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PAR FRANÇOIS PRAZ Chaque saison, les maisons mondiales annoncent une nouvelle explosion de leurs chiffres de vente. Très risquées, certaines transactions génèrent de juteux profits, jusqu’à 4000%.
Avec l’automne, l’immuable ballet des enchères a repris. Devançant New York, Genève a eu droit à sa part de lumière avec un ancrage en partie horlogerie et en partie orfèvrerie. Cette année encore, plusieurs records ont ponctué cette semaine du début de novembre. Sur les bords du Léman, Christie’s a marqué les esprits en cédant pour 1,9 million de francs une resplendissante broche en diamants ayant appartenu à l’impératrice Eugénie.
Il s’agissait de l’attraction phare parmi les 392 lots qui ont été proposés en terres genevoises. Christie’s comptait obtenir de cette vente 77,2 millions de francs au total. Elle en aura obtenu au final 144,8 millions. Au-delà du côté show off, le fait que 89% des objets proposés aient trouvé preneur dénote l’excellente santé de ce secteur.
A peu d’intervalle, Sotheby’s a créé à son tour l’événement en établissant le nouveau record mondial de la montre la plus chère. La «Graves» manufacturée par Patek Philippe dans les années 1930 a été acquise pour 23 millions de francs. Sotheby’s estimait parvenir à retirer de la vente de ses 368 lots un montant global de 21,8 millions de francs. Elle en aura obtenu en définitive 31,4.
Son concurrent Antiquorum, spécialisé dans la haute horlogerie, a quant à lui récolté 12,8 millions de francs contre une estimation de départ fixée à 9,6 millions. «147 millions de francs ont changé de main en quelques heures sous le marteau de nos commissaires-priseurs. Cela signifie qu’il y a à la fois énormément d’argent liquide dans le monde et peu d’objets de qualité sur le marché», a commenté François Curiel, le président de Christie’s Asie.
Le dynamisme de la place genevoise en matière de vente a trouvé son écho durant l’un des principaux événements internationaux de ce mois de novembre, à savoir les enchères new-yorkaises. Christie’s y a exprimé sa suprématie en obtenant plus de 820 millions de francs et en établissant 11 records du monde grâce notamment à la cession de pièces de
Cy Twombly et de Peter Doig. Sotheby’s a connu un démarrage plus lent, mais l’enseigne anglaise a en définitive réussi à tirer son épingle du jeu en engrangeant un peu plus de 330 millions de francs pour 85,9% de lots écoulés.
Ces décomptes finaux entérinent la prédominance des deux géants du secteur sur les ventes mondiales. Chacun semble y défendre des positions bien établies: «C’est comme si les deux grandes maisons s’étaient maintenant partagé le marché. Les impressionnistes et les modernes pour Sotheby’s. L’art contemporain pour Christie’s, qui va de record en record chaque saison. Mais jusqu’à quand?», analyse le courtier Lionel Pissaro.
Le devenir de ces ventes va-t-il continuer à être aussi radieux? Cette interrogation a de quoi préoccuper ceux, toujours plus nombreux, qui ont cru voir dans l’art un créneau d’investissement alternatif quasi providentiel. Les faits leur ont longtemps donné raison. Depuis 1985, le marché de l’art n’a en effet cessé de surperformer celui des actions.
Impacté momentanément par la crise financière de 2008, il s’est vite redressé pour afficher une croissance de 10,6% en 2010 et de 11% en 2011. En 2012, les courbes ont toutefois fléchi avec un recul de 5,9%. Ce ralentissement mondial a été occasionné par la baisse de 22% du marché chinois.
Nonobstant ce recul, le volume des ventes d’art a plus que doublé en l’espace de dix ans pour atteindre 41 milliards de francs en 2013. Les catégories qui ont le vent en poupe sont l’après-guerre et le contemporain, autant en Europe qu’aux Etats-Unis. En 2012, ce seul segment pesait 2,4 milliards de francs.
Contrairement à une croyance tenace, 80% des œuvres qui sont acquises le sont à moins de 12 000 francs. Il se vend 100 000 œuvres de plus dans cet ordre de prix qu’il y a dix ans. Et la demande ne cesse de grimper sur cette frange du marché, alors que le nombre global de ventes a lui-même progressé de 60% sur cette même période.
Travail de fonds
Pour qui souhaite franchir le pas et investir dans l’art, le chemin peut se révéler périlleux. La rentabilité maximale serait à chercher du côté du marché primaire, soit directement auprès des artistes ou dans les galeries. Acquérir la toile d’un créateur en devenir pour réaliser une plus-value conséquente à la revente est possible, mais ne va pas sans risque. A moins d’être un initié, les chances de voir ses espoirs se concrétiser sont minces.
Se faire l’œil en fréquentant les expositions et les grandes foires telles qu’Art Basel est en l’occurrence un passage obligé. Si l’on se focalise sur le marché secondaire, et en particulier sur les enchères, de multiples critères de sélection sont aussi à observer (authenticité, rareté, état de conservation, etc.).
Une alternative récente et sans doute plus viable consiste à passer par un fonds d’investissement spécialisé dans l’art. Il en existe désormais plusieurs, comme les luxembourgeois Art Collection Fund (avec un ticket d’entrée à 600 000 francs) ou Elite Advisers. Il y en aurait actuellement plus de huitante dans le monde, dont près de soixante en Chine. Leurs actifs sous gestion étaient estimés à 1,5 milliard de francs en 2012.
En Suisse, UBS, qui est le sponsor de rendez-vous culturels majeurs tels qu’Art Basel précisément, a misé sur l’art banking. Mise en pause en 2009, cette activité a été réactivée dès 2010 sous la forme d’une structure baptisée UBS Art Competence Center. Signe des temps?
BILAN
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