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HUBLOT - Magic Biver
 
Le 26-05-2008

Jean-Claude Biver a vendu deux marques dans sa vie. il rejoint aujoud’hui LVMH, le numéro un mondial du luxe. Portrait et interview d’un patron iconoclaste qui fascine souvent et agace parfois.

«Aujourd’hui, Hublot est ma marque et...
Quand Jean­Claude Biver a repris en main le destin de Hublot en septembre 2004, il est parvenu très vite à multiplier le chiffre d’affaires de l’entreprise par six et à redonner une rentabilité à cette manufac­ture qui perdait 2 millions sur l’exercice en cours. En quatre ans seulement, l’hypermédiatique pa­tron de Hublot a fait de cette marque un acteur incontourna­ble du monde de l’horlogerie. Une réussite couronnée le 24 avril par l’annonce du rachat de la marque par LVMH, le leader mondial du luxe, pour un mon­tant estimé à presque 500 mil­lions de francs.
Jean-Claude Biver a bien voulu nous recevoir dans sa vaste pro­priété de La Tour-de-Peilz pour nous parler de son aventure chez Hublot et du film de la vente à LVMH.

Vous avez récemment annoncé la vente de Hublot à LVMH. C’est vous qui incarnez cette entreprise aujourd’hui, pourquoi n’avez-vous pas essayé de trou­ver des fonds pour la racheter vous-même?
L’entreprise a pris une telle va­leur en quatre ans que je ne pouvais tout simplement plus l’acheter tout seul. Et sincère­ment, quel aurait été mon intérêt de trouver des financiers nou­veaux et étrangers auxquels j’aurais dû rendre des comptes, alors que Carlo Crocco, le pro­priétaire de Hublot et grand con­naisseur de l’horlogerie, me lais­sait une totale liberté dans la gestion de l’entreprise? La meil­leure solution possible, à part celle de me céder l’entreprise, était dès lors le rachat par le leader mondial du luxe, LVMH. Cela permettra à Hublot de pour­suivre son développement extra­ordinaire.

Vous ne possédiez que 20% du capital de Hublot avant sa vente, n’avez-vous pas su négo­cier à votre avantage votre en­gagement en 2004?
Quand j’ai approché Carlo Crocco en 2004, je voulais rache­ter Hublot. Il a refusé dans un premier temps, mais nous som­mes tout de même tombés d’ac­cord sur un deal intéressant. Il m’accordait une confiance totale en me laissant l’intégralité du pouvoir décisionnel et il conser­vait la propriété patrimoniale. Dans un premier temps, je n’ai pu acheter que 10% du capital par l’intermédiaire de l’une de mes sociétés, puis les derniers 10% deux ans plus tard.

Si vous aviez imaginé le succès que vous alliez rencontrer avec Hublot, auriez-vous négocié autrement?
J’avais une option de rachat orale, mais je n’ai tout simple­ment pas pu l’exercer car la création de valeur que nous avons produite en trois ans et demi a rendu le prix de l’entre­prise hors de portée pour mes moyens. Pour le faire, j’aurais dû m’endetter et, à 60 ans, je n’en avais tout simplement plus en­vie. Mon erreur, si l’on peut parler d’erreur, a peut-être été de ne pas assurer mes arrières en négociant un prix d’achat fixe dès mon arrivée. Mais il faut dire que Carlo Crocco a fait preuve de beaucoup de courage en me pas­sant la barre de l’entreprise qu’il a créée et dirigée pendant vingt­quatre ans. Tout en démontrant un sens tactique très développé. Quand j’y réfléchis, je me rends compte qu’il a toujours eu deux coups d’avance sur moi en ce qui concerne la vente de Hublot.

Quand vous dites deux coups d’avance, vous pensez au fait qu’il vous a laissé les mains libres pour redresser l’entreprise, que vous avez rencontré le suc­cès sans pouvoir racheter en­suite la marque?
Oui, c’est vrai, j’ai sous-estimé la vitesse de redressement de l’entre­prise.
Vous savez, lorsque j’ai dit en 2004 que, avec mon équipe, nous allions multiplier le chiffre d’affaires par 6 en trois ans, tout le monde rigolait. Sauf moi, qui le pensais réellement. Par contre, je n’imaginais pas que la hausse du chiffre d’affaires allait s’accompa­gner d’un retour à la rentabilité aussi rapide. Imaginez que Hu­blot réalisait un chiffre d’affaires de 29 millions avec 2 millions de déficit opérationnel, puis en 2007 le chiffre d’affaires a dépassé les 150 millions avec 31 millions de bénéfice. Ces chiffres ont con­damné toute tentative pour moi d’acquérir Hublot. Et, sincère­ment, même si j’avais eu les moyens aujourd’hui, je ne l’aurais peut-être pas fait. Psychologique­ment, j’aurais eu l’impression de payer deux fois pour cette entre­prise. Une fois sur le chiffre d’af­faires que mon équipe a réussi à faire exploser en quatre ans. Et une seconde fois, sur les chiffres de croissance que nous allons réa­liser avec Hublot ces prochaines années. Donc, j’aurais dû payer pour mon travail passé et sur mon succès escompté pour l’avenir.

Votre succès est impressionnant. Mais vous aviez tout de même un joyau entre les mains!
Oui l’idée de la montre en forme de hublot et du bracelet en caout­chouc était excellente. Elle a ren­contré un succès énorme au dé­but des années 1980. La preuve, elle a été copiée par toutes les marques, de Swatch à Breguet. Par contre, si les éléments du succès étaient réellement sains et présents, ils n’ont pas été déve­loppés. La marque était restée statique depuis quelques années. Mais sur le plan comptable elle se portait très bien. Malgré un déficit opérationnel de 2 mil­lions, elle n’avait aucune ligne de crédit utilisée, aucune dette, et elle disposait de 8 millions de liquidités. Ce qui a suffi à finan­cer son renouveau.

Depuis quand avez-vous su que Carlo Crocco désirait vendre?
Il m’a dit qu’il voulait accélérer le processus de vente en automne 2007 et céder Hublot avant Bâle 08. J’ai alors bien essayé de le convaincre de nous laisser faire un management buy out, mais les prix demandés étaient trop hauts. Quelques semaines plus tard, un très discret agent d’affai­res envoyé par LVMH s’est spon­tanément présenté chez Carlo Crocco, par hasard. Nous avons d’abord été méfiants à son égard avant de nous rendre compte, vers fin décembre, qu’il s’agissait bien d’une volonté réelle et ami­cale d’acquérir Hublot.

Comment avez-vous réagi?
Avant son arrivée, j’avais un peu peur que Hublot, l’entreprise pour laquelle nous travaillons sans compter depuis quatre ans, se retrouve entre les mains d’un fonds d’investissement quelcon­que. Lorsque j’ai connu les inten­tions de LVMH, j’étais extrême­ment content et nous avons tout de suite compris qu’il s’agissait de la meilleure solution. J’ai dit à Carlo Crocco de foncer, et les discussions sérieuses ont com­mencé avec le géant du luxe dans le courant du mois de janvier.

Concrètement, comment se pas­sent de telles discussions?
On commence par s’assurer qu’il n’y aura aucune fuite. Ainsi, tou­tes les personnes impliquées si­gnent une déclaration de confi­dentialité très stricte pour sceller leur discrétion. Chez nous, les principaux cadres de l’entreprise, notre avocat et notre fiduciaire, soit neuf personnes, étaient con­cernés. Ensuite, lorsque nous sommes certains des bonnes in­tentions de LVMH, Hublot ouvre ses comptes pour prouver que nos affaires vont aussi bien que nous le prétendons. S’ensuivent une série de discussions entre le siège de LVMH à l’avenue Montaigne à Paris, l’Hôtel Métropole à Genève ou les Bergues, là où le contrat de vente définitif a été signé.

Combien de temps ont pris ces discussions?
Peu de temps. En fait, nous avons laissé leur équipe de financiers, très jeunes et très classe, étudier les chiffres, même si nous avons été contraints de ralentir les dis­cussions à cause de la préparation de la Foire de Bâle. Dès lors, tout s’est passé très vite à l’issue des salons horlogers. Et quand leur décision d’achat a été prise, j’ai rencontré Bernard Arnault et je lui ai demandé de pouvoir pour­suivre le plan d’action que j’avais déjà défini jusqu’en 2013.

A-t-il accepté toutes vos de­mandes?
Oui, il a tout accepté. Mon plan d’action, mon plan d’investisse­ments et le maintien de l’intégra­lité de mon équipe dirigeante. Et surtout, la création de la manufac­ture que nous préparons, qui a été, finalement, l’un des éléments déterminants de leur décision d’achat. Ils vont même accélérer le processus en nous allouant des fonds car ils sont très intéressés par cette indépendance de créa­tion des mouvements.

Pour vous, est-ce une meilleure solution de rejoindre le numéro un mondial du luxe que le nu­méro un mondial de l’horlogerie, à savoir Swatch Group?
Premièrement, Hublot aura un vrai rôle à jouer pour compléter les marques horlogères de LVMH, à savoir TAG Heuer, Ze­nith, Christian Dior et Louis Vuit­ton, toutes actives sur des seg­ments différents. Concrètement, nous allons avoir une place à nous, alors qu’ailleurs nous n’aurions été qu’un point supplé­mentaire sur un échiquier de marques déjà très développées.
Deuxièmement, la politique de gouvernance de LVMH est très décentralisée et ils ne jouent pas trop l’effet de groupe. Ce qui permet au responsable de sa mar­que de développer son entreprise avec le soutien de la centrale et non l’encadrement de cette der­nière. Il s’agit là d’un élément très important pour moi, car je me nourris d’indépendance, d’in­novation et d’esprit de clan. Et tout cela est réuni chez LVMH. De plus, j’ai un profond respect pour ce groupe qui a réussi à se positionner en numéro un sur de nombreux métiers du luxe.

Sauf l’horlogerie…
Oui, c’est vrai. Mais peut-être que le rachat de Hublot annonce une volonté de jouer un plus grand rôle dans ce domaine? A mon avis, ils en ont largement les moyens. Nous verrons ce qui se passera dans le futur.

Vous, le fonceur, l’entrepreneur à succès, vous n’avez pas peur que, dans ces grands groupes, les têtes qui dépassent finissent par gêner?
Non, car Bernard Arnault est un homme de produit respectueux de l’esprit d’entreprendre. Je suis exactement pareil, avec peut-être un esprit plus communicatif et beaucoup de choses en moins… Cela ne peut que marcher entre nous. Quand je l’ai rencontré, je lui ai donné ma vision pour Hu­blot et je lui ai demandé que ce changement d’actionnaire ne rime pas avec changement de cap. Je crois qu’il n’y aura pas de problème car Bernard Arnault connaît très bien le travail que nous avons réalisé chez Hublot et le développement de la marque. D’ailleurs, il m’a même avoué que Cherie Blair lui avait parlé de Hublot lorsqu’il l’avait rencontrée.

On imagine déjà les discussions animées que vous pourrez avoir avec Thierry Nataf, CEO de Ze­nith, ou Jean-Christophe Babin, de TAG Heuer. Quel sera votre rôle chez LVMH?
Je n’aurai aucun rôle chez LVMH à part celui de me consacrer à la réussite de Hublot, et c’est très bien comme cela. A l’instar des autres directeurs, je devrai rendre des comptes, établir des budgets, des résultats, mais rien de diffé­rent de ce que je fais déjà pour moi aujourd’hui. En rejoignant un groupe comme celui-ci, avec le meilleur réseau de distribution du monde et des marques presti­gieuses, le besoin de performer est encore plus présent que lors­que l’on est seul. Je pense que cela va nous donner des ailes.

Jean-Claude Biver, cette vente de Hublot à LVMH vous a tout de même rapporté 100 millions de francs. Une somme suffisante pour lancer votre propre mar­que. Cela ne vous démange pas?
L’argent va à ma société qui déte­nait les actions, mais je ne pense pas que cela changera quoi que ce soit dans ma vie. Créer ma propre marque? Je préfère agran­dir mon étable pour mes 80 bêtes. Vous savez, la montre Big Bang, c’est mon enfant et je ne compte pas l’abandonner en che­min. Je suis passionné par mon métier, par cette marque et par toute l’équipe qui m’entoure. Si je parviens à remplir mes objec­tifs, je compte bien rester encore dix à quinze ans chez Hublot. D’ailleurs, je suis un fidèle. Quand j’ai vendu Blancpain, je suis resté actif pour cette marque pendant douze ans de plus. Au­jourd’hui, Hublot, c’est ma mar­que, et c’est aussi mon avenir.

Thierry Vial Bilan

 



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