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Franc fort, baisse des exportations, tourisme d’achat et après?
 
Le 20-02-2015

Raphaël Guichon, économiste, livre une analyse de la situation économique suisse après l’abandon du taux plancher.

Après l’annonce de l’abandon du taux plancher par la BNS, le 15 janvier dernier, une véritable onde de choc s’est propagée à travers le pays, mais aussi au-delà de nos frontières, en Europe et dans le monde. Nous pouvons nous attendre à un redoutable «tsunami financier». En effet, quand on réalise que certaines PME suisses réalisent près de 95% de leur chiffre d’affaires hors de nos frontières, il va falloir faire preuve de réactivité, créativité et de rapidement définir une vision stratégique à long terme pour ne pas se laisser dépasser par les évènements. L’effet direct de la chute de l’euro sur les exportateurs suisses est estimé à près de 5 milliards de francs.

Alors quelles solutions pour ces entreprises? On imagine déjà des centaines d’emplois menacés. Et, pourquoi pas, des salariés suisses remplacés par des européens à des tarifs plus intéressants, ceci afin de maintenir des résultats attrayants pour les investisseurs. Ces mêmes investisseurs déjà découragés d’investir dans des sociétés suisses à un coût d’entrée plus élevé de par la cherté du franc suisse. N’est-ce pas là une solution bancale qui ne ferait de déplacer le problème? Les autorités suisses ont tout à gagner à réfléchir aujourd’hui aux leviers qui permettront de maintenir ces emplois tout en garantissant la pérennité des entreprises. Une première mesure imaginée est celle du chômage partiel, mais ce ne peut être qu’une solution à moyen terme et à condition que la situation de notre économie s’améliore car l’Etat ne pourra intervenir ainsi sur le long terme.

Si les projecteurs sont souvent braqués sur ces PME exportatrices qui sont la colonne vertébrale de l’économie helvétique, il ne faut pas sous-estimer les impacts au niveau des TPE et des PME qui sont le cœur de nos villes et de nos régions. Ces entreprises implantées localement risquent en effet d’être les victimes du tourisme d’achat que le consommateur lambda est tenté de réaliser chez nos voisins européens, qui se trouvent souvent à quelques minutes ou kilomètres de nos villes. Les petits commerçants et artisans, déjà affaiblis par la traîne encore présente de la dernière crise économique, ont reçu le coup de massue auquel ils ne s’attendaient pas.

Certaines PME non exportatrices à dimension nationale, comme Coop et Migros, ont mis en œuvre une partie de la solution dont nos petites entreprises locales devraient s’inspirer. La première chose à faire est très logiquement de répercuter la baisse de leurs achats en euros sur les produits et services délivrés en francs suisses. Pour retenir le consommateur sur le territoire, il est alors nécessaire d’être réactif et de saisir rapidement cette première opportunité. Toutefois, en ce qui concerne les deux géants de la distribution, ils ne réalisent que très peu d’achats directs hors de Suisse, donc le client ne devrait pas percevoir de grandes différences sur les prix des produits du quotidien. Le consommateur, largement (sur)informé, sera attentif à ce geste qui témoigne d’une certaine transparence et honnêteté de par l’entreprise délivrant le service ou le produit. Si nous ne pouvons être concurrentiels sur le prix, alors soyons le sur la relation client.

Nos commerçants et artisans de quartier, tout comme la PME horlogère exportatrice, ne doivent pas oublier que leurs principaux atouts sont, d’une part, leur capacité à innover et créer et, d’autre part, le niveau de qualité de leurs produits et services qui ont depuis des décennies fait la notoriété de la Suisse. A eux de mettre en avant et de faire grandir cette qualité swiss made ainsi que leur souci d’excellence en parallèle à cette capacité de se renouveler et de créer.

Et le consommateur dans tout cela? C’est à lui de prendre les rênes et de se faire violence. Il en va de la survie du petit épicier au coin de sa rue, du coiffeur à côté de son travail, du magasin de jouets artisanaux chez qui il trouvera un cadeau pour ses enfants. Idem pour l’emploi de cette chère caissière qu’il rencontre une fois par semaine ou pour ce serveur qu’il remercie à la fin du repas. Si le consommateur ne s’identifie pas un minimum au commerçant en face de lui et ne prend pas conscience qu’il joue un rôle primordial dans le maintien d’une économie locale, nous courrons tout droit vers une situation semblable à celle que subissent ces centres-villes désaffectés dans certaines régions d’Europe où des rues révèlent des arcades aux vitrines opaques et sans vie.

Une partie de la population a pourtant déjà changé sa manière de consommer. Privilégiant la qualité à des tarifs raisonnables, et la proximité. Histoire de maitriser la totalité de la chaîne de distribution, qui se veut la plus courte possible, entre le producteur et le consommateur. Ceci permet notamment de gommer le risque de change en partie. Est-ce là l’avenir de nos commerces de quartier? Pour que le cœur de la ville ne cesse de battre et que chacun puisse trouver ce dont il a vraiment besoin dans une relation privilégiée qui ferait passer l’intérêt des personnes avant celui de l’argent. Garantir la qualité, la proximité, l’emploi et la justesse des tarifs quitte à multiplier les points de ventes comme à l’époque de nos grands parents. La solution serait-elle là: Ensemble, vers une économie plus durable?

Raphaël Guichon
lecourrier.ch

 



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