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BABY BOOM : une grosse vingtaine de nouvelles marques vont tenter leur chance pendant les salons horlogers.
Signe de vitalité ou symptôme de décadence ? Les candidats au partage du gâteau horloger sont cette année particulièrement nombreux. Décompte et explications de cette effusion.
Même dans les périodes les plus euphoriques des « bulles » horlogères, on n’avait jamais vu une telle floraison de nouvelles marques et de prétendants au podium horloger.
Baselworld explose et, faute de pouvoir pousser les murs, recrée des espaces horlogers entre le Hall 1 et le Hall 2, déjà largement colonisé par les marques de montres. Ce qui n’empêche pas un bataillon grossissant de maisons horlogères de tenter leur chance hors des bâtiments officiels, qu’il s’agisse de groupes internationaux comme les Américains de Fossil ou de petits indépendants débrouillards comme Hautlence, Favre-Leuba ou Marvin.
Même situation à Genève, où les différents espaces d’exposition parallèles au SIHH regroupent déjà deux fois plus de marques « indépendantes » que le SIHH lui-même. Cette année, avec quarante-six marques annoncées entre le SIHH et les salons « off », Genève frôlera l’overdose, mais ce n’est rien par rapport à l’apoplexie qui menace pour janvier 2008, date du prochain SIHH.
De nombreuses maisons officiellement présentes à Bâle en avril profiteront du SIHH pour monter des opérations à Genève, soit dans leurs boutiques de centre ville, soit dans leurs manufactures de la périphérie. Le groupe Swatch compte bien exploiter en janvier le potentiel de sa Cité du Temps, au cœur de Genève. Le groupe Franck Muller Watchland en profitera même pour tenir non pas deux WPHH (janvier et avril), mais trois, avec un salon inattendu (mais commercialement très malin) en août…
Cette remise en question programmée de l’organisation classique des salons horlogers fait le bonheur des nouvelles « petites » marques, plus proliférantes que jamais dans le sillage des grandes références. Avec une grosse vingtaine de newcomers, 2008 s’annonce comme une année de baby boom horloger.
Plusieurs raisons à cette explosion démographique, strictement corrélée à l’explosion structurelle des salons de printemps :
• Le succès rencontré par les nouvelles marques lancées ces dernières années est un encouragement pour les candidats entrepreneurs. Qu’il s’agisse "dans des genres très différents" de Richard Mille, d’Hautlence, de MB & F, de BRM ou de De Bethune, il est désormais prouvé qu’on peut rapidement « faire son trou » si on a les bonnes idées et les bons fournisseurs. Et si on trouve les bons partenaires détaillants…
• Les outils numériques – solutions logicielles ou centres d’usinage– facilitent la mise en chantier immédiate de nouveaux concepts créatifs : la réduction à quelques mois du time to market profite aux petites comme aux grandes marques, mais la réactivité instinctive des nouveaux venus est sans commune mesure avec l’ankylose qui guette les grandes maisons.
• Les jeunes créatifs horlogers bouclent assez facilement des tours de table qui restent à la mesure des investisseurs privés, qui auront toujours la possibilité de refinancer, dans un second temps, auprès des fonds d’investissement et des private equities qui rôdent aujourd’hui autour du gâteau horloger. Au sein des grands groupes (Richemont, LVMH, Swatch Group, mais aussi Festina ou Timex), il existe des cellules spécialisées dans la détection des nouveaux talents, plus faciles à s’attacher discrètement en phase de décollage.
• Acheter une CNC, à partager éventuellement entre plusieurs partenaires, n’est plus une conséquence, mais un événement précurseur. Tout parc machines est aujourd’hui immédiatement valorisable, tant la pénurie sévit gravement chez les fournisseur de l’horlogerie traditionnelle. Les watch valleys fourmillent de jeunes équipes qui travaillent encore dans leurs garages, une partie de la journée pour des marques extérieures, l’autre partie – souvent la nuit – pour mettre au point, entre copains, les boîtiers et les mouvements innovants de demain.
• Grâce à Internet, qui assure un tam-tam mondial, il suffit d’avoir quelques copains journalistes pour faire « monter » une mayonnaise médiatique capable de faire craquer les premiers détaillants et de faire tomber les premiers acomptes. Ce n’est généralement pas la livraison des cinquante premières pièces qui pose problème, mais les suivantes. Pour faire patienter les clients, il suffit de maintenir la pression médiatique (teasing, « fuites » organisées, effets d’annonce). Toute ressemblance avec une marque existante ou ayant existé est évidemment fortuite…
Bref, il n’a jamais été facile de créer sa marque et de tenter sa chance. Beaucoup ne se privent pas d’essayer. Dieu reconnaîtra les siens…
Parmi les candidats les plus intéressants à suivre pendant les salons, que ce soit pour de bonnes ou de mauvaises raisons, on peut distinguer (par ordre alphabétique pour ne froisser aucune susceptibilité) :
• Badollet : du lourd, du sérieux et de la vision à long terme, avec une équipe (Aldo Magada, Sandro Arabian) qu’on a bien connue dans d’autres marques et qui bénéficie d’un capital de confiance non négligeable. L’idée est de refaire de la haute horlogerie, classique par son respect des principes mécaniques et de la bienfacture genevoise, mais contemporaine par son esthétique. Au final : une collection assez sage, servie par un marketing impeccable et des moyens de communication à la hauteur des ambitions d’une marque qui veut d’emblée tutoyer les plus grandes. A découvrir à Genève pendant le SIHH.
• Cabestan : c’était un peu l’Arlésienne de la nouvelle horlogerie conceptuelle, avec son tourbillon vertical, son architecture de rouages juxtaposés, son énergie régulée par fusée-chaîne et son boîtier totalement hors normes. Jean-François Ruchonnet en a terminé avec son parcours du combattant : sa première Cabestan – si emblématique des concept watches décapantes qu’elle a été choisi pour un co-branding ultra-oxydé avec Romain Jerome – est actuellement terminée dans la micro-manufacture de la marque, installée en vallée de Joux, avec Romain Gautier et Philippe Dufour (excusez du peu) pour veiller au grain. Une star de l’horlogerie compliquée vient de rejoindre cette équipe, ainsi qu’un manager célèbre dans la vallée. L’aventure ne fait donc que commencer : on le vérifiera à Chouilly, près de Genève, off SIHH.
• Maîtres du Temps : la montre Chapter One est la grande inconnue de ce printemps, avec l’attelage inattendu de Christophe Claret (un des plus brillants concepteurs-constructeurs de sa génération, « père » d’innombrables innovations au cours de ces dernières années), de Peter Speake-Marin (créateur horloger indépendant), du maître-horloger retraité Roger Dubuis – en rupture avec sa manufacture éponyme à Genève, parti dans ses montagnes , mais revenu par la fenêtre – et de Steven Holtzman, l’ancien agent américain de la manufacture Roger Dubuis, longtemps en procès avec Carlos Dias mais récemment dédommagé par le groupe Richemont qui a repris la distribution locale de Roger Dubuis. On avait aussi de Franck Muller en personne, mais il semblerait que l'opération n'ait pas été plus loin. Pas facile à suivre ! Mais sûrement étonnant comme nouvelle offre horlogère. A découvrir à Genève.
• Davidoff : la marque est puissante, l’image de marque magnifique, le management très sérieux et le business model bien structuré. Le secret (qui n’en est plus un depuis un an) a préservé juste assez de mystère pour qu’on s’interroge sur ce « débarquement » horloger de Davidoff, dont il faut rappeler les origines bâloises. Au final : des montres sans excentricité, relativement classiques, mais tout-à-fait dignes de la réputation internationale du label Davidoff (marque gérée indépendamment des activités cigarières qui ont fait sa réputation). A découvrir à Baselworld.
• Ellicott : ce maître anglais de l’horlogerie (John Ellicott, 1706-1772) méritait bien une marque à son nom et Finazzi, qui avait été un des créateurs initiaux des British Masters (Graham, Arnold) avait conservé la propriété du nom. Il propose cette année une collection de haute horlogerie créative, tant par l’esthétique (boîtiers musclés, cadrans sculptés, lignes affûtées) que par l’esprit mécanique, avec un double « rotor papillon » développé avec la complicité de Christophe Claret. Au final : des montres convaincantes, très contemporaines, parfaitement bien finies et capables de réveiller l’appétit de clients qui auraient perdu le goût des Royal Oak ou des Big Bang. A découvrir à Genève.
• Favre-Leuba : la marque est ancienne, mais l’ambition nouvelle et la première collection – plus ou moins dévoilée l’année dernière – fait sa rentrée dans le grand monde cette année. Boîtiers ultra-designés, avec des finitions superlatives, complications inattendues (un profondimètre mécanique inspiré d’une pièce du patrimoine de la marque) et un style sportif chic qui exprime une idée très contemporaine de la haute horlogerie. Ce n’est pas gagné d’avance pour cette jeune équipe, qu’on pourra découvrir dans ses propres locaux, à Bâle, en franchissant le Rhin le temps d’une échappée hors de Baselworld.
• Frédéric Jouvenot : une spécialité affichée (le chronographe automatique avec un rotor visible côté cadran et spécialement échancré pour rendre les compteurs lisibles), une bonne volonté évidente, l’expérience d’un atelier créatif de premier plan (Concepto, avec Valérien Jaquet) et un excellent réseau de proximité pour trouver des fournisseurs. Cela suffit-il pour construire une marque et l’inscrire dans la durée ? Frédéric Jouvenot affiche en tout cas la sympathique ardeur des néophytes. Signe des temps : il y a dix ans, il aurait revendu son idée à une grande manufacture pour une poignée de cacahuètes ; aujourd’hui, il se risque en solo. A découvrir, off, à Bâle et à Genève.
• Ladoire : Lionel Ladoire est un des jeunes talents de la « bande d’Hautlence », groupe informel lié par amitié à Guillaume Têtu et Renaud de Retz, les deux créateurs d’Hautlence. C’est avec eux qu’il a développé la base d’un mouvement assez extraordinaire dans ses circonvolutions, qu’il loge dans une boîte non moins époustouflante d’élégante complexité. Chaque détail fourmille de bonnes idées et une rumeur favorable se répand chez les grands détaillants internationaux, dont les plus malins ont déjà pris position. A découvrir à Genève, et sans doute à Bâle, dans les deux cas en off.
• Lutolf Philip : s’il y avait un Oscar de l’innovation la plus décoiffante de l’année, il irait sans discussion possible à Lutolf Philip, la marque déposée par Philippe Lutolf, jeune vétéran de quelques aventures horlogères passées. Il a choisi de rompre avec une tradition horlogère qui remonte au moins à 1475 : celle du ressort-moteur en spirale, auquel il préfère la force d’un ressort hélicoïdal pour recharger les barillets (qui ne servent plus que de « réserve d’énergie »). C’est ultra-révolutionnaire dans le principe, mais ultra-compliqué à mettre au point, avec un mouvement qui ne comprendra pas moins de 800 composants et une armature en strongnium, alliage créé pour supporter des tensions extrêmes. C’est aussi un peu fou comme défi, les baby boomers de la nouvelle horlogerie adore se mesurer à l’impossible. A voir à Genève.
• Marvin : si la marque existe déjà sur certains marchés, elle vivra cette année son premier salon. Le positionnement est périlleux, avec des propositions (généralement mécaniques) de moyenne gamme assorties d’un design contemporain qui reprend les grandes tendances de l’air du temps. Les prix sont accessibles et le potentiel d’autant plus intéressant que les « grandes » marques désertent ces prix moyens pour gravir les sommets. A découvrir à Bâle, à un jet de pierre de Baselworld.
• MCT : ce sont les initiales de Manufacture contemporaine du temps, une maison créée par Denis Giguet, un autre jeune talent de la « bande d’Hautlence » (voir ci-dessus), co-créateur d’une base mécanique qu’il a su réinterpréter à sa façon, avec une attention particulière portée à des affichages radicalement différents de l'heure. Côté design, MCT a travaillé avec Eric Giroud (qui a dessiné les "machines" de MB & F). Du pur concentré de nouvelle génération horlogère. A découvrir à Bâle, à côté de ll'espace Hautlence.
• Rebellion : une bande de gentils garçons, à n’en pas douter, qui cultivent un troublant mystère sur de fantastiques innovations et qui annoncent pas de moins cinq « mouvements manufacture », développés absolument in-house et dans le plus grand secret. Info ou intox ? On reste évidemment circonspect devant un tel effet d’annonce, qui se double d’une opacité totale sur l’entreprise et ses animateurs (on parle d'un célèbre motoriste-prototypiste, très sollicité par les jeunes marques), et c'est à Genève qu'ils lèveront le rideau sur leur sublime, forcément sublime nouvelle collection.
• Et aussi Cornelius & Cie (une association du maître-graveur hollandais Kees Engelbarts et de son compatriote Paul Pertijs, pour des montres Chromosome 46XY dotées de mouvements mécaniques vintage et de décorations très léchées), Gabor Kanabe (de la haute horlogerie conceptuelle suisse, avec un affichage orbito-excentrique des heures), Fontainemelon (trois passionnés de haute horlogerie qui veulent faire renaître un nom prestigieux de la tradition horlogère neuchâteloise), Haffstreuner (un nom allemand imprononçable pour des montres germano-asiatiques très lookées body-building), Jacqueline Urbach (montres de dame vues par une créatrice de joaillerie), Kudoke (montres allemandes créées par Stephan Kudoke), Louis Chevrolet (première collection officielle de chronographes musclés à prix accessibles), Mari Watches (un concept amusant de montre « flottante » avec boîtier en carbone et un mouvement ultra-léger, développé avec Les Ateliers Horlogers), Time For Ever (des héritiers helvétiques de VIP Time, en plus haut de gamme et en moins copié sur qui vous savez), Retrowerk ou De Boulay & Korn (deux noms de marques qui semblent devoir se prononcer avec l’accent chinois, mais avec un style « concept watch » à prix écrasé), Steinway & Sons (boîtiers et cadrans dans le style pianos de concert), Viator (un chronomètre Greenwich sur vingt-quatre heures et une collection de « montres de voyageurs »), plus quelques autres marques, pas forcément prêtes pour les salons, mais annoncées pour la fin 2008…
Et on ne parle pas des outsiders, qui tiendront salon sur les terrasses voisines de Baselworld ou dans les open bars du SIHH : rien dans les mains, tout dans les poches ! C’est là que se créent les vraies réputations…
G.P.
WORLDTEMPUS : le précédent record d’explosion démographique (2004 : 14 marques) est largement battu cette année. Ceux qui ont un peu de mémoire se souviendront que, quatre ans après, il ne reste plus guère que quatre ou cinq de ces marques dans la course (dont Hautlence, Villemont et Romain Jerome).
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