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Dans la famille Hayek se cache un petit-fils. Héritier de l'empire qui a démocratisé la montre, Marc Alexander dirige la très select manufacture Blancpain. Rencontre avec un jouisseur de luxe pas blasé.
L'écrin ne fait pas le bijou. A Paudex, les locaux administratifs de la prestigieuse maison Blancpain n'ont rien d'élégant. Tout le contraire des montres que la marque crée. Assis dans son fauteuil de ministre, cigare à la bouche, son président et directeur a des airs de baron héritier. Très éloignés du jeune homme simple, réaliste et passionné qu'il semble être. Le cigare, il aime ça, mais pour la photo, c'est davantage un signe extérieur de rébellion face à l'hygiénisme actuel que de richesse.
Ni Ferrari ni design Tout est dans le contraste. Pas dans le paradoxe pour autant. Trésors de complexité de plusieurs centaines de pièces, les mouvements placés dans le ventre de certaines montres de la marque ne sont pas faits pour accompagner le swing des joueurs de golf. «Comme une Ferrari n'est pas appropriée pour partir aux champignons», sourit Marc Alexander Hayek, profitant de l'occasion pour parler d'une de ses nombreuses passions. La cueillette des champignons, donc. Les voitures, bien sûr, il aime aussi, mais par forcément pour leur carrosserie. C'est plutôt une histoire de cylindrées, donc de discrétion, donc de vrai luxe. «Rien à voir avec le snobisme. Quand on aime quelque chose, ce n'est pas pour le plaisir de la montrer une fois achetée, mais pour le plaisir d'en profiter.» Alors, chez le petit-fils Hayek, les bonnes bouteilles se boivent, les entêtants cigares se fument et les belles montres ronronnent sous la manche de la chemise et non dans un coffre-fort.
Il dit que c'est son côté gamin. Possible. Il y a dans ses yeux étrangement (mais naturellement) clairs l'enthousiasme de ceux qui rêvent aux choses parce qu'elles sont inaccessibles. Son origine aurait pu le destiner à être blasé. Son originalité l'a sauvé de son blason. Hayek III, comme le surnomment certains, avance à l'envi et peut se les permettre, ses envies.
Dans son bureau, le CEO et président de Blancpain est rarement statique sur le siège en cuir démodé qu'il a choisi - «Je n'aime pas beaucoup les objets design.» Il vole et virevolte partout dans son entreprise. Sa conception du management passe par le regard qu'il pose sur l'épaule de ses collaborateurs. Pas pour surveiller, mais pour partager. «Je ne supporte pas d'attendre la prochaine séance quand j'ai envie et besoin de discuter avec quelqu'un, alors j'y vais», à Bienne, dans la vallée de Joux, à l'autre bout du monde. Son idée des affaires, elle, fait aussi un détour par la relation privilégiée avec le client ou le détaillant. Pour aider: une armoire à cigares dans un coin du bureau, une autre pour les vins dans un autre. Pour aider. Surtout et encore pour faire et se faire plaisir.
Marc Alexander Hayek est stressé. Il le dit et cela se voit. D'ordinaire adepte des barreaux de chaise, il a empoigné souvent ces temps-ci son paquet de cigarettes pour se donner une contenance avant le grand événement annuel du monde de l'horlogerie qui a lieu dans quelques semaines: la Foire de Bâle. Là-bas, il côtoiera ou affrontera ses concurrents. Parfois même sa famille, détentrice d'autres marques de renom.
Et le sien, de nom? «Je ne le cache pas, mais je ne le mets pas en avant non plus.» Un patronyme qu'il traîne moins que son étiquette de «petit-fils de» puisqu'il l'a choisi. Fils de la fille de Nicolas Hayek senior, Nayla, Marc Alexander a un père Suisse alémanique dont il a porté le nom enfant. Au divorce de ses parents, il est élevé par ses grands-parents et décide alors d'entrer pour de bon dans son clan naturel, en devenant un Hayek sur le papier aussi.
Derrière le zinc Timide pour de vrai, on découvre aussi qu'il y a de l'humilité dans sa retenue et ses petites mimiques gênées. Marc Alexander n'aime pas parler de lui. De ce qu'il est, de qui il est. Il préfère vanter les montres de son entreprise plutôt que sa personne et s'extasier du savoir-faire de ses collaborateurs plutôt que mettre en avant son génie créatif. Les montres Blancpain, ce sont un travail d'équipe, même si le premier dessin, c'est souvent le chef qui l'a griffonné sur un papier. Tout comme il a ébauché le surprenant coupe-cigares qui trône sur sa table. Pour se faire plaisir.
Marc Alexander Hayek est le patron, mais pas seulement une tête. Monsieur sait pêcher et adore sortir sa petite barque tôt le matin sur le lac Léman. Monsieur est aussi un oenologue diplômé qui s'est, cinq ans durant, mis derrière le zinc et a servi lui-même les clients du bar à vins et à cigares qu'il avait ouvert à Zurich. Il pense encore à cette époque-là avec douceur. Sans regret. «Quand une passion devient une profession, le plaisir n'est plus le même et il faut songer à changer.» La maison de haute horlogerie Blancpain a peut-être du souci à se faire: Marc Alexander Hayek est fou de ce bijou de manufacture et de ses montres.
Le Matin Stéphanie Germanier |