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C'est un peu comme un objet de curiosité que l’on regarde la jeune société Badollet. Normal: la marque horlogère vient à peine d’être créée à Genève, terrain de jeu privilégié des plus grandes manufactures du monde, et affirme son ambition de s’ancrer sur leur segment d’activité, le très haut de gamme. Diantre! La stratégie est audacieuse, diront certains. De l’inconscience pure, rétorqueront les pessimistes.
Et pourtant. Partie à la recherche de son incroyable passé horloger – au 18-19e siècle, Jean-Jacques Badollet travailla rue de Thionville aux côtés de grands noms tels que Lépine et Breguet – la marque genevoise suscite déjà un vif intérêt des spécialistes du secteur. Ce, alors que les premiers modèles ne sortiront que fin février.
Pour Aldo Magada, CEO de Badollet, le risque est donc calculé. Face à l’émergence de la multitude de marques fashion qui ont envahi le marché de l’horlogerie ces dernières années, la société qu’il dirige a même de grandes chances de se distinguer. «L’horlogerie, c’est un vrai métier. Pour s’imposer, il faut une légitimité», souligne-t-il.
Sans oublier une certaine passion. Familier de l’industrie du luxe – l’homme a notamment exercé ses talents de manager chez Piaget, Omega, Ebel, Gucci ou encore Reuge –, Aldo Magada espère conquérir les collectionneurs avec une stratégie basée sur la vraie exclusivité. Interview.
Pourquoi créer une marque horlogère dans cet environnement si concurrentiel?
J’ai été contacté par un groupe d’investisseurs allemands actifs dans le domaine de la finance mais passionnés d’horlogerie. Certains d’entre eux sont des collectionneurs avertis. Ils souhaitaient réagir à l’arrivée de toutes ces marques opportunistes sur le marché de l’horlogerie. Cette situation entraîne un appauvrissement du secteur.
Comment?
Il n’y a plus de véritable développement de produits. Certains s’imaginent qu’il suffit de mettre un nom sur cadran pour devenir horloger. Mais on ne devient pas Federer en commençant le tennis à 20 ans! Il y a donc encore de la place pour ceux qui se tournent plus vers l’horlogerie que l’opportunité financière. Nous ne voulons pas créer des montres spectaculaires, mais une entreprise pérenne.
Comment avez-vous connu Badollet?
Nous souhaitions reprendre un nom jouissant de fortes racines horlogères. L’un de nos investisseurs a fait la connaissance d’un héritier de la famille genevoise Badollet. Nous avons découvert une dynastie d’horlogers qui, de père en fils, ont suivi l’aventure du garde-temps de façon ininterrompue pendant 300 ans, jusqu’en 1924. Nous avons alors commencé un travail historique.
Pourquoi?
Cela fait partie de notre philosophie. Badollet a travaillé avec les plus grands sans jamais renier leurs traditions. Ce patrimoine représente nos valeurs. Nous avons ainsi retracé le passé de la marque avec l’aide de l’ Université de Genève et du Musée de l’ Horlogerie.
Quelles sont ces valeurs?
Un esprit typiquement genevois, empreint de discrétion et de calvinisme. A Genève, le luxe n’est pas le superflu. La réflexion est plus confidentielle. Sans tapeà- l’oeil.
Votre positionnement s’affirme sur le très haut de gamme. Comment comptez-vous faire la différence?
En affirmant notre volonté de poursuivre le développement de produits néoclassiques, mais très performants. L’utilisation des nouveaux matériaux très en vogue actuellement ne sera envisagée que pour renforcer la technicité de nos montres. L’un de nos modèles possédera par exemple une platine en météorite, mais l’objectif n’est pas d’être dans la tendance. La météorite est un matériau difficile à travailler. Une notion d’exclusivité appréciée par les collectionneurs.
Quelle part de marché comptezvous conquérir?
On estime actuellement à environ 900 millions le marché de l’horlogerie très haut de gamme, et son potentiel est en croissance. Nous espérons d’ici 5 à 7 ans gagner 10% de ce segment.
Est-ce à dire qu’en 2015, Badollet aura sa propre manufacture?
Avant de penser production, nous espérons d’abord obtenir la maîtrise technique. En Suisse, l’horlogerie est faite d’un réseau formidable de PME. C’est cela aussi que nous voulons revendiquer.
Tribune de Genève / Florence Noël |