiatique feront partie des questions prioritaires. Cette édition 2015 s’annonce comme un retour aux bases de la haute horlogerie
Il devait être le salon de la relance. Le Salon international de la haute horlogerie (SIHH), qui débute lundi à Palexpo, devait servir de baromètre utile aux seize marques exposantes, alors que le ralentissement de la croissance des ventes se confirme au fil des mois.
Mais les Cartier, Piaget, Montblanc et autres Audemars Piguet vont devoir ajuster leurs discours, face aux détaillants qui viendront passer commande. Depuis jeudi, le franc est 15 à 20% plus cher face à l’euro et au dollar. Les horlogers seront-ils d’accord de prendre les effets de change à leur charge, de rogner sur leurs marges? Ou leurs prix de ventes seront-ils revus à la hausse?
Selon deux spécialistes contactés vendredi, cette seconde hypothèse est probable, à moyen terme. Il faut dire que le groupe Richemont, qui détient douze des seize marques présentes au SIHH, est particulièrement sensible aux variations de change. Quelque 30% des coûts du groupe genevois sont en francs suisses. Tandis que l’euro, le dollar et les monnaies liées au billet vert représentent 50% de son exposition aux marchés internationaux, a calculé la banque Vontobel.
Problème: les acheteurs sont moins prêts à accepter des hausses de prix que par le passé. L’euphorie est finie. Au mieux, elle marque une pause. Après des années de croissance à deux chiffres, la haute horlogerie traverse une période moins faste. La crise en Ukraine, et la chute du rouble qui s’en est suivie, l’atonie européenne et le ralentissement de la demande chinoise sont passés par là.
Le SIHH devra donc permettre de répondre à plusieurs questions, après une fin d’année 2014 un peu décevante. L’appétit des détaillants de Hongkong, qui ont vu leurs stocks augmenter ces derniers mois, sera par exemple scruté de très près par les marques exposantes.
«Il n’y a pas de quoi s’inquiéter», coupe Fabienne Lupo, la présidente de la Fondation de la haute horlogerie (FHH), qui organise le salon. «Le segment dans lequel sont positionnés les exposants ne pâtit pas vraiment du ralentissement conjoncturel.» «Parler de nervosité serait exagéré, relativise aussi René Weber, un analyste de Vontobel. Mais en effet, cette semaine devrait apporter des réponses à un certain nombre de questions.» Pour lui, ces interrogations sont sans doute moins nombreuses pour Jaeger Lecoultre ou IWC, surtout présentes sur les marchés «traditionnels», comme les Etats-Unis ou l’Europe. Pour celles qui sont davantage exposées à l’Asie, telles Cartier ou Piaget, les incertitudes sont plus nombreuses. «Certes, la croissance est moindre en Asie, mais d’autres marchés prennent le relais, c’est très positif», reprend Fabienne Lupo.
Le ralentissement actuel – 2014 devrait déboucher sur un taux de 2 à 3% de croissance – est donc à relativiser. Il est vrai que la haute horlogerie a pris l’habitude de croître à grande vitesse. Depuis 2000, les exportations de montres de plus de 3000 francs ont été multipliées par 4,3 pour atteindre environ 13,5 milliards de francs.
Le groupe Richemont est aussi la victime de ce succès. Ses derniers chiffres ne sont pas rouges mais ils sont moins brillants. Avant même la décision choc de la BNS, qui, en deux jours, fait perdre 23% au titre de Richemont, les marchés financiers ont sanctionné ce ralentissement – recul de 4,57% au cours du deuxième semestre 2014. Mais sur le fond, les analystes gardent une confiance quasi unanime en la capacité du paquebot genevois du luxe à conserver sa position et à imposer ses prix, en proposant sans cesse des nouveautés, notamment par le biais de Cartier, sa marque phare. L’autre indicateur de la croissance de la haute horlogerie, c’est le développement du SIHH. En 1991, la première édition réunissait cinq exposants. Pour sa 25e édition, le salon regroupera seize marques et accueillera quelque 14 000 visiteurs.
Le SIHH est donc plus que jamais le rendez-vous à ne pas manquer. Une semaine durant laquelle il faudra séduire à nouveau les clients. Ce salon, ainsi que Baselworld, fin mars, concentrent 70 à 80% des commandes annuelles de l’horlogerie haut de gamme dans son ensemble, estime René Weber, de Vontobel. «C’est très variable, mais certaines marques enregistrent même l’entier de leurs commandes à Genève», ajoute Fabienne Lupo.
La géographie sera l’un des autres grands enjeux du salon. «Hongkong va rester une destination phare pour les touristes chinois, mais davantage pour la classe moyenne que pour les clients fortunés», considère Nathalie Longuet. Pour l’analyste de Lombard Odier, le secteur du luxe tout entier va devoir s’interroger sur son éventuelle surexposition dans cette ville, qui absorbe à elle seule 19% des exportations horlogères – 6% pour la Chine continentale.
A plus court terme, ce sont les cours de change qui donnent le rythme – et pas seulement celui du franc. La hausse du dollar de Hongkong, dans le sillage de son grand frère américain, ainsi que les manifestations qui ont bloqué les rues marchandes de l’ancienne colonie britannique en octobre et en novembre derniers, ont incité les Chinois à aller voir ailleurs. En Corée du Sud, leur nombre a augmenté de quelque 40% en 2014. Au Japon, de 80%, alors que l’Archipel devient lui aussi plus avantageux grâce au nouvel excès de faiblesse du yen. Résultat, l’an dernier, les exportations horlogères dans ces deux pays ont explosé: +19% en Corée du Sud et +16% au Japon.
Au petit jeu des conversions, l’Europe et son euro de plus en plus faible regagnent aussi en attractivité. «Il sera intéressant de voir qui choisira de relever ses prix, à quel moment, et surtout de combien, poursuit René Weber, de Vontobel. Il s’agit, comme toujours, de trouver le juste équilibre entre les marges et les volumes.»
Cette année, conclut Fabienne Lupo, les marques se recentrent sur les fondamentaux. Encore plus que lors des dernières années. Ainsi, sur les présentoirs, les métiers d’art ou les modèles vintage devraient céder la place à des «produits très horlogers», comme les chronographes et les complications «utiles». Le squelettage, qui consiste à ajourer partiellement les pièces d’un mouvement, sera également à l’honneur, annonce la présidente de la FHH.
Servan Peca
LE TEMPS
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