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Quelques réflexions sur le rachat de la maison Hublot par le groupe LVMH.
Pour ce qui est du prix de la transaction (confidentiel et non communiqué), il doit s'établir autour de 450-500 millions de francs suisses (300 millions d'euros).
Un chiffre en ligne avec les confidences de la direction financière du groupe LVMH, qui annonçait aux analystes un ratio de l'ordre de 2,2 fois le chiffre d'affaires 2008 et 12 fois les bénéfices 2008 (ces chiffres 2008 n'ont pas été communiqués à la presse, mais recueillis avant le rachat officiel auprès de l'équipe Biver).
C'est sans doute cher, compte tenu de l'équation actuelle de la marque (déterminée par le charisme personnel de Jean-Claude Biver et par les seules ventes de la Big Bang), mais c'est un prix « stratégique » qu'on pourrait considérer comme à usage purement financier.
Les analystes adorent les indices de progression du chiffre d'affaires et ils ne jurent que par les « double digits » de croissance annuelle. Avec Jean-Claude Biver, ils reçoivent un message très clair. : LVMH s'est offert avec Hublot le plus fort taux de croissance sur le marché horloger (l'activité a été multipliée par huit en quatre ans).
Ce « turbo », ajouté aux autres moteurs horlogers du groupe, aura de quoi rassurer les places boursières, tant pour la génération de futurs profits que pour la crédibilité horlogère du groupe, qui s'annexe là un des meilleurs connaisseurs du « métier » des montres de luxe...
En termes de profits, ou même de résultats commerciaux, Hublot pèsera pour une goutte d'eau dans les comptes de LVMH, mais ces résultats devrait compter davantage dans les performances de la branche horlogère, à un niveau qui fait de Jean-Claude Biver le deuxième contributeur derrière TAG Heuer (Louis Vuitton étant hors concours et déconsolidé de ce pôle), mais le plus fort taux de croissance annuelle.
Officiellement, Hublot démarre sa carrière LVMH avec le statut envié de « rising star » et l’objectif de devenir un « star brand », sorte de tableau d’honneur des marques du groupe qui réalisent à peu près un demi-milliard d’euros de chiffre d’affaires et un minimum de 100 millions d’euros de profits. Contrairement à TAG Heuer, Hublot en est encore loin, mais le défi est lancé et Jean-Christophe Babin voit se dresser devant lui un « rising competitor » de première force, tant sur le plan du pilotage d'une marque que sur celui de la communication...
Pour clore le volet financier, la bonne fortune financière personnelles de Jean-Claude Biver est évidente. On peut estimer que ses 20 % de participation supposée dans Hublot ont décuplé leur valeur en quatre ans, avec un ticket de sortie qu’on peut estimer entre 80 et 100 millions de francs suisses (60 millions d’euros).
A défaut d’avoir pu boucler son propre tour de table avec des actionnaires fiables dans la durée, Jean-Claude Biver a au moins prouvé son habileté dans la gestion de fortune privée !
Cette impossibilité de racheter lui-même Hublot restera sans doute longtemps pour lui comme une blessure.
Paradoxe de l’homme qui crée par son travail une valeur si élevée qu’il ne peut plus ensuite bénéficier des fruits de son travail...
Dans la carrière professionnelle de Jean-Claude Biver (une des plus magnifiques de toute la planète horlogère, et il a toute les raisons d'en être fier), cette forme de « trahison » finale par l'actionnaire majoritaire est assez étrangement récurrente : d'abord, chez Blancpain, maison dont il était co-créateur mais qu'il a dû continuer à diriger après la revente au Swatch Group ; ensuite au sein du Swatch Group, où il passait pour le dauphin de Nicolas Hayek, qui lui a finalement préféré son fils et son petit-fils : enfin, chez Hublot, où son actionnaire a préféré vendre à LVMH plutôt qu'à lui...
Son maintien à la direction de Hublot a paru naturel à LVMH, qui ne semble pas l’avoir assorti des habituels contrats léonins qui s’imposent aux dirigeants du groupe pour la non-concurrence.
De la même manière, les « Biver Boys » (and girls) devraient être maintenus à leur place, dont Ricardo Guadalupe,le fidèle lieutenant de Jean-Claude Biver, qui restera directeur général de Hublot.
La fonction officielle de Jean-Claude Biver reste un peu floue au sein du pôle Montres et Joaillerie de LVMH, que dirige actuellement Philippe Pascal, auquel il rapportera directement.
Ceux qui ont suivi sa carrière ont du mal à l'imaginer dans un cadre aussi contraignant qu'un grand groupe de luxe : son expérience passée à la direction du Swatch Group ne lui a pas laissé que des bons souvenirs, mais ses propres lieutenants – dont certains sont passés par LVMH – sauront le mettre en garde.
On le voit mal bridant son éruptivité marketing et sa fièvre communicatrice pour se couler dans le moule LVMH. En 2000, confronté à la même situation, Christian Viros (ex-président de TAG Heuer, qui avait pourtant apporté l'affaire à Bernard Arnault) n'avait pas tenu plus de quelques mois.
Contre-argument à cette objection : pour avoir porté Hublot à bout de bras pendant quatre ans, Jean-Claude Biver a laissé beaucoup de forces dans la bataille et il a physiquement besoin de souffler et de prendre du recul, de même que Hublot a besoin de se structurer et de consolider ses procédures pour passer du stade de la start-up à celui d’entreprise capable de réaliser chaque année 250 millions de francs suisses de chiffre d’affaires.
Après tout, le temps des intuitions volcaniques, du « branding guerilla » et des pied-de-nez médiatiques est peut-être passé…
Côté industriel, LVMH s'offre une marque, mais pas encore le plateau technique qui ne sera terminé que début 2009, avec des capacités manufacturières limitées à quelques éléments de mouvements, en attendant un calibre Hublot toujours en cours de mise au point.
Zenith restera encore longtemps la seule vraie « manufacture » d’un groupe qui commence à manquer cruellement d’autonomie logistique dans le domaines des mouvements : s’ils n’étaient pas facturés aussi cher par Thierry Nataf, on pourrait même imaginer demain des Big Bang équipés de chronographes El Primero, mais on sait que Jean-Claude Biver déteste payer au prix fort ses fournisseurs.
On peut quand même rappeler que Hublot achète chaque année 300 à 350 tourbillons chronographes à BNB Concept : de quoi raviver l’enthousiasme du groupe LVMH pour des « synergies pragmatiques » grâce auxquelles Hublot aurait à se fournir en complications chez Zenith, mais ces considérations sont prématurées…
Il faudra aussi déterminer si l'équipe des « Biver Boys » regroupée par Jean-Claude Biver restera fidèle à Hublot, dont l’ambiance va forcément changer. Tous sont unis par un lien féodal, plus fort que les considérations de carrière personnelle, mais c’est la cohésion exceptionnelle de ce réseau qui a permis de réaliser une telle progression avec si peu de moyens.
Ce que l’animateur de Hublot exigeait et obtenait par la magie de son charisme sera sans doute moins facile à décrocher sans l’entêtement persuasif d’un Jean-Claude Biver un peu en retrait.
Compte tenu des chiffres en cause, même un changement total de l'équipe de direction de Hublot ne bouleverserait pas l'équilibre financier du groupe, ni même celui de la branche. Si les chiffres annoncés à Bâle par Jean-Claude Biver ne relèvent pas de la cosmétique prénuptiale, l'année 2008 est déjà consolidée et l'année 2009 sérieusement assurée.
Tout changement dans le management n'aurait donc d'effets sensibles qu'en 2010 - et c'est sans doute pour cela que LVMH peut se rassurer sur le maintien en place de Jean-Claude Biver.
LVMH retire un avantage stratégique évident de cette acquisition : avec Hublot, le groupe accède directement à l'horlogerie genevoise. Se poser en manufacture genevoise relève du symbolique, mais ça compte énormément pour le standing horloger d'un groupe de luxe horloger.
Ce ne sont pas les 25 000 montres vendues par Hublot chaque année, ni ses 300 points de vente, qui vont modifier le rapport de forces entre les groupes, mais cette authentique « noblesse » genevoise manque, par exemple, aux marques du Swatch Group…
Pour ce qui est du marketing, Hublot n'entre pas en concurrence frontale avec les autres marques horlogères du portefeuille LVMH : le coup est donc bien pensé et la complémentarité bien jouée, LVMH pouvant aider Hublot à progresser encore sur des marchés asiatiques qui ne représentent que 8 % de l’activité de la marque.
Si on regarde l'avenir, il faut cependant noter que le cycle de vie de la Big Bang est, dans la meilleure des hypothèses, en phase de maturité, sinon en amorce de déclin : même les icône s’usent très vite au XXIe siècle.
L'effet Big Bang a ébranlé le marché horloger, mais il a également généré ce que les scientifiques appellent, en partant de tremblements de terre, des « répliques » (Concord, Romain Jerome) et des réactions de concurrents (Zenith, Ebel) qui ont partiellement érodé l'incisivité de la Big Bang en lui reprenant quelques parts de marché.
Jamais les ventes n’ont été aussi fortes, peut-être parce qu’on touche au sommet de la courbe. Aujourd'hui, cet effet Big Bang profite surtout aux concurrents de luxe pour rajeunir leur gamme et aux marques d'entrée de gamme pour améliorer leur image (la dernière collection Festina est à cet égard emblématique).
Donc, tout va dépendre de l’aptitude du management de Hublot à éviter une obsolescence trop rapide de son unique produit-phare et de sa capacité à relancer une aussi belle fusée dans les années à venir : les collections de Baselworld 2008 semblaient dépourvues de ces graines d’avenir.
Le mot de la fin serait : « On verra bien ».
Si le cas marketing « Hublot by Biver » peut devenir un classique des écoles de commerce, le cas « Hublot by LVMH » sera tout aussi passionnant à étudier…
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