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Le développement service après-vente horloger est symptomatique de l’évolution du secteur vers une industrie de service.
L’ouvrage Services après-vente horlogers: nouvelles exigences vient de paraître aux éditions Loisirs et Pédagogie dans la collection Marketing horloger. Il fait suite à cinq ouvrages de la même collection qui ont pour but de faire rayonner le savoir-faire des entreprises horlogères et de leurs partenaires. François Courvoisier, doyen de l’Institut du marketing horloger à la Haute école de gestion Arc en a assuré la direction aux côtés de Kalust Zorik, président et fondateur des Journées internationales du marketing horloger. Interview.
Pourquoi avoir choisir le thème du service après-vente (SAV) pour la publication d’un nouveau volume de la collection «marketing horloger»?
Le thème du SAV a été abordé lors des 17e Journées du marketing horloger, en novembre 2013 à La Chaux-de-Fonds: il est en effet plus actuel que jamais, car chaque année, ce sont près de 30 millions de montres suisses – dont environ 6 millions de montres mécaniques – qui sont mises sur le marché et qui viennent s’ajouter aux dizaines de millions de montres mécaniques déjà produites depuis des décennies, plus ou moins bien entretenues par leurs possesseurs.
Pour réaliser ce nouvel ouvrage, nous avons recueilli les communications académiques qui ont été faites lors de ces Journées, ainsi que les contributions des praticiens de l’horlogerie qui se sont exprimés lors d’un exposé ou d’une table-ronde. Il est à noter que le thème du SAV ne recouvre de loin pas que le changement de pile d’une montre à quartz ou la réparation d’une montre mécanique défectueuse!
Alors, quelle est l’ampleur du SAV?
Le SAV touche à l’ensemble de la relation client et commence déjà en amont de l’acte d’achat: il peut aussi s’interpréter comme un autre SAV: le service avant-vente! En effet, une bonne relation commerciale commence au moment où un client se renseigne sur un achat envisagé, qu’il entre en contact avec la marque au-travers de son site internet, de son distributeur ou lors d’un salon. Elle continue par l’accompagnement et le conseil donnés pour concrétiser un achat et se poursuit naturellement après la vente afin de préparer le terrain d’un achat ultérieur, si possible de la même marque ou du même point de vente. Plus la valeur du bien est élevée (une montre mécanique de haute horlogerie, par exemple), plus l’élément relationnel entre la marque (ou son représentant de vente) et le client est important.
Dans les études et témoignages présentés dans notre nouvel ouvrage, il est relevé à plusieurs reprises que le client est insuffisamment préparé au service après-vente de sa montre de valeur: au contraire d’un garagiste, le point de vente horloger (un magasin physique ou un e-shop) n’indique pas toujours systématiquement qu’une montre mécanique nécessite un entretien au bout de quelques années, cinq ans en moyenne. De plus, une fois la montre partie en SAV, le client a parfois de mauvaises surprises, notamment lorsqu’il apprend le prix et le délai du service pour remettre sa montre en parfait état…
On entend des propos alarmants quant au SAV, du genre: «c’est une bombe à retardement pour les marques». Qu’en est-il exactement?
La problématique n’est pas nouvelle, bien qu’elle ait tendance à prendre de l’ampleur, vu la croissance de la production de montres mécaniques, ces dernières années. En 2007 déjà, à l’aube de la crise financière mondiale, Jean-Philippe Arm lui consacrait tout un article dans sa revue Watch Around en interrogeant les CEO de quelques marques phares; il citait notamment François-Paul Journe pour lequel «le SAV, c’est le cancer de toutes les marques»; ce dernier estimait alors à environ 10% par an «les montres qui tombent en panne parce quelles sont anciennes, doivent être révisées, ont un défaut ou sont maltraitées».
Catherine Bourdin Mougel et Laurent Sage, de la CCI du Doubs ont observé que le marché de l’horlogerie de luxe évolue de plus en plus vers un marché de services, impliquant un volume croissant d’interventions en SAV proportionnellement aux actes de vente de montres neuves. Ces interventions, sous garantie et hors garantie, devraient induire une implication accrue des marques sur le marché de l’occasion; ils estiment que cette évolution du SAV devrait générer la création de 50.000 emplois dans le monde entier, d’ici 2025, pour entretenir et réparer les millions de montres mécaniques suisses mises régulièrement sur le marché.
Maarten Pieters, directeur du Wostep, a relevé la difficulté d’avoir en quantité suffisante de bons horlogers pour le SAV mondial. Selon son expérience antérieure en micromécanique et en horlogerie haut de gamme, il a calculé que, si l’on exporte chaque année 3 millions de pièces pendant 10 ans, le SAV recevra environ 3 millions de pièces la onzième année! Pour absorber cela, il faut prévoir toute une «entreprise du SAV»: des collaborateurs administratifs, du service clientèle, des opérateurs, des polisseurs, soit une véritable organisation nécessitant 40% de personnes dans l’administration et 60% dans la technique. Comme Catherine Bourdin et Laurent Sage, il estime qu’environ 45.000 collaborateurs seront nécessaires pour gérer le SAV Swiss Made dans le monde entier. Afin d’y arriver, l’industrie horlogère devra former quelques 800 nouvelles personnes par année afin d’au moins maintenir le niveau de compétence actuel.
Le «SAV Swiss made» devra être notamment renforcé en Asie et plus particulièrement en Chine, étant donné qu’une montre suisse sur deux est vendue dans ce pays, et une sur quatre à des Asiatiques hors de leur pays. Le SAV ne doit plus être «le dernier wagon du train»; il fait partie de la vente et prépare la vente suivante. Si cette organisation n’est pas réalisée, en Asie et dans le reste du monde, c’est tout le Swiss Made (pour les grands groupes comme les marques indépendantes) qui va en souffrir et la «bombe à retardement» pourrait bien exploser.
Interview:
Maria A. Bashutkina
(HEG Arc Neuchâtel)
AGEFI
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