«Ce que la BNS a provoqué là, c’est un tsunami», déclarait Nick Hayek, CEO de Swatch Group, le jour de l’annonce par la BNS de l’abandon du taux plancher qui a fait bondir le franc. Tout juste deux mois après, et à une semaine du Salon mondial de l’horlogerie et de la bijouterie Baselworld qui débute le 19 mars, force est de constater que si la pression sur les prix demeure très forte avec un euro à 1 fr. 07, la catastrophe redoutée n’est heureusement pas arrivée. Et n’arrivera pas.

«Swatch Group se porte très bien, déclare aujourd’hui Nick Hayek à L’Hebdo, le début de l’année est très prometteur au niveau du chiffre d’affaires, en monnaies locales. Quant à la profitabilité, 2015 sera une année excellente pour Swatch Group notamment grâce au dollar et au renminbi, deux devises bien plus importantes pour nous que l’euro.» Qui dit mieux?

«Dès qu’il y a un coup de vent, on parle de crise. Connaissez-vous des marchés où l’on observe aussi peu de nuages que dans l’horlogerie?» renchérit André Colard, cofondateur du Salon EPHJ spécialisé dans la sous-traitance horlogère, du 2 au 5 juin à Genève-Palexpo. Pour cette manifestation (environ 850 exposants) comme pour Baselworld (288 marques), tous les inscrits répondront présent.

Fortes pressions

De son côté, toujours aussi confiant, le responsable du pôle horloger de LVMH Jean-Claude Biver observe que «l’horlogerie a montré une nouvelle fois sa dynamique et sa résistance aux effets exogènes. Elle a accumulé les réorganisations, diminué ses coûts et ajusté ses prix. Dès lors, les résultats de 2015 seront sans doute proches de ceux de 2014.»

Il n’empêche que les fabricants de composants horlogers sont soumis à de fortes pressions. «Certains de nos clients souhaitent des réductions pouvant aller jusqu’à 15%, ce qui, en l’état, nous gêne beaucoup», constate Pierre-Olivier Chave, président de PX Holding à La Chaux-de-Fonds, société de 300 collaborateurs et notamment leader de l’habillement horloger muni du label Swiss Made. «Mais le secteur de l’horlogerie est relativement épargné en regard de celui des produits industriels et du médical.»

Prix à la hausse

Augmenter les prix publics dans la zone euro, c’est la première mesure déjà prise par de nombreux horlogers. Mais les hausses ne sont pas uniformes. Le 15 mars, les prix des montres Hublot (LVMH) subiront une hausse de 8% car ils sont fondés sur le franc. En revanche, ceux de TAG Heuer (LVMH) ne prendront pas l’ascenseur dans cette zone car ils sont exprimés en euros.

Hors de cette dernière, ils devront même baisser d’environ 8%! Swatch Group prévoit de réajuster ses prix de 5 à 7%, voire de 10% pour certaines marques. Cette mesure concerne avant tout Breguet, Blancpain, Omega et Longines.

Le groupe Richemont va dans la même direction. «Nous serons plus réservés dans nos adaptations tarifaires pour les marques comme Swatch et Tissot», précise Nick Hayek.

Le consommateur d’un article dont le prix est supérieur à 10 000 francs est sans doute peu sensible à tout renchérissement. Mais dès que les montres coûtent moins de 10 000 francs, comme par exemple celles de l’entreprise horlogère chaux-de-fonnière indépendante Eberhard & Co, c’est une autre chanson.

«Nous envisageons une hausse de nos prix de seulement 6 à 8%, dit son directeur général Mario Peserico. C’est insuffisant en regard de la flambée du franc. Faire plus serait de la folie. Donc notre manque à gagner sera manifeste.»

Les horlogers de produits finis tentent par ailleurs de réduire sensiblement les coûts indirects (operating expenses), comme les charges salariales, les coûts des matériaux et des sous-traitants, etc. «Nous préférons d’abord toucher ces derniers avant ceux directement liés aux appareils de production», relève Jean-Claude Biver. Se serrer la ceinture, c’est finalement un savoir-faire très horloger.

Philippe Le Bé
hebdo.ch