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DE GRISOGONO mobilise le Béjart Ballet Lausanne comme support de présentation d’une montre mécanique particulièrement surprenante : la Mecannico dG
C’est au Grand Théâtre de Genève que de Grisogono, la manufacture genevoise qui fêtait cette année ses quinze ans, a choisi de dévoiler sa nouvelle montre à complication baptisée Meccanico dG. Un vrai spectacle, conçu autour de ballets du Béjart Ballet Lausanne, dont on a dit qu’il faisait sa première apparition sur une scène genevoise.
Montres et entrechats : le parallèle n’est pas évident au premier regard. Il le devient – et on s’étonnera que personne n’y ait songé auparavant – quand on succombe à la fascination du spectacle béjartien et qu’on se prend à rêver aux multiples analogies qui se présentent à l’esprit dès qu’on réfléchit à la similitude des démarches qui guident la création d’un ballet contemporain et la création d’une montre de la nouvelle génération horlogère. On peut même se dire que cette horlogerie post-moderne est aux montres classiques ce qu’une mise en scène de Béjart est au Lac des cygnes façon tutu…
Chez les horlogers de haut vol comme chez les danseurs contemporains, tout est affaire de mouvement, avec une infinie patience accordée au traitement de chaque détail, une extrême précision dans les enchaînements des différents éléments lancés dans une même dynamique ou une implacable vérité dans le rendu final de la composition.
Un somptueux Oiseau de feu était au rendez-vous. Le temps d’un surprenant Mozart et après un Boléro (Ravel) d’une puissante et sourde sensualité, on voyait se dessiner sur un écran géant les éléments d’une montre dont on comprenait qu’elle était à la fois classique (trois aiguilles) et pas classique du tout, voire hyper-moderne avec des éléments d’affichage numérique un peu incongrus dans l’univers de la haute horlogerie, et même des composantss mécaniques encore jamais vus dans cet univers, des câbles, des cames, des cliquets ou des bascules d’un type radicalement innovant.
Pour le grand public des VIP et des journalistes, la montre n’était qu’en vitrine. Seuls quelques initiés ont pu la prendre en main et tester à la fois sa taille imposante (56 mm x 48 mm, avec une impressionnante épaisseur compte tenu de sa forme anguleuse, les lignes restant fluides, dans l’esprit du design cher à Fawaz Gruosi), mais aussi son indéniable présence au poignet et son indéniable originalité de talking piece : le porteur devra se préparer à affronter les questions de son entourage concernant cette montre étrange, sculptée dans le titane, l’or rose et le caoutchouc, dont le cadran mélange symétriquement des aiguilles classiques et des chiffres qu’on croirait repris d’un ordinateur primitif…
Contrairement à ce qui a pu être dit (quinze ans, même pour une marque, c’est l’âge où il est de bon ton de croire qu’on sait tout et qu’on connaît le monde), l’affichage « digital » est une très ancienne tentation des horlogers les plus créatifs. Le mot « numérique » serait d’ailleurs plus approprié pour indiquer que les heures et les minutes sont exprimées par des chiffres et non par des aiguilles. On propose des horloges à affichage digital dès le XVIIIe siècle et ce type de « complication » n’est pas rare dans les montres de poche de la fin du XVIIIe siècle.
Cet affichage en chiffres des heures et des minutes sera massivement repris par les premières montres électroniques : inspirés de l’ordinateur Hal vu dans 2001, l’Odyssée de l’espace, les diodes rouges de la première Pulsar avaient créé un choc esthétique majeur au début des années soixante-dix. Les progrès de l’électronique et des cristaux liquides aidant, cet affichage a fini par connaître une telle diffusion mondiale qu’il est devenu synonyme de montres bas de gamme (on produit aujourd’hui en Chine des montres « digitales » pour moins d’un franc suisse).
Depuis les années quatre-vingt-dix, les montres mécaniques ont repris le dessus, y compris dans la catégorie des heures décomptées sans l’aide d’aiguilles. Aujourd’hui encore, les montres à « heures sautantes » enchantent les amateurs, même si les minutes « numériques » sont infiniment plus rares (une des dernières dans étant létonnante Opus III, commandée par Harry Winston à Vianney Halter en 2003, mais toujours pas livrée tellement elle était d’un agencement et d’un réglage complexe). Avec son Indicator, Porsche Design avait également tenté, non sans succès, un fascinant affichage digital des heures, des minutes et des secondes du chronographe…
C’est dire à quel point la Meccanico dG est attendue au tournant : Fawaz Gruosi, qui en a eu l’idée, pourra-t-il effectivement vaincre la malédiction qui s’attache à ces pièces d’horlogerie hyper-créatives (en plus de l’Opus III, on se souviendra des malheurs de la Monaco V4, dont les rouages sont entraînés par des courroies, que TAG Heuer n’annonce pas avant 2009) ?
Précisément, de même que Jean-Christophe Babin a choisi une « rupture mentale » avec les routines intellectuelles de l’horlogerie en faisant développer sa Monaco V4 par des ingénieurs venus de l’aéronautique, Fawaz Gruosi a fait imaginer le mouvement de sa Meccanico dG à un bureau d’études extérieur au milieu horloger.
Le défi n’était pas mince : un seul mouvement, deux fuseaux horaires (dont deux heures différentes) exprimés l’un par des aiguilles, l’autre par des chiffres. Impossible, disaient les horlogers, qui prétextaient l’insuffisance de couple et l’impossibilité d’effectuer des changements de chiffres sans « pomper » trop d’énergie sur le mouvement et donc empêcher tout fonctionnement durable et précis de la montre.
Non spécialisé et donc non complexé et sans ces visières que peut donner un héritage horloger parfois contraignant, le bureau d’études genevois mobilisé par le projet Meccanico a imaginé une « usine à gaz » de 651 composants, capable de donner une première heure par des aiguilles traditionnelles et d’afficher une seconde référence horaire par un « tableau » de chiffres composés de micro-segments entraînés par un système de 23 cames synchronisées par des engrenages.
Pour donner une idée de la complexité, les segments verticaux mesurent 9 mm de hauteur et pèsent moins de 25 milligrammes. Les segments horizontaux mesurent 2,9 mm de longueur et pèsent 10 miligrammes. Ils effectuent une rotation instantanée de 90° pour indiquer, grâce à leur face colorée, les heures (dizaines et unités) et les minutes (dizaines et unités) : selon ces heures et pour « écrire » les chiffres sur ce « tableau », l’animation peut concerner de deux à douze segments.
Au dos de la montre, une réserve de marche indique, par aiguille, une autonomie de 35 heures (ce qui est assez médiocre, mais peut-on demander plus à une montre aussi innovante). Le remontage de l’ensemble s’effectue par une couronne de remontage classique à trois heures (un élégant hémisphère de caoutchouc), deux poussoirs annexes (également en caoutchouc) permettant de régler les heures (à 8 h) et les minutes (à 4 h) du second fuseau horaire.
Selon les versions (titane, or rose, platine), les aiguilles et les chiffres proposent des couleurs d’affichage assorties. Cette Meccanico dG sera éditée, dans chacun des deux modèles (titane et or rose), à 177 exemplaires – chiffre dont la symbolique n’a pas été expliquée par la marque…
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