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« La guerre des montres ou la tarte à la pomme », par Manuel Romero (White Design)
Co-fondateur de l'agence White Design (Neuchâtel), Manuel Romero reprend la plume pour continuer son exploration des horizons ouverts par l'apparition des montres connectées sur le marché. Les horlogers qui courent derrière Apple rament-ils sur un canot qui prend déjà l'eau ?
« Vous aimez la tarte à la pomme ? »...
◉◉◉◉ Cette deuxième chronique pourra paraître très orientée, mais je garantis mon intégrité intellectuelle – et le fait de ne pas être tombé dans une marmite de compote de pommes étant petit...
◉◉◉◉ HIVER 2015. Soudain le temps connecté s’accéléra. Montblanc présenta un projet de bracelet début janvier, Nick Swatch Hayek nous servit fin février sa montre connectée pour les adeptes de beach-volley – souvenez-vous ce sport à la mode au siècle dernier – alors que Frédérique Stas Constant dégainait une série de montres un peu connectées façon Withings à la sauce hollandaise. Entretemps, TAG Heuer vérifie une dernière fois ses connexions. Mais tous ces horlogers fraichement convertis aux OS –operating system – mobiles et aux dernières normes Bluetooth rament malheureusement sur un canot qui prend déjà l’eau. Ils occupent l’espace médiatique d’annonces dont les effets durent aussi longtemps que la batterie de la future Apple Watch. Bienvenue à tous en 2015 qui ne commence cette année qu’en avril.
◉◉◉◉ L'APPEL D'APPLE. En septembre 2014, suite à la première présentation de l’Apple Watc,h qui fut suivie d’images virtuelles de belle facture et d’un nouvel onglet « watch » sur leur site, Apple avait déjà gagné, sans combattre, nombre de batailles sur le nouveau terrain des montres connectées. Qu’en est-il six mois plus tard?
◉◉◉◉ LA BATAILLE DU DESIGN. L’Apple Watch, même qu’en image, dépasse tous les modèles déjà commercialisés. Formes, matières, couleurs, innovations sur les bracelets et les boucles, qualité perçue. Un défaut ? Le design. On y retrouve trop la patte de son probable (co)créateur Marc Newson qui nous ressert une Ikepod vingt ans plus tard, boucle et bracelet compris. Mais l’Apple Watch même un peu ratée est bien plus réussie que les Pebble, Moto 360 et autres Samsung. Le design horloger, ça ne s’improvise pas.
◉◉◉◉ LA BATAILLE DE LA COMMUNICATION. Ce que je disais dans ma chronique précédente se vérifie. Apple a démarré le rouleau compresseur. Une pop-up présentation surprise chez Colette le 30 septembre. Une grosse présence lifestyle dans le Vogue Chine au mois d’octobre concomitamment au lancement des iPhone 6 où le succès y a été phénoménal. Puis, il y a quelques jours aux Etats-Unis, avec douze pleines pages dans le Vogue US. Le printemps sera très Apple Watch. L’été et l’automne aussi. Parle-t-on de mode ou de montres connectées?
◉◉◉◉ LA GUERRE DE L'INTERFACE ET DE LA CRÉATIVITÉ. Ils semblent avoir tout juste du premier coup. Prenez le temps de décortiquer le site Apple. Android Wear est largué à des années lumières et même Tizen l’OS de Samsung, pourtant clairement meilleur, a encore beaucoup de chemin à parcourir. Apple ne pense pas dans la même dimension. Pourquoi sont-ils meilleurs ? Parce qu’ils envisagent le produit de A à Z, comprennent et innovent. Pourquoi les concurrents n’y arrivent pas ? Parce qu’ils « pensent différemment », mais pas de la bonne manière. Ils ne conçoivent pas un produit comme un ensemble parfaitement intégré du hardware au software ce qui fut la pensée universelle de Steve Jobs. Ils s’imaginent malheureusement que leurs meilleurs ingénieurs feront de bons designers et que de bons développeurs feront de bons designers d’interface.
◉◉◉◉ LA BATAILLE DU TERRAIN. Tous les concurrents existants sont débordés et déjà sonnés, car le produit d’Apple ne se voit pas en simple gadget électronique. L’Apple Watch est avant tout une montre par son positionnement et par son nom aussi. Cette nouvelle espèce de montre s’établit clairement dans un segment lifestyle et luxe. Nous assistons ébahis à la naissance d’une nouvelle marque de montre qui se retrouvera dans les meilleurs magasins du monde, en plus des Apple Store. Elle affichera sans vergogne sa face noire à côté de marques suisses prestigieuses. Cette bataille fera des dégâts, même aux horlogers traditionnels, qu’ils soient un peu connectés ou non. Car elle est annonciatrice du futur. Imaginons les consignes et menaces commerciales prodiguées à l’encontre des points de vente qui pourraient vouloir se donner un air de modernité et de « coolitude » en présentant – ô sacrilège ! – des Apple Watch. Les marques et groupes les plus puissants tenteront d’interdire la coexistence avec Apple sous un même toit, alors que les plus fragiles demanderont sans conviction et peut-être à tort à ne pas être placés trop près de ces montres du troisième type.
◉◉◉◉ LA BATAILLE COMMERCIALE. En 2014, selon Smartwatch Group via le site AppleInsider.com, près de 6,8 millions de montres connectées ont été vendues pour un prix moyen de 190 USD. Samsung est leader incontesté avec 20 % de parts de marché en unités, suivi par Pebble et Motorola. Pebble, qui a d’ailleurs vendu sa millionième montre depuis son lancement. Le premier prix de l’Apple Watch est de 350 USD pour le petit modèle d’entrée de gamme. Les modèles plus chics en acier oscilleront entre 500 USD et 1 000 USD. Quant aux modèles en or le prix ira de 6 000 USD à 20 000 USD. Même s’ils en vendent peu, le ton est donné. La bataille sera gagnée sur tous les fronts. Apple dépassera dès le lancement tous ses concurrents réunis en terme d’unités, de prix moyen et bien entendu de profitabilité. Un scénario habituel en somme.
◉◉◉◉ UNE PREMIÈRE CONCLUSION. Le marché de la montre connectée n’existe pas encore. Peu de marques en ont compris le réel potentiel. Nous n’en sommes qu’aux prémices, au stade du gadget connecté. Même Samsung, qui en est pourtant l’acteur le plus crédible aujourd’hui, n’a pas encore trouvé la voie. Une fois de plus, Apple dictera sa loi.
Manuel Romero
(www.white-group.com) |