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L'horlogerie vit une révolution multidimensionnelle
 
Le 18-04-2008

Depuis sept siècles, l'horlogerie se pensait sur un seul plan: horizontal ou vertical. En quête d'une nouvelle dimension, les horlogers travaillent la profondeur de champ et la contre-plongée. Du grand cinéma!

Les appareils électroniques se mêlant aujourd'hui de donner l'heure, la montre a récemment perdu sa dimension fonctionnelle. Il ne lui restait donc plus qu'à s'acheter une nouvelle fonction dimensionnelle. Reconquérir une profondeur de champ. Explorer de nouveaux reliefs. Prospecter d'autres niveaux de réalité. C'est-à-dire rompre avec le traditionnel schéma des mécaniques alignées sur une seule démultiplication axiale, avec tous les rouages sur un même plan.

L'idée est dans l'air depuis plusieurs siècles: substituer au classique cadran plat une mise en scène plus spectaculaire du temps, histoire de donner à la fuite des heures une «épaisseur» gommée par les sempiternels entrechats des aiguilles au centre du cadran. Après avoir tout essayé, jusqu'à emprunter l'impasse électronique, l'horlogerie de prestige semblait se résigner à une sagesse mécanique teintée d'autosatisfaction. Pourtant, en 2008, on assiste à une vraie mutinerie horlogère, avec des montres bien décidées à entrer dans la troisième dimension, si ce n'est la quatrième, la cinquième et les suivantes...

Prolégomènes de ce basculement conceptuel: la déstructuration des cadrans, qui ne se conçoivent plus qu'en plusieurs étages largement décolletés. Corollaire: la désarticulation des mouvements en plusieurs sous-ensembles, comme dans la récente Millenary MC12 d'Audemars Piguet. Confirmation avec d'étonnantes montres à rouages transversaux, comme la Cabestan*, talking piece présentée en 2006, qui marie l'hypermodernité de son design au traditionalisme appuyé de sa régulation énergétique par un système fusée-chaîne, exhumé des plus anciens grimoires horlogers.

Même dans l'univers plus éthéré de la haute joaillerie, la tentation du relief se fait insistante. On se souvient de la collection MEC Jungle, lancée par Boucheron en 2007*, avec son bestiaire serti en 3D sur le boîtier, ou des précieuses petites fées en bas-relief venues enchanter les «complications poétiques» de Van Cleef & Arpels*.

Travelling dynamique avec les «rouleaux» utilisés en guise d'aiguilles par Girard-Perregaux (Jackpot Tourbillon) ou Jean Dunand (Shabaka) présentés l'an passé*. Tautologie magistrale quand Greubel Forsey empile en les inclinant à 30degrés ses doubles et même ses quadruples tourbillons. Contre-plongée dialectique grâce aux premiers tourbillons sphéroïdaux (Franck Muller ou Jaeger-LeCoultre). Superbe envolée lyrique de la lune sphérique proposée par De Bethune: un globe lunaire en rotation astronomique au cœur de la montre. Cinémascope: Richard Mille qui présentait, voici quelques semaines, un «planétaire» en trois dimensions comme on n'en construisait plus depuis un bon siècle.

Les esprits étaient mûrs pour l'explosion multidimensionnelle de ce printemps 2008. Parmi les principales fusées de ce feu d'artifice, il faut mentionner Concord, dont le tourbillon vertical C 1 (lire p. 22) présente deux particularités: sa «cage» tourne à angle droit par rapport aux rouages de la montre et elle est déportée sur le flanc du boîtier, où elle apparaît comme une sorte de supercouronne de remontage, qui servirait en même temps de compteur des secondes. Tout aussi innovant, le nouveau tourbillon manufacturé par Panerai fonctionne également sur un plan perpendiculaire au reste du mouvement.

Zenith tire la langue à Newton avec son nouveau tourbillon gyro-gravitationnel - concept Zero-G, pour gravité zéro - , dont la «cage» danse librement, sur ses différents axes, quelle que soit la position de la montre, mais sans jamais cesser de cadencer la précision du mouvement (lire p.22). Sur une idée parallèle, la manufacture Girard-Perregaux propose cette année un tourbillon bi-axial qui ajoute une nouvelle dimension à la famille des fameux «tourbillons sous trois ponts d'or». Même initiative gyroscopique chez HD 3 Complications avec leur Tourbillon bi-axial (développement BNB). Sur la WX-1, premier concept watch de la maison de Witt, le régulateur à tourbillon est logé dans une cheminée cylindrique, sorte de réacteur situé à l'arrière du boîtier. Enfin, une complication biplanaire pour le concept Meccanico dG lancé par de Grisogono: un mouvement mécanique à logique binaire, pour animer verticalement des «panneaux» dont la rotation engendre des chiffres qui donnent l'heure (lire p. 22). Pour 2008, c'est singulièrement plus tendance qu'une réinterprétation supplémentaire d'une inusable complication traditionnelle!

Bâle et Genève devraient apporter d'autres propositions de montres et de mouvements en ronde-bosse. Il suffit, pour s'en convaincre, d'étudier les dépôts de brevets de ces dernières années: les concepteurs de complications ont anticipé cette mutation génétique avec un ensemble révélateur. Giulio Papi (Audemars Piguet Renaud et Papi), un des «papes» de l'innovation horlogère, a beaucoup travaillé la logique multi-axes. Laurent Besse (Les Ateliers Horlogers) a plusieurs dossiers en réserve. Christophe Claret ne manque pas de projets poly-plans dans son coffre à idées. Le tandem Robert Greubel-Stephen Forsey a mis son talent multidimensionnel au service de marques comme Girard-Perregaux.

Chez BNB, un des arsenaux conceptuels du new look horloger, Matthias Buttet ne manque pas d'arguments ébouriffants à faire valoir: on lui doit la gestation de plusieurs des montres citées dans cet article. Un peu partout dans les watch valleys, une nouvelle génération de «petits génies» horlogers se passionne pour ce Graal transdimensionnel. Est-ce un hasard si, après vingt ans de maison, un des horlogers les plus imaginatifs de la manufacture Jaeger-LeCoultre, «inventeur» des plus spectaculaires complications de ces dernières années, a choisi de reprendre sa liberté pour rejoindre l'équipe de Cabestan, une des hot shops les plus éruptives du moment? A ce niveau de convergence, ce n'est plus une coïncidence. C'est une vraie révolution, qui propulse (enfin!) l'horlogerie dans le XXIe siècle.

Cette quête de dimensions originales tend à bousculer la hiérarchie des marques. Le Blitzkrieg des marques de niche prend à revers les grandes maisons, pas vraiment rompues à l'opportunisme sociétal ni à la guérilla marketing. Le discours dominant n'est plus uniquement celui des maîtres horlogers: on assiste au triomphe sémantique des constructeurs, des ingénieurs et des micromécaniciens. Les concepts opératoires ont changé: on ne parle plus d'inertie ou d'amplitude, mais d'énergie, de microjoules et de nanotechnologies. On y pense embrayage et embiellage plus que raquette ou roue de moyenne. Les fraiseuses de dernière génération travaillent des composants multidimensionnels qui ne pèsent que quelques fractions de gramme, mais qui sont ajustés au micron près selon des morphogénies impossibles à fantasmer sans ordinateur. On rêve ici de ce qu'Abraham-Louis Breguet aurait pu inventer s'il avait disposé de tels centres d'usinage numérique...

La clé du code de ces projections polygonales reste l'intensité émotionnelle (ce que les Américains appellent le wow effect), qu'elle soit esthétique, technologique ou même économique, puisque la courbe des prix de ces montres est strictement corrélée à leur expressivité conceptuelle. Quand on parle d'horlogerie de... haut vol, n'y entendez pas malice: selon l'axiomatique horlogère, celui qui demande le prix n'en a pas les moyens. Dans ce brutal univers de sensations fortes, tout semble se vendre dès que l'étiquette porte six chiffres!

S'il y a une autre ligne de force émergente dans cette déflagration, on la trouvera dans la recherche de l'absolue légèreté (lire p.10 et 11). Plus les boîtiers enflent, plus les montres doivent intégrer de nouveaux alliages, souvent issus de l'astronautique de pointe, et de composants sculptés au femtolaser dans d'impalpables strates de silicium. L'extase high-tech constitue la nouvelle dimension «culturelle» de l'horlogerie postmoderne.

Bref, pour résumer, depuis qu'elles ne tournent plus en rond, les montres ne tournent plus du tout rond (lire p. 14 et 15). Tendanciellement ludiques, les toy watches archéo-futuristes se font locomotive (Hautlence), vaisseau galactique (Urwerk), bombardier furtif (Zenith), centrifugeuse (Piaget), pont-levis médiéval (Cabestan), Meccano spatio-temporel (DeWitt), stéréoscope (MB & F), «bandit manchot» (Girard-Perregaux)... Et ce n'est qu'un début: il faut s'attendre, par exemple, à des montres mécaniques équipées de pompes à huile ou d'échangeurs thermiques. Et plus si affinités...

L'autre dimension est tout aussi mentale. Amoureuse nostalgique de Mozart et de Beethoven, l'horlogerie se pensait prête à encaisser Wagner, mais c'est Stockhausen qui s'empare du pupitre. Choc culturel stupéfiant. Une nouvelle grammaire formelle s'impose. Les montres les plus transgressives se situent au croisement de l'art contemporain et d'une insolite (insolente?) philosophie temporelle. Déjantée: la Secret Hours de Franck Muller, dont les aiguilles immobiles, superposées à midi, n'indiquent l'heure exacte qu'à la demande expresse du porteur. Radicale: la montre qu'on ne porte pas, mais qu'on scelle sous cloche hermétique, sous peine de la voir vivre, s'oxyder et mourir. Ne riez pas: cette authentique parabole du temps qui passe existe déjà dans la collection Romain Jerome.

Avancée ultime desultracomplications en quête d'autres perceptions de l'instant: le tourbillon sans aiguilles, qui serait à l'horlogerie académique du XXe siècle ce que fut l'art abstrait pour l'art pompier du XIXe siècle. Antoine Preziuso avait inventé l'an passé le tourbillon pour l'amour de l'art: la mise en scène de cette complication portée en collier, ou la beauté qui naît de l'inutile. Cette année, Romain Jerome risque lui aussi ce «geste» conceptuel avec son double tourbillon séquentiel Night & Day, dépourvu de toute indication de l'heure. Comprenne qui devra! Après tout, qui ose aujourd'hui penser que le fameux urinoir de Marcel Duchamp n'est pas une œuvre d'art, au minimum vouée à soulager quelques milliardaires de leurs liquidités?

Ces machines qui, pour la plupart, donnent aussi l'heure, nous rappellent humblement que les astrophysiciens les plus téméraires s'avouent totalement incapables de donner une définition un tant soit peu précise du temps...

François Lussan Le Temps

 



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