|
Depuis le krach monétaire provoqué par la Banque nationale suisse jeudi dernier, l'action Swatch Group n'a plus cessé de baisser : - 2 % hier, 21,1 % de chute depuis que le franc suisse a pris l'ascenseur et 36,7 % de dépréciation depuis un an. On est même à 8,5 % de moins qu'il y a trois ans, en pleine bulle horlogère. Pourquoi les analystes auraient-ils perdu confiance ?
▶▶▶ SWATCH GROUP
Les analystes n'ont plus du tout envie de rigoler avec une conjoncture de plus en plus morose...
◉◉◉◉ NICK HAYEK N'AIME PAS LA BOURSE, qui le lui rend bien dès qu'elle peut s'offrir ce petit plaisir. N'empêche, l'action Swatch Group est considéré en Suisse comme un actif de « père de famille », une de ces valeurs sûres qu'on trouve dans le portefeuille de tous les petits porteurs et de tous les investisseurs populaires de la Confédération. Cette semaine, ces petits porteurs doivent se poser des questions : leur patrimoine Swatch Group a perdu 36,7 % de sa valeur depuis 52 semaines. Durement frappée par le krach monétaire déclenché par la décision de la Banque nationale suisse de découpler l'euro et le franc suisse, l'action Swatch Group n'a plus cessé de dévisser depuis le « jeudi noir » (15 janvier). Valeur comparable sanctionnée dans la même vague de doutes du 15 janvier, l'action Richemond a commencé à se reprendre : orientée à la hausse depuis le début de la semaine (+ 1,1 % hier), elle n'a perdu que 16,5 % depuis le début de l'année et 17,6 % depuis 52 semaines, mais elle reste à 40 % au-dessus de son cours d'il y a trois ans. D'où les questions qu'on peut se poser sur l'action Swatch Group...
◉◉◉◉ LA DESCENTE AUX ENFERS CONTINUE : 1,9 % de chute hier, 21,1 % de baisse depuis le début de l'année et donc 36,7 % perdus depuis un an. L'action Swatch Group est désormais à 8,5 % au-dessous de sa valeur d'il y a trois ans, quand la bulle horlogère laissait penser à Nick Hayek qu'il allait crever « sans tarder » le plafond des 10 milliards de francs suisses de chiffre d'affaires. Son groupe en sera encore sans doute loin à l'heure d'examiner les comptes 2014 : apparemment, les analystes ont les plus grands doutes sur un retour rapide à une croissance soutenue de l'activité. L'action de « père de famille » – on est sentimental, en Suisse – est devenue un boulet patrimonial. Cette atonie du titre prouve au moins une chose rassurante : il y a peu de chances pour qu'un raider hostile soit en train de ramasser sournoisement des paquets d'actions pour tenter de s'inviter au sein du groupe (c'était une des craintes Business Montres du 15 janvier face à l'effondrement brutal du titre)...
◉◉◉◉ MANIFESTEMENT, IL SE PASSE QUELQUE CHOSE autour du titre Swatch Group. Depuis une semaine, il aurait dû amorcer sa remontée, comme le titre Richemont. Aucune mauvaise nouvelle n'a été annoncée par le groupe, sinon une augmentation des prix pour ses marques de luxe (Business Montres du 21 janvier), ce qui ne va sans doute pas pousser les clients à se bousculer dans les boutiques – mais ce sera le cas de 90 % des marques suisses de prestige. Les facteurs critiques qui obèrent l'avenir du groupe ne se sont pas brutalement aggravés : le renouvellement des équipes de management n'est toujours pas planifié, le ralentissement de l'activité horlogère ne va pas redonner du travail aux usines de mouvements du groupe, le marché asiatique (en particulier chinois) pose désormais plus de problèmes qu'il ne garantit de profits, le groupe n'est toujours pas prêt à trouver un relais de croissance dans la joaillerie (même si l'intégration de la maison Harry Winston s'est mieux passée que prévu), le groupe ne disposera toujours pas d'une procédure efficace de protection contre les risques de change (en ce moment, c'est une question de survie), le renversement de tendances du marché et les mutations sociétales n'ont toujours pas été anticipées par une gestion purement financière corrélée à une vision trop industrielle – mais rien n'a empiré depuis quelques mois. Rien qui puisse expliquer cette dégringolade boursière...
◉◉◉◉ RIEN, SINON UNE USURE DE LA CONFIANCE... Les marchés ont sans doute commencé à comprendre qu'il ne faut plus croire, ni les statistiques d'exportation horlogères, ni les messages perpétuellement rassurants émis par les CEO des marques, ni les envolées lyriques d'un Nick Hayek qui assure toujours que les montres suisses n'ont rien à craindre des « gadgets électroniques » à obsolescence programmée que seront les smartwatches. Les marchés ont fini par intégrer le fait que le marché chinois a toutes les chances de s'être refermé pour plusieurs années, que la dépression économique a toutes les chances de s'installer durablement en Europe (en dépit des efforts désespérés de la Banque centrale européenne) et que la croissance américaine a toutes les chances d'être totalement manipulée pour cacher à quel point elle ne repose que sur des indices artificiels. Les marchés ne croient plus vraiment que l'industrie horlogère sera capable d'endiguer sans souffrances extrêmes le raz-de-marée des montres connectées, pour lesquelles on a déjà perdu la première bataille sans même combattre. Ils ne croient plus qu'on puisse miraculeusement dénicher un moteur de croissance comparable au moteur chinois, qui a sauvé les économies globalisées après le krach financier de 2008. Ils ne croient plus les managers d'une industrie qui a profité de la manne du franc suisse asservi à l'euro pour s'octroyer de prodigieux bénéfices (sans souci des risques monétaires de retournement des parités) et investir dans des manufactures somptuaires, au lieu d'investir dans l'avenir, dans la R&D, dans les nouvelles technologies et dans l'analyse des mutations du corps social. Bref, les marchés n'ont plus confiance et ils s'attaquent au maillon faible...
◉◉◉◉ CETTE DÉPRÉCIATION DU SWATCH GROUP à la Bourse suisse est le signe avant-coureur de cette « lassitude » qui étreint aujourd'hui les différents interlocuteurs de l'industrie horlogère : on parle ici des détaillants aussi bien que des fournisseurs, des analystes et des clients. Les prix ont trop augmenté, les marques se sont montrées trop arrogantes, les managers ont été trop voraces, les designers ont été trop conformistes, les marges ont été trop excessives, les amateurs ont été trop négligés... Un jour où l'autre, il fallait que la sanction tombe : voir le Swatch Group trébucher face aux marchés, alors que la Wonder Week de Genève ne se passe pas bien (quoiqu'on en dise en haut lieu), n'est peut-être que la première note d'un possible et tragique Crépuscule des dieux... |