|
Chaque année à la même période, le salon Baselworld transforme la ville suisse de Bâle en capitale mondiale de l’horlogerie et de la bijouterie. Les représentants de quelque 1.500 marques viennent y exposer leurs nouveautés et prendre les commandes de milliers de clients venus du monde entier, accueillis avec maints égards dans des stands parfois spectaculaires, aménagés sur plusieurs étages pour certains.
L’édition Baselworld 2015 revêt une importance toute particulière pour l’horlogerie helvétique après le séisme monétaire ressenti dès les premiers jours de la nouvelle année. Le 15 janvier à 10h30, la Banque nationale suisse (BNS) prenait en effet la décision surprise d’abolir le cours plancher de 1,20 CHF pour 1 EUR en vigueur depuis trois ans et demi. La mesure a entraîné une appréciation rapide et marquée du franc, la devise semblant se stabiliser autour de la parité 1 F pour 1 €. Une très mauvaise nouvelle pour le secteur qui vend 95 % de sa production à l’étranger, soit 28,6 millions de montres exportées l’an dernier.
En 2014, « année de consolidation à haut niveau » selon les observations de la Fédération de l’industrie horlogère suisse (FH), l’activité a généré un chiffre d’affaires de 22,2 milliards de francs en hausse de +1,9 % par rapport à 2013 qui avait enregistré exactement la même croissance. Parmi les pressions identifiées, la FH souligne les manifestations pro-démocratie à Hong Kong et la baisse du marché chinois. En dépit des « lourdes conséquences induites par la force du franc », elle s’attend à enregistrer en 2015 un niveau d’exportations stable.
En 2014 et 2013, le secteur n’a pas pu renouer avec les taux records des années 2010-2012, notamment « en raison des mesures anti-corruption déployées en Chine (…), principal marché d’exportation (25 %) avec Hong Kong, devant les États-Unis (11 %). L’évolution de la demande chinoise demeurera le principal facteur d’incertitude en 2015 », confirment les experts de la banque Crédit Suisse dans un rapport intitulé « Manuel des branches 2015 ». Ils prédisent logiquement « une année compliquée » pour les activités suisses tournées vers l’exportation. Cependant, « les fabricants de produits pharmaceutiques et de montres devraient mieux faire face que les entreprises d’autres secteurs, dans la mesure où ils peuvent mieux amortir l’appréciation du franc au travers de leurs marges. En raison de la situation sur le front monétaire, l’ensemble de l’industrie devrait réduire ses effectifs en 2015 » soulignent-ils. La filière emploie plus ou moins 50.000 personnes.
Outre la pression des droits de douane et taxes exercée sur certains marchés de croissance, le rapport du Crédit Suisse évoque aussi la question des smartwatches et des entreprises technologiques (dont Apple) qui « pénètrent progressivement le marché horloger, mais ne devraient que peu menacer le segment des montres de luxe majoritairement mécaniques ». « Achetées pour leur durabilité, leur finesse technique et le symbole de réussite qu’elles représentent, les montres de luxe remplissent ainsi d’autres fonctions que les montres-ordinateurs. Les smartwatches pourraient cependant représenter une sérieuse concurrence pour les montres à quartz des segments inférieurs et moyens » peut-on lire.
Selon une note sectorielle diffusée par le Crédit Suisse fin 2014, le marché de la smartwatch représentera quelque 200 millions d’unités vendues dans le monde en 2018 pour un chiffre d’affaires estimé à 62 milliards de dollars. Dès 2015, Apple séduira entre 7 à 10 % de ses 300 millions d’utilisateurs d’iPhone. À terme, sa part du marché des smartwatches sera similaire à celle constatée sur celui des smartphones : entre 15 à 20 %. Les petits ordinateurs de poignet, notamment l’Apple Watch, sont « bien plus que des montres » puisqu’ils vont séduire une clientèle qui n’avait jamais porté un tel produit, expliquait le document.
Annoncée sur le marché dès le mois d’avril, l’Apple Watch vient de publier sa première campagne de publicité dans l’édition américaine du magazine Vogue, l’un des médias préférés des grandes manufactures horlogères et joaillières. La série de douze pages épurées est clairement une déclaration à l’ensemble de la profession.
En attendant la révélation de la smartwatch d’un autre géant, le leader mondial Swatch Group, ce sont les marques suisses Frédérique Constant et Alpina qui ont chacune dévoilé leur premier modèle de montre connectée « Swiss Horological Smartwatch ». Cette signature commune indique leur capacité à capter, communiquer et synchroniser des informations de bien-être et santé avec les applications installées sur les smartphones iPhone et Android grâce à leur système d’exploitation MotionX. La plate-forme technologique a été développée par les propriétaires du groupe Frédérique Constant en partenariat avec l’entreprise californienne Fullpower Technologies dans le cadre d’un joint-venture basé à Genève : Manufacture Modules Technologies (MMT).
Particularité de ces premières montres suisses intelligentes qui seront commercialisées courant de l’année : elles ne comportent aucun affichage digital, témoignant ainsi de la synthèse accomplie entre la Silicon Valley et le Swiss Made. Le communiqué de presse diffusé il y a quelques jours précise que « MMT s’est donné pour mission d’apporter sa plate-forme technologique à l’industrie horlogère suisse ». La marque Mondaine (Helvetica) l’a déjà adoptée.
Le projet d’une smartwatch Tag Heuer est lui aussi très attendu à Baselworld. Cette marque appartient en effet au leader mondial du luxe et la profession est impatiente de voir quelle sera la réponse de cet autre géant au défi d’un garde-temps ou chronographe de prestige connecté.
Sollicité à ce sujet, le patron des maisons horlogères suisses du groupe LVMH, Jean-Claude Biver, nous répond : « Nous annoncerons à Bâle un partenariat exceptionnel et unique en présence de tous les intervenants concernés mais ne présenterons pas la montre dont la livraison n’est pas prévue avant la fin de l’année ». Quant à la marge de manœuvre d’une manufacture telle que Tag Heuer dans un marché sous tension, il commente : « Il n’y a pas eu de chômage suite à la hausse du franc. Nous n’avons d’ailleurs pas encore ajusté nos prix publics, nous le ferons probablement fin mars. En revanche, nous avons tout de suite entrepris des actions afin de réduire nos coûts indirects et d’augmenter notre productivité. Nous avons aussi passé plus de commandes d’accessoires ou de publicités dans les zones euros et dollars. Toutes ces actions additionnées les unes aux autres devraient nous permettre de compenser en partie la force du franc ». Jean-Claude Biver dément une éventuelle restructuration dans le personnel productif, entrevoyant encore une année de consolidation pour son secteur « avec probablement une croissance de +1 à +3 % ».
Pour la banque Crédit Suisse, cette croissance continuera à venir en partie de l’évolution globale du niveau de vie, notamment dans les pays émergents, où la progression de la classe moyenne « offre un grand potentiel pour l’industrie des produits de luxe, un marché incarné principalement par l’industrie horlogère en Suisse ».
Luxe Revue
|