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A quelques jours du Salon mondial de la bijouterie et de l’horlogerie Baselworld, Stephen Urquhart, membre de la Direction générale élargie du Groupe Swatch évoque la folle renaissance d’Omega.
Nous sommes juste avant Baselworld. Comment l’édition 2015 se présente-t-elle pour Omega?
La situation est bien entendu devenue plus difficile depuis la décision de la Banque nationale d’abolir le cours plancher de l’euro. Cette décision est tombée deux jours avant le Salon international de la haute horlogerie (SIHH) à Genève, et il a fallu encaisser le choc.
Parmi les innovations, il y a le mouvement Master coaxial, avec la nouvelle certification sur la résistance aux champs magnétiques présentée comme révolutionnaire par le Swatch Group. L’est-elle autant que ça?
Un mouvement mécanique résistant à des champs magnétiques d’une telle amplitude (jusqu’à 15’000 gauss) l’est. Aussi certain que je suis assis devant vous, dans quelques années, les gens en parleront comme du degré d’étanchéité pour une montre.
Les perturbations magnétiques sont de plus en plus présentes dans notre environnement, des smartphones aux plaques à induction, et elles peuvent perturber le bon fonctionnement des montres mécaniques.
Cet atout, sans pour autant faire flamber nos prix, sera très avantageux pour nos clients.
Notamment en Chine, où ces ondes sont particulièrement présentes. S’agit-il toujours du premier marché pour Omega?
Oui avec Hong-Kong. Puis viennent les Etats-Unis, et l’Europe. Et le Japon, où nous bénéficions d’une très bonne image.
La montée en gamme opérée au début du siècle par Omega rimait-elle forcément avec haute technologie?
C’est dans l’ADN et l’histoire de la marque. Ceux qui la connaissent mal ne se souviennent d’Omega que de la période difficile d’il y a une trentaine d’années. Beaucoup trop de références, de quartz, des prix entre 1000 et 2000 francs, alors que nous sommes aujourd’hui entre 6000 et 9000. C’est d’abord la qualité du produit, avec les grands succès de la Planet Ocean ou de la Speedmaster, comme à l’interne, avec le mouvement maison qu’est le coaxial, qui justifie cette montée en gamme. Elle s’est clairement accompagnée d’une profonde reprise en main de la distribution.
C’est-à-dire?
Nous n’aurions pas pu vendre nos produits actuels avec le réseau de distribution d’alors(environ 8000 détaillants contre un peu plus de 3000 aujourd’hui, ndlr.). Il n’y a rien de pire que d’entrer dans un magasin intéressé par une belle montre et d’en savoir davantage que le vendeur à son sujet. Or, c’était fréquent à l’époque.
Un personnel qualifié, c’est ce qu’il faut pour vendre Omega aujourd’hui?
Le monde et la demande ont évolué, les critères aussi. Nous avons mis la barre assez haut avec nos propres boutiques, et la distribution a dû s’adapter. C’est un premier point capital. Au-delà des critères habituels d’emplacement, de volumes de vente, de capacité d’entretien, il faut adhérer à un certain univers propre à Omega. Et puis, il convient que les autres marques proposées restent dans un segment proche du nôtre.
La société possède désormais 349 boutiques dans le monde, dont 133 en exclusivité. Au point de signer la mort des détaillants traditionnels?
Pas du tout. Dans le segment que nous occupons aujourd’hui, il est en revanche exact que leur renforcement correspond désormais à une nécessité commerciale. Nous sommes dans une époque où le «branding» devient capital, où les gens achètent davantage une marque qu’une montre spécifique. Bien ou mal, c’est ainsi et il faut en tenir compte dans la manière de vendre.
Votre musée se situe juste en face de votre quartier général, à Bienne. Sa visite, tout comme le fait qu’Omega fut la première marque à ouvrir un tel musée, rappelle que les liens unissant Omega et la technologie sont une vieille histoire...
Oui, il ne faut pas oublier que dès son origine, et pendant longtemps, le nom de la marque n’a rien d’usurpé et que nous étions au top de la précision et de l’invention. Par exemple, en sortant l’Omega Marine, la première montre de plongée de série en 1932 déjà, ou encore avec la Ladymatic, la première montre automatique pour dame des années cinquante, qui était équipée du plus petit calibre certifié de série.
Cette remontée en puissance aurait-elle été possible sans l’appui d’un grand groupe?
Non. Pas parce que le Swatch Group est un grand groupe, mais parce que c’est un grand groupe industriel qui dispose de très
importantes ressources internes, notamment du côté de Nivarox ou du secteur recherche et développement de l’entreprise ETA SA manufacture horlogère suisse, qui ont joué un rôle majeur dans le développement du coaxial. Après l’intuition géniale de Nicolas Hayek de racheter le brevet technologique du coaxial (qui réduit les frottements mécaniques, ndlr.), nous n’avons mis que neuf ans pour en faire un mouvement mécanique produit industriellement.
Diriez-vous que la marque se trouve de nouveau à sa juste place?
Tout à fait, parce que nos produits ont un prix justifié. La montre que je porte aujourd’hui, la nouvelle Speedmaster «Grey Side of the Moon» avec boîtier céramique, rencontre un joli succès. Elle coûte près de 11’300 francs suisses. Soit bien davantage que l’essentiel de notre gamme comprise entre 6000 et 8000 francs. Cela signifie que nous sommes crédibles même dans un créneau supérieur au nôtre, et cela constitue naturellement un grand motif de satisfaction.
Donc, au fond, rien n’est plus logique que d’avoir choisi Omega comme navire amiral en consentant de gros investissements pour repositionner la marque dans le haut de gamme?
On peut sans doute le dire comme cela. Par son histoire, donc, mais aussi par son nom, qui n’est pas celui d’une famille ou d’un fondateur, mais de son mouvement mécanique de base. Aujourd’hui, certains affirment que se lancer à fond dans le quartz était une aberration. C’est oublier la logique de la marque. Dans les années 80, le quartz représentait l’avenir, et l’horlogerie suisse était très avancée dans le domaine. Omega a d’ailleurs alors conçu la montre quartz la plus précise au monde, la mégaquartz. Il était dans la vocation d’Omega de relever ce défi. Qu’il y ait eu des erreurs sanctionnées ensuite par un contexte international dégradé, c’est indéniable, mais c’est une autre question.
Ce repositionnement, d’abord un grand défi industriel ou marketing?
En tout cas, on peut contrôler le premier, et beaucoup moins le second. Nous avons investi pour créer les meilleures montres avec une production industrielle de pointe sans laquelle ce serait impossible.
Le marketing, le travail sur l’image, ne viennent qu’en second lieu. Et demeurent à mon sens vains s’il n’y a pas d’abord un fondement solide.
Qu’est-ce qui sépare Omega d’une marque de haute horlogerie?
Nous avons un mouvement tourbillon, conçu il y a une vingtaine d’années, et le gardons. Mais, quelque part, ce n’est pas notre vocation. De plus, faisant partie d’un groupe très verticalisé, ce serait un non-sens de vouloir aller dans ce segment déjà occupé par d’autres marques du Swatch Group comme Breguet ou Blancpain. Cela dit, techniquement, nous le pourrions. Grâce à notre appareil de production, nous sortons 500’000 mouvements coaxiaux, d’une complexité extrême, chaque année. Sur un plan industriel, peu de marques peuvent en dire autant.
Omega ne joue pas beaucoup la carte de la nostalgie. Quelle est la recette pour trouver le juste équilibre entre le respect de l’histoire et de la tradition et le développement technologique?
Certains ignorent que nous sommes allés sur la lune avec la Speedmaster, surnommée Moonwatch. Omega est chronométreur officiel depuis 1932. Avec le Comité international olympique (CIO), nous avons une histoire commune déjà vieille de plus de 80 ans.
Nous avons un passé très riche mais nous ne voulons pas pour autant constamment regarder en arrière.
Avec le travail de matériaux comme la céramique, le coaxial, cette nouvelle certification antimagnétique, nous
préférons nous tourner vers l’avenir.
Avec les Jeux olympiques, vous mariez l’histoire de la marque et la technologie avec la nécessaire précision du chronométrage…
Sans cela et quelque 260 employés envoyés par exemple aux JO de Sotchi, les Jeux ne pourraient tout simplement pas avoir lieu. Nous sommes sous contrat en tant que chronométreur avec le CIO jusqu’en 2020. Notre relation est ancienne, et elle va perdurer.
Votre présence dans le golf, c’est parce que le foot était pris par d’autres?
Pas du tout! Nous sommes sur les greens depuis plusieurs décennies. D’abord en Asie, puis aux Etats-Unis où nous venons de prolonger notre partenariat avec l’Association des golfeurs américains (PGA of America). Nous sommes également sponsor de l’European Masters de Crans-Montana, des tournois de Dubaï et de plusieurs champions de golf. Ce sport est de longue date un vecteur de communication important pour Omega. Je vous rappelle qu’il existe un lien avec les JO puisque le golf redevient un sport olympique l’année prochaine à Rio. Et il n’est pas exclu que la technologie du chronométrage amène quelques aménagements intéressants.
Omega a son lot d’ambassadeurs parmi les célébrités. George Clooney fait-il mieux vendre que ce bon vieux James Bond?
James Bond est surtout concentré au moment où sort un nouveau film, tous les trois ou quatre ans. Les gens rentrent dans un magasin et veulent la montre de James Bond. George Clooney avec une Omega au poignet, c’est quelque chose de moins direct, de plus subtil. Le message d’une certaine sorte d’élégance. Comme avec Cindy Crawford ou Nicole Kidman. Je vous rappelle aussi qu’après la lune, nous nous tournons vers le soleil dans notre partenariat avec le projet Solar Impulse (lien en anglais). Une autre façon pour nous de regarder l’avenir.
Dans une Omega coaxiale, quel est le pourcentage des pièces 100% Swiss made?
La totalité! A part les diamants, lorsqu’il y en a, et exception faite de certains bracelets en cuir fabriqués en Europe voisine.
Texte © Migros Magazine | Pierre Léderrey
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