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Cartier de noblesse : pourquoi 2008 sera l'année Cartier
 
Le 17-04-2008

Cartier de noblesse

Cartier - SANTOS TRIPLE 100
Cartier - Collection Le Cirque Animalier
Ballon Bleu de Cartier tourbillon volant - Poinçon de Genève -

Contrairement aux autres "grandes" marques, Cartier a pris des risques créatifs en 2008 : la marque rafle la mise et affiche une insolence créative que renforce sa nouvelle identité haute horlogère.

Une évidence à l’issue des salons horlogers de printemps : si les « grandes » marques ont benoîtement assuré sans prendre de risques créatifs majeurs, les « petites » ont au contraire laissé exploser leur créativité tous azimuts – c’est bien normal, elles n’ont que leurs produits pour se défendre, quand les « grandes » bénéficient et de leur image et de confortables budgets de communication.
Une explication à cette pause créative, encore plus manifeste à Bâle qu’à Genève : les marques n’ayant pas livré les montres commandées en 2007, il n’était pas question de « tuer » les collections précédentes en proposant des produits de rupture. On s’est donc contenté, la plupart du temps, d’assurer un rafraîchissement des lignes en place, avec des « animations » de cadrans ou de bracelets qui visent à aiguiser l’appétit des amateurs plutôt qu’à les estomaquer. Seules marques de premier plan à échapper à ces considérations tactiques : Rolex et, dans une moindre mesure, TAG Heuer ou Zenith. Meilleure illustration de cette trêve des concepteurs : Breitling.

Côté Genève, la proximité quasi-immédiate du SIHH 2009 (qui se tiendra en janvier, soit moins de neuf mois après le SIHH 2008) a calmé le jeu et poussé les marques à parer à l’essentiel en consolidant l’existant. Les difficultés de livraison expliquent l’encéphalogramme linéaire de plusieurs grandes marques, qui ont gardé « sous le coude » des pièces qui enchanteront 2009.
Une exception à ce coup de frein général : le coup d’accélérateur donné par Cartier, à contre-courant de la tactique adoptée par les marques qui font la course en tête. Du coup, 2008 pourrait devenir « l’année Cartier » : la marque a pratiquement réussi son coup dans tous les compartiments du jeu, en prenant même le risque de « tuer » des propositions à peine moins fortes que les autres, mais qui auraient largement sauvé l’honneur au cours des années précédentes.

On sait que les « grandes » maisons ont toujours du mal à réagir rapidement aux évolutions du marché. Le temps de décider du coup de barre, de transmettre les ordres et de voir le navire évoluer sur son erre, il se passe souvent plusieurs années, au cours desquelles le marché continue son évolution. D’où les décalages fréquents entre les « gros coups » annoncés et le résultat final.

Pour rester chez Cartier et ne blesser personne, il est évident que la Santos 100 en version caoutchouc et or rose de cette année est totalement réussie et très désirable. Il faut cependant avouer que cette version de la Santos 100 aurait dominé la scène de la tête et des épaules voici trois ou quatre ans, mais qu’elle vient aujourd’hui bien tard sur un marché surencombré de pièces dans ce goût contrasté (même la dernière collection Festina sacrifie au rituel or rose-caoutchouc !). Consolation pour Cartier : la force d’une « grande » marque est de pouvoir travailler sa clientèle à son propre tempo et il est probable que les « clients Cartier » s’offriront avec cette Santos 100 un frisson contemporain qu’ils n’auraient même pas eu l’idée de trouver auprès d’autres marques…

Donc, 2008 « année Cartier ». Pour quelles raisons ? On peut tenter l’analyse ligne par ligne et on commencera par les nouvelles collections féminines. Premier coup de cœur : la première série du Cirque animalier, qui rend cette année hommage au bestiaire asiatique. Un panda, un tigre et un éléphant sont ici traités en ronde bosse, magnifiquement sertis, avec un superbe intégration de la décoration joaillière dans le concept horloger. Tout est juste dans cette proposition, du choix des pierres au rendu dimensionnel, en passant par les dimensions, le style et tout le reste. Bien entendu, il s’agit de mouvements à quartz, mais quelle série de montres pourrait mieux témoigner de ce qu’est la « belle horlogerie » contemporaine ?

Du coup, les autres pièces féminines du panier Cartier pâlissent un peu de cette concurrence et semblent moins fortes alors qu’elles n’ont pas créativement démérité. Dans la série des Cartier Libre, la Perle est un élégant exercice graphique autour de la rondeur et de la nacre, avec un faux « cadran » à chiffres romains qui décale le regard et qui parvient à ne pas donner l’heure tout en la suggérant, ce qui est le concept le plus hype de ce printemps. Démonstrations géométriques, les autres Cartier Libre (Nœud et Froissée) auraient eu leur heure de gloire lors des années de « vaches maigres », mais elles sont éclipsées par les nouvelles Ballon Bleu sur cuir : on note ici à quel point la Ballon bleu est encore plus expressive quand le cuir souligne et met en valeur sa forme plus-que-ronde, alors que les maillons métalliques dispersent le regard au lieu de le concentrer sur le galet de la structure ou sur le cabochon excentré-recentré dans son « satellite ».

Passons à une des meilleures idées horlogères de l’année : la Santos Triple 100. Au premier abord, une Santos 100 en taille XL, enrichie d’un sertissage luxuriant. Un simple grand classique Cartier ? On en doute en examinant de plus près le cadran, qui semble monté sur des lamelles. Un tour de couronne et le cadran change de motif. Un autre tour et un troisième motif se dessine. Voici la première montre à cadran rotatif ! Confirmant et magnifiant la nouvelle tendance de l’horlogerie en 3-D, Cartier impose sa vision d’une montre innovante sur les plans esthétique et technique.

En fait, le cadran est composé de douze prismes mobiles (triangulaires, comme des barres de Toblerone) qui pivotent sur des micro-rouages quand la couronne les fait basculer dans un sens ou dans l’autre. Sous le fond saphir, une mécanique à remontage manuel d’excellente facture. Au cadran classique de Cartier (fond blanc, douze chiffres romains, signature secrète comprise) succède un cadran serti d’un damier de diamants ronds et saphirs noirs (sublime rendu), puis un cadran gravé d’une tête de tigre (quarante heures de burin). On peut imaginer les développements de cette « complication » brevetée, tant dans le domaine de la joaillerie que de la décoration ou même de la mécanique (des fonctions additionnelles et des indications annexes apparaissant ou disparaissant à volonté). Si les designers de Cartier allaient prendre quelques cours d’art cinétique au Centre Pompidou (Beaubourg, Paris) et s’ils s’inspiraient des œuvres de Vasarely ou d’Agam, ils pourraient même parvenir à jouer avec les demi-prismes (la seule partie angulaire de chaque « face ») pour créer de nouveaux chefs-d’œuvre d’art horloger contemporain.

Le tour de magie de cette Santos Triple 100 est en tout cas parfait et il est exprimé avec des valeurs on ne peut plus horlogères : c’est pour Cartier un brevet exclusif de « maître en complications ».

Et ce n’est pas tout ! On voit également arriver dans quelques vitrines la nouvelle Ballon Bleu à tourbillon volant, équipée d’un mouvement estampillé Poinçon de Genève. C’est une grande première pour plusieurs raisons. D’abord, jamais Cartier n’avait encore « mérité » ce Poinçon de Genève, qui n’est attribué qu’à des pièces horlogères qui témoignent d’un art superlatif de la finition à la genevoise et de la bienfacture dans le moindre détail de polissage de la moindre vis.

Ensuite, ce tourbillon volant est le premier mouvement sorti de la « manufacture Cartier », désormais installée aux portes de Genève. Il s’agit d’un plateau technique de premier plan, tant par ses hommes que par ses équipements « industriels ». Il s’agit surtout d’un atelier Cartier, 100 % Cartier, qui ne travaille que pour Cartier, avec du personnel Cartier, sur des complications et des mouvements Cartier. Mieux vaut le répéter et s’engager sur ce point, dans un temps où le moindre micro-atelier de micro-mécanique horlogère peut prétendre au titre recherché de « manufacture ». On peut d’ailleurs noter que Cartier aurait été plus crédible sur ce point si la marque n’avait pas elle-même abusé, au cours de ces dernières années, de mouvements présentés comme « manufacture Cartier » alors qu’ils provenaient, de notoriété publique, d’ateliers extérieurs spécialisés dans la complication sur mesures.
Enfin, la grande première est de voir une maison de la taille de Cartier s’engager aussi massivement dans la haute horlogerie et dans le Poinçon de Genève. Ce tourbillon volant n’est que l’élément précurseur d’une vague de mouvements autonomes, simples ou compliqués, qui seront produits en grandes quantités aux spécifications du Poinçon de Genève. Sans trahir de grand secret, et Bernard Fornas ne s’en cache pas, Cartier entend reprendre la main sur le terrain du tourbillon et se positionner, sinon au premier rang, du moins sur le podium des marques suisses spécialistes du tourbillon soit au niveau du groupe Franck Muller et de Breguet, qui dépassent le millier de tourbillons annuels. Les carnets de commande sont pleins et la montée en charge a planifié une cadence de production de cet ordre pour les mois à venir.

La détermination de Cartier est impressionnante et les ambitions de la marque plutôt insolentes. Elles bousculent les rentes de situation. Cartier pourrait ainsi devenir la marque la plus importante pour l’attribution de ce Poinçon de Genève, devenu symbole international de qualité d’exécution genevoise. Ce qui énerve, bien entendu, les concurrents locaux, qui paraissent du coup tentés de renoncer à un Poinçon officiel qui reste de toute façon, selon eux, inférieur à leurs propres spécifications de finitions.
Cartier s’est même offert cette année le luxe d’intervenir sur le terrain du « concept », avec une Rotonde tourbillon travaillée comme une « concept watch » au design de rupture (Worldtempus en publiera la photo dans quelques jours). Dans un boîtier en platine de 50 mm, le calibre 9435 propose un tourbillon à remontage manuel qu'on pourrait qualifier d'expérimental (dix jours de réserve de marche, soit 240 heures), avec une architecture totalement décalée.

Après ces innovations, il est évident que les autres propositions masculines de Cartier pour 2008 manquent un peu de sel ! La Roadster avec option loupe de noyer vernie (cadran et maillons du bracelet) est sympathique, mais elle ne provoquera d’irrépressible addiction chez les amateurs mâles, qui n’ont jamais vraiment pris au sérieux cette ligne. Même constat pour la Santos 100 or rose (voir ci-dessus), très belle et très attirante dans son costume de gomme et d’or mat, mais tout de même moins singulière que les pièces ci-dessus.

Donc, effectivement, « 2008 année Cartier » ! Avec une réussite d’autant plus spectaculaire qu’elle s’est remarquée sur les pièces féminines – territoire de légitimité incontesté de la marque – aussi bien que sur les pièces masculines – ce qui n’était pas gagné d’avance. Et même sur des pièces « concept » totalement inattendues chez Cartier. Le message subliminal de cette furia horlogère pourrait bien être que Cartier a décidé de sonner la fin de la récréation en se replaçant au centre du jeu, avec à la fois l’appétit d’un jeune débutant et la majesté d’un grand ancien.
A ceux qui douteraient encore de la pertinence de cette « année Cartier », une seule question : quelle autre grande marque, du Top 10, voire même du Top 20 de l’industrie horlogère, a pris cette année autant de risques créatifs et lancé autant de pièces pleines d’imagination dans autant de segments différents ?

Grégory Pons
Worldtempus

 



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