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Roger Dubuis: Les dessous d’une rupture
 
Le 10-01-2008

La marque horlogère a-t-elle grandi trop vite? Les conflits succèdent aux conflits. Leurs racines sont profondes. Avec Roger Dubuis. Son distributeur en Amérique. Son principal actionnaire.

Derrière le luxe et les paillettes, il y a les hommes. Et avec l’homme, rien n’est jamais simple. Surtout lorsqu’il y en a deux. Certains seront tentés de citer l’exemple de Vacheron Constantin. Faux: Jean-Marc Vacheron a créé sa maison en 1755. François Constantin ne l’a rejoint qu’en 1819. Qu’en est-il alors de Patek Philippe? Antoine Norbert de Patek, un officier polonais en exil, se lance dans l’horlogerie en 1839. Il sera rejoint par le Français Adrien Philippe six ans plus tard et, effectivement, l’alliance a bien fonctionné. Plus récemment, le groupe Franck Muller a vécu des heures sombres lorsque Vartan Sirmakes et Franck Muller ont lavé leur linge sale en public, avant de trouver un terrain d’entente. On peut aussi prendre l’exemple de la Manufacture Roger Dubuis. Carlos Dias, cofondateur de cette société, a souvent rappelé que, dans l’histoire des marques horlogères suisses, «il y a presque toujours eu un commercial venu de l’étranger s’alliant avec un horloger local».

Voilà des années déjà que l’horloger qui a donné son nom à cette maison n’a plus son mot à dire. Poussé vers la sortie, Roger Dubuis était en 2003 en discussion avancée avec le groupe Franck Muller. Il aura fallu que la presse en parle pour que les deux hommes se réconcilient officiellement. Roger Dubuis est néanmoins sorti du conseil d’administration («Sachez que je prends cette décision irrévocable après mûre réflexion et qu’elle est associée à d’amers regrets»), tout en gardant ses actions (3%).
Les choses ne se sont pas arrangées. Le rôle de Roger Dubuis dans la société du même nom est complètement occulté. Son nom a complètement disparu du site Internet officiel de la marque ( www.rogerdubuis.com ) . On n'y parle que de Carlos Dias. Pourtant, la Société Genevoise de Montres (Sogem, rebaptisée en août 1999 Manufacture Roger Dubuis) n’aurait pu voir le jour en mai 1995 sans Roger Dubuis (ancien de Patek Philippe passé maître dans le développement de complications) et sans un certain Fernando Gonçalves qui a injecté les premiers millions nécessaires. Mais, comme le relevait le magazine Montres Passion en avril 1998 déjà: «Ces deux-là sont l’eau et le feu.»

Dispute. Aujourd’hui, les regards se sont à nouveau tournés vers la manufacture à l’occasion de la vente le 10 septembre 2007 pour 55,43 millions de francs de son département de micromécanique à une entité créée pour l’occasion par le géant du luxe Richemont. A cette occasion, le personnel fixe concerné (189 employés) ainsi que le personnel temporaire (22) font partie du transfert. Précisons que cette somme devait prioritairement servir à amortir les créances de Credit Suisse.
Cette vente, qui place la manufacture dans une situation de forte dépendance vis-à-vis de Richemont, s’est opérée malgré l’opposition d’Akram Aljord, lequel détient 40% des parts de la manufacture. Son représentant, Me Gregory Connor, a entamé une action devant le Tribunal genevois de 1re instance. A ses yeux, la cession du département de micromécanique équivaut à une liquidation occulte de la société. «Ce qui nécessiterait alors d’obtenir six septièmes des voix», ajoute l’avocat. Or, Carlos Dias n’en possède que 56,5%.
Lors de la dernière assemblée générale des actionnaires, le 30 août dernier, Akram Aljord a proposé d’offrir 20% de plus que l’offre du groupe Richemont. L’homme d’affaires affirme même avoir proposé de maintenir Carlos Dias à la direction de la manufacture, avec la possibilité pour ce dernier de racheter dans le futur le département en question.
Rien à faire. Carlos Dias a refusé. Le designer et homme d’affaires s’est refusé à faire le moindre commentaire. Une position adoptée depuis avril déjà.

Administrateurs. Impossible de savoir s’il compte respecter la décision de justice rendue le 21 juin 2007. A cette date, le Tribunal arbitral ordonne à Carlos Dias de se conformer en tous points aux clauses du pacte d’actionnaires de juillet 2003 (lequel octroyait 50% des voix à Akram Aljord), ainsi que de convoquer dans les 30 jours une assemblée générale extraordinaire et d’y voter la nomination d’Aljord au conseil, ainsi qu’un second représentant désigné par cet actionnaire.
Or lors de l’assemblée générale qui a suivi cette sentence, soit le 30 août, Carlos Dias n’a pas voulu suivre ce jugement: «Le conflit permanent qui m’oppose à M. Aljord constitue un obstacle au développement de l’entreprise. (…) J’ai donc décidé de me retirer du conseil et j’ai demandé à ma fille d’adopter la même attitude», a-t-il déclaré ce jour-là. Il propose alors l’élection de trois administrateurs qualifiés «d’indépendants» car «n’occupant aucune fonction opérationnelle au sein de la société».
Il s’agit de Michel Dary, un ressortissant français qui fut député européen de 1994 à 2004 sous les couleurs du Parti radical de gauche. Dans le who’s who français, on apprend qu’il est «conseiller du président de la manufacture Roger Dubuis à Genève depuis 2005 et président de l’entité française de la société horlogère.» Deuxième administrateur proposé: Oscar Hernan, dont la fiduciaire s’est occupée du groupe dès 1996. Et enfin, Denis Mathey, un ancien juge d’instruction qui s’est spécialisé dans les assainissements d’entreprises.

Convocation. Lors de cette fameuse assemblée, Michel Dary, Oscar Hernan et Denis Mathey sont élus à la quasi-unanimité. En revanche, Akram Aljord et son second représentant n’obtiennent que 430 000 voix (soit les siennes et celles de Roger Dubuis). Depuis lors, la substitut du procureur général, Linda Chabal, a écrit au représentant de Carlos Dias pour que son client se conforme à la sentence finale. Sans succès.
Interrogé à ce propos, Daniel Zappelli, procureur général genevois, est pessimiste: «Il y a deux possibilités: soit envoyer la police pour tenter d’obtenir la convocation d’une assemblée générale, soit sanctionner Carlos Dias par une amende (pouvant aller jusqu’à 10 000 francs).» Plus sérieusement, l’avocat d’Akram Aljord a d’ores et déjà demandé au Tribunal de 1re Instance qu’il convoque cette fameuse assemblée, comme peut le faire tout actionnaire détenant plus de 10% des titres. Reste à savoir si Carlos Dias acceptera enfin de respecter la décision de justice.
Autre nuage au-dessus de la superbe manufacture de Meyrin-Satigny: la procédure arbitrale en cours opposant la Manufacture Roger Dubuis à son distributeur américain (Helvetia Time Corporation). En effet, en novembre 2005, Carlos Dias avait décidé de résilier le contrat de distribution pour l’Amérique du Nord, tandis qu’Helvetia Time Corporation avait introduit une procédure concluant au paiement d’un demi-million de francs pour des frais de publicité. Suite à cette rupture de contrat, le chiffre d’affaires de l’horloger genevois aurait chuté de 102 à environ 80 millions de francs. Mais il semble qu’un accord ait été passé avec Richemont justement afin de soutenir la distribution de la marque dans cette région.

En cinq épisodes

1999: Aventic (fonds de capital-risque d’UBS) prend environ 30% du capital (avant qu’il ne ressorte et qu’Akram Aljord monte à 40%).

2002: Inauguration de la manufacture Roger Dubuis à Meyrin (2526 m2 pour 120 salariés).

2005: Achèvement de l’agrandissement (11 000 m2 supplémentaires pour un total de 370 salariés). Le chiffre d’affaires dépasse les 100 millions de francs.

Janvier 2006: Résiliation du contrat de distribution pour l’Amérique du Nord.
Septembre 2007: Vente du département de micromécanique au groupe Richemont.

PME Magazine / Serge Guertchakoff

 



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