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«Je ne juge pas ceux qui ont baissé leurs prix, mais Bulgari ne le fera pas»
 
Le 09-03-2015

En réaction au franc fort, certains horlogers ont brisé une sorte de tabou en baissant leurs prix de vente, notamment en Suisse. La marque en mains de LVMH s’y refuse. Elle prend sur elle et préfère relever les prix en Europe, explique l’ancien patron de TAG Heuer, à la tête de Bulgari depuis juin 2013

Vingt mois après sa prise de fonction à la tête de Bulgari, Jean-Christophe Babin a profité de l’un de ses nombreux déplacements entre Rome, où siège la marque, et Neuchâtel, pour recevoir Le Temps. C’est ici qu’est regroupée la direction de la division horlogère et que sont stockés les montres et les bijoux prêts à être envoyés dans les centaines de points de vente à travers le monde.

Le Temps: Comment s’est déroulée l’année 2014?

Jean-Christophe Babin: Je ne puis vous donner de détails pour la marque mais, lors de la publication des résultats du groupe LVMH, notre président, Bernard Arnault, a souligné nos «très bons résultats». Lorsqu’il utilise ces termes, ce n’est en général pas usurpé. «Très bons», cela signifie que nous avons progressé plus vite que le marché, que nous en avons gagné des parts dans un univers très concurrentiel. Notre croissance s’est inscrite à deux chiffres.

– Qu’est-ce qui différencie TAG Heuer, votre ancien employeur, de Bulgari?

– L’une est suisse et s’est toujours distinguée par la précision de ses montres. L’autre est italienne, elle a apporté cette part de design italien à l’horlogerie suisse. Mais ces deux marques ont aussi des points communs, elles ont toujours fait preuve d’audace dans leurs innovations.

– La clientèle cible semble bien différente.

– Chez Bulgari, les codes de tous les produits féminins – les montres, les lunettes, les sacs ou les parfums – sont définis par ceux de la joaillerie. La Diva, par exemple, est l’expression horlogère de la collection joaillière du même nom. Autre différence de taille avec TAG Heuer: les gammes de prix.

– Quelles sont-elles chez Bulgari?

– Dans l’horlogerie, le gros de nos ventes se situe entre 5000 et 15 000 francs. Dans la joaillerie, entre 1000 et 50 000 francs.

– Comment percevez-vous le repositionnement de prix de TAG Heuer, alors que vous aviez mené sa montée en gamme?

– Jean-Claude Biver est un excellent capitaine qui sait parfaitement modifier le cap et la voilure. Au vu du contexte de ralentissement, depuis début 2013, j’aurais agi de façon très similaire, en ramenant le curseur vers des montres plus abordables. Sans renoncer à de magnifiques chronographes de manufacture, mais en priorisant autrement les ressources et les innovations.

– Comment est exposé Bulgari, géographiquement?

– Bulgari a très vite ouvert des boutiques en propre en Chine, au Japon ou en Corée du Sud. Donc nous sommes assez dépendants de la demande asiatique. Mais l’Europe n’est pas à négliger. Bien qu’il soit en crise, ce continent reste riche. Nous profitons aussi bien sûr du tourisme d’achat, notamment à Londres, Milan ou Paris. L’Amérique du Nord, elle, représente entre 15 et 20% des ventes.

– Quels sont les marchés émergents vers lesquels vous vous orientez?

– Nous avons déjà trois boutiques à Djakarta et sommes en train de placer nos pions au Brésil. Nous venons aussi de créer une filiale en Russie et y installerons une boutique d’ici à la fin de l’année, parallèlement à notre agent déjà en place.

– Est-ce le bon moment pour investir en Russie?

– A long terme, la Russie est incontournable, elle restera un pays riche, plein de ressources et, qui plus est, avec une histoire culturelle importante.

– La faiblesse du rouble ne vous rebute-t-elle pas?

– La situation pourrait s’inverser dans six ou douze mois. Nous acceptons un sacrifice sur nos marges pour mieux rebondir demain. A court terme, c’est aussi un moyen de récupérer les clients russes qui voyagent moins ou qui consomment moins, lors de leurs déplacements.

– Les clients de l’horlogerie sont-ils si réactifs aux cours de change?

– C’est un fait avéré. On l’a vu en 2008 au Royaume-Uni. Lorsque la livre sterling s’est fortement dépréciée, les ventes locales ont augmenté. Idem au Japon, avec la chute du yen.

– A l’inverse, faut-il s’attendre à ce que les ventes en Suisse reculent, après l’envol du franc?

– Comme vous le savez, Bulgari Horlogerie a mis en place un système de protection pour ses détaillants suisses, afin qu’ils puissent rester concurrentiels par rapport aux pays voisins.

– Du coup, comment se sont déroulées les ventes en Suisse durant les semaines du Nouvel An chinois?

– Nous avons enregistré une progression de nos ventes horlogères, limitée, certes, par rapport au reste du monde, où nous avons réalisé des performances étonnantes. Mais elles sont encourageantes car positives, contrairement à la plupart de nos concurrents.

– Les prix de Bulgari en Suisse ont donc baissé. C’est une première?

– Ils n’ont pas baissé! C’est au moment de la transaction que tout se joue. Le prix de vente en francs est converti en euros, en dollars ou en renminbis au cours de change d’avant le 15 janvier, lorsque le taux plancher prévalait encore. Et nous remboursons la différence aux détaillants. La démarche «Bulgari Protect» est comparable à un investissement marketing.

– Baisser les prix, c’est inconcevable dans le secteur du luxe? D’autres marques ont déjà brisé cette sorte de tabou.

– Je ne les juge pas mais nous ne le ferons pas. Le vrai problème, c’est la faiblesse de l’euro. Il nous semble plus logique d’augmenter les prix en zone euro. A Paris, comme à Londres d’ailleurs, le tourisme compte énormément. Pour les produits à partir de 10 000 euros, plus de la moitié de nos ventes y sont liées. Nous avons fait de même en Australie ou au Japon, pays dont les monnaies se sont aussi nettement dépréciées. Mais il y a un équilibre à trouver vis-à-vis des clients résidents. Car il y a un vrai risque de ne plus les revoir, si la situation sur le marché des changes s’inverse.

– La banque Vontobel estime que 18% des ventes de Bulgari, estimées à 1,3 milliard, proviennent de l’horlogerie. Est-elle dans le juste?

– Le vrai pourcentage est un peu plus élevé. L’horlogerie est en tout cas clairement le second métier de la marque, derrière la joaillerie.

– Voilà plusieurs années que la joaillerie croit plus vite que l’horlogerie. Comment l’expliquez-vous?

– Le marché de la montre est entièrement dominé et structuré par des marques. Le défi consiste donc à prendre des parts de marché aux autres. Dans la joaillerie, 80% du marché est encore occupé par des indépendants ou des petites structures. Mais la mobilité des clients fait qu’aujourd’hui ils s’éloignent facilement de leur bijoutier de quartier. Ils ont besoin de retrouver leurs repères, où qu’ils soient. C’est de cela que les marques globales peuvent profiter. Il y a encore beaucoup d’espace pour croître.

– N’y a-t-il pas un phénomène de spéculation sur ces pièces joaillières?

– C’est un autre moteur de la croissance. La volatilité des actifs financiers oriente les acheteurs vers d’autres valeurs, comme les pierres précieuses. Une marque reconnue inspire confiance. C’est un investissement de sécurité, un pari sur une valeur future. A raison.

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