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Voici dix ans à peine, ce créateur horloger présentait une montre-concept, vendue à prix d’or et que s’arrachent aujourd’hui les stars du showbiz, les banquiers et les chefss d’état. A force de ne créer que les garde-temps dont il avait envie, son «usine à rêves» est devenue réalité.
Pendant que se déroule, au Palexpo de Genève, les fastes du Salon annuel de la Haute Horlogerie, la «ruche multinationale» de Richard Mille a pris ses quartiers dans la suite royale du Grand Hôtel des Bergues : assistantes chinoises et japonaises, secrétaire anglaise, attachée de presse française... On s’interpelle dans toutes les langues, on s’embrasse, on se congratule, pendant que le maître va de l’un à l’autre, accueille ici un collectionneur, encourage là un journaliste!
Horloger, artiste, businessman… Richard Mille savoure sa réussite, avec le sourire enjôleur d’un enfant à qui tout sourit.
Un parcours improbable
Rien de prédestinait Richard Mille à faire carrière dans l’establishment horloger.
Originaire de Draguignan, dans le sud de la France, il «monte» à Besançon pour entamer un cursus …de marketing, dans la capitale d’une horlogerie française en état de quasi délabrement. C’est chez LIP qu’il va tenter, en vain, de donner un dernier souffle à cette marque mythique, destinée malheureusement à une faillite définitive. Une expérience du même type chez YEMA ne se soldera pas plus glorieusement.
Richard Mille décide alors de partir à la conquête de la capitale et rejoint Place Vendôme, le joaillier Mauboussin qui lui confie le développement de son département horloger.
Mais, au début 2000, et après quelques réalisations déjà marquantes, il abandonne le navire Mauboussin pour s’embarquer en «aventurier solitaire».
«Avec l’âge, les contraintes du marché et de sa hiérarchie me pesaient trop lourdement. J’estimais que le luxe se standardisait de plus en plus. Son côté «paillette» trop artificiel ne me satisfaisait pas. Je me refusais de céder à la tentation de composer avec les désirs d’autrui. Je voulais revenir aux vraies valeurs, en créant des montres vraiment exceptionnelles, apportant une vision extrême de l’ objet. Et je partais du principe que rien n’est trop beau, rien n’est trop cher, rien n’est impossible.»
Une démarche, un concept.
«J’ai agi tout à fait à l’encontre d’une démarche commerciale classique. Au lieu de tenir compte en premier lieu du coût, j’ai choisi de trouver le meilleur en termes de technologie, de design et de fabrication. Mon prix n’est, finalement, qu’une résultante de ce choix».
Pour la technologie, il va privilégier les composants les plus innovants, les matières de pointe, les alliages inédits: la fibre de carbone, le titane, le tungstène, le cobalt, la céramique.
Au niveau du design, il choisit la forme "tonneau" qui lui permet d’offrir la vue la plus large, la plus spectaculaire, sur les mécanismes complexes qu’il va y loger.
«J’ai imaginé une montre-squelette qui serait à la fois un réceptacle et une seconde peau, capable d’accueillir et d’habiller les mouvements les plus élaborés.»
Enfin, pour la fabrication de ses montres, il veut rester dans une tradition artisanale, mais avec une équipe à la pointe de la recherche et des nouvelles technologies. C’est avec ce cahier des charges que Richard Mille sollicite l’une des unités de développement horloger les plus performantes de Suisse: celle de Renaud et Papi, appartenant à la Manufacture Audemars à qui il est maintenant associé. En osmose avec ces ingénieurs, il va véritablement repenser un concept horloger vieux de quatre siècles .
Repenser la montre
«Nous partageons une philosophie commune, complètement débridée. Ce sont des gens remarquables, extrêmement ouverts sur le monde, et avec qui c’ est un plaisir de "tout remettre en cause". Et si nous sommes aujourd’hui dans une spirale ascendante, c’est à eux que je le dois. C’est grâce à eux que j’ai pu découvrir de nouveaux horizons. Partant chaque fois de concepts purement intellectuels, ensembles, nous les avons mis en forme, en contournant les embûches, pour arriver à reculer les limites de la technique. Pendant des années, on s’est contenté de refaire des montres du XVIIIème siècle. Et puis, on est passé du monde de "la belle au bois dormant" au marché actuel un peu fou, qui part dans tous les sens et donne le tournis, à tel point que j’ai l’impression d’y être déjà une vieille marque!»
«Certains sont des produits purement techniques, purement marketing, avec les contraintes que cela représente. Et c’est cela que j’ai voulu fuir en disposant d’une liberté d’esprit totale et ne faisant que ce que j’aime.»
A ses côtés également, un compagnon de la première heure, son ouvrier fétiche: le suisse d’origine portugaise Fernand Simao, qui réalisera ses pièces les plus complexes.
L’alchimie de chacune de ces valeurs va donner un résultat étonnant : la RM 001, un Tourbillon d’un genre nouveau, dont la filiation avec le monde de l’automobile est indéniable. Car Richard Mille est un passionné de voitures, un fou de formule 1. C’est d’ailleurs, avec le pilote brésilien Felipe Massa qu’il «mettra au point» la RM 005, qui sera testée en course, sans intervention, une saison complète… comme un vrai bolide.
La RM 11 Flyback Chronographe, conçue en étroite collaboration avec le pilote de formule 1, Felipe Massa.
Richard Mille ira encore plus loin dans le croisement de l’architecture et de la mécanique, en présentant en première mondiale, un mouvement Tourbillon Squelette inédit. Avec une fabrication de moins de 2.000 montres par an (…mais vendues jusqu’à 500.000 euros pièce), il avoue en riant : «Avec toutes les montres commandées qu’il me faut faire, je suis potentiellement riche!». Il faut croire que la prospérité est mère de la sagesse: Richard Mille dirige aujourd’hui ses affaires d’un petit coin perdu de Bretagne, loin des soubresauts de l’industrie horlogère!
Audemars Piguet entre dans le capital de Richard Mille.
Audemars Piguet et Richard Mille viennent de sceller un partenariat qui concrétise une proximité de fait existant de longue date entre les deux entreprises. La manufacture du Brassus est entrée dans le capital de Richard Mille à une hauteur non communiquée, mais probablement de l’ordre de 10%. Cette alliance permettra à Richard Mille de pouvoir continuer à se fournir en mouvements exclusifs au Locle chez Audemars Piguet Renaud Papi. Depuis ses débuts, le français Richard Mille se fournit en mouvements chez APRP ainsi que Vaucher Manufacture, à Fleurier. Sous la présidence de Yasmine Audemars, le groupe horloger Audemars Piguet est constitué de 810 collaborateurs dont 610 en Suisse et 200 à l’étranger, une dizaine de filiales de distribution et douze boutiques dans le monde entier, avec une production annuelle de + de 26.000 montres. Il comprend trois sites de production et une nouvelle Manufacture est en construction au Brassus, dans la Vallée de Joux, qui ouvrira ses portes fin 2008.
Jean Perini Sabato
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