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Il y avait le « western spaghetti ». Il y aura bientôt le « western schüblig », et il aura pour décor
les rives du lac de Genève.
Dernier épisode, daté de ce vendredi après-midi :
l’expulsion des nouveaux actionnaires chinois par les conjurés nippo-américains.
Echanges de noms d’oiseaux et de papier timbré !
En attendant, la banqueroute se profile...
Les avocats genevois des investisseurs chinois (Forever Most) qui ont récemment racheté Antiquorum n’en sont pas revenus : alors qu’ils se présentaient à Genève pour une réunion du conseil d’administration, ils ont été priés de rester à la porte, faute de pouvoir prouver qu’ils étaient bien les nouveaux actionnaires.
Ces avocats ont bien tenté de prouver qu’ils étaient mandatés par les dirigeants de Forever Most, et que la vente d’Antiquorum à Forever Most était effective (fonds versés à la holding Artist House et actions échangées), qu'elle était définitive et annoncée comme telle à la communauté boursière japonaise. Donc officielle.
L’actuelle direction d’Antiquorum, en particulier Yo Tsukahara, n’a pas voulu l’admettre : il s’est retranché derrière le fait qu’il ne connaissait qu’un propriétaire (Artist House), dont il s'affirme toujours le représentant et dont il affirme tenir son mandat.
Yo Tsukahara a présenté une lettre d'Artist House (?) affirmant qu'Artist House était toujours en possession de 98 % des actions, ce qui est totalement contradictoire avec l'annonce publique faite au Tokyo Stock Exchange le 16 mai dernier...
Bref, les représentants de Forever Most sont restés à la porte, tellement estomaqués par les méthodes de leurs adversaires qu’ils n’ont pu retenir quelques mots très forts – pas vraiment dans les dignes habitudes du barreau genevois – contre les « voyous » sans scrupules déontologiques qu’ils avaient en face…
Moyennant quoi, le conseil d’administration d’Antiquorum a entériné la nomination d’une nouvelle paire d’administrateurs américains, ce qui renforce clairement le « pôle new-yorkais » de la maison d’enchères tout en esquissant ce que pourrait être sa nouvelle stratégie de développement. Ce nouveau conseil d'administration a aussitôt félicité Yo Tsukahara pour l'excellence de sa gestion au cours de ces derniers mois !
On voit désormais se profiler, derrière le paravent Antiquorum, des profils américains un peu inquiétants pour la transparence des adjudications, comme Bernie Chase (le fils de Gerald, le nouvel « actionnaire majoritaire » d’Antiquorum), Joseph Lam ou Robert « Bob » Maron, opérateurs bien connus sur les frontières floues – plus grises que claires – du marché américain des montres de luxe.
Antiquorum pourrait ainsi devenir une vitrine légale et honorable pour la vente de montres de marque pas forcément garanties par les autorized dealers des marques en question.
On passerait clairement d'une logique des « montres de collection », qui était celle d’Antiquorum ancienne manière, à une logique de « montres d’occasion », dont la stratégie serait clairement le recyclage « officiel » de pièces horlogères aux origines difficilement traçables.
Stratégie dont on peut trouver un premier indice dans la récente vente Antiquorum de New York, dispersion dont les résultats plus que médiocres cachaient quelques alarmantes distorsions.
On peut ainsi se demander si les montres les plus intéressantes de cette vente, officiellement adjugées, l’ont vraiment été, et aux prix indiqués.
La plupart de ces montres appartenaient en effet, de notoriété publique, à Bernie Chase et à ses « copains » (j’ai bien écrit « copains », pas « coquins ») : elles semblent avoir été adjugées à un prix trop bas pour leur cote réelle.
Quel vrai collectionneur ou quel marchand de montres – et Bernie Chase sait de quoi il parle – accepterait de sacrifier ainsi des fleurons de sa collection ? Bernie Chase est tout sauf un idéaliste...
Il est donc probable que ces mirifiques Patek Philippe, utilisées ici comme des « produits d’appel » pour les gogos, sont toujours dans les coffres d’Antiquorum, qui aurait probablement du mal à présenter des livres de compte sincères à propos de cette vente.
A moins que… A moins qu’on n’en soit déjà beaucoup plus loin dans le détournement des enchères et dans le parasitage du fonctionnement transparent d’une maison d’enchères.
Ce serait du mauvais western financier que de supposer qu’on peut jouer avec les prix de réserve garantis aux vendeurs. Ce système permet à la maison d’enchères de garantir un prix minimum au vendeur : si l’enchère sous le marteau est plus basse que ce minimum, la maison d’enchères rembourse tout simplement la différence au vendeur.
C’est ainsi qu’on peut gagner de l’argent (frais et propre) tout en créant du déficit défiscalisable : il suffit que le vendeur et le « commissaire-priseur » soient de connivence. Il suffit qu’ils trouvent un « acheteur de paille », voire même pas d’acheteur du tout, puisqu’il suffit ensuite de « post-régulariser » une vente qui serait annulée.
Je me refuse évidemment à penser qu'on en est là.
Tout ceci n’est, bien entendu, que le fruit d’une imagination débridée et relève d'un scénario de mauvais aloi qui aurait été cuisiné par un mauvais journaliste.
Je suis évidemment convaincu que, comme dans les bons romans (à clés ?), « toute ressemblance avec une personne ou une situation ayant existé ne serait que le résultat improbable d’une coïncidence involontaire »…
Ceci posé, les résultats assez désastreux d’Antiquorum lors de la vente de New York sont encore plus inquiétants pour l’avenir de l’entreprise et l’emploi de son personnel. Il faut à Antiquorum – gros salaires des dirigeants et gros frais de fonctionnement – un bon million de francs suisses par mois de roulement, mais les caisses sont vides.
Lourdement endettée (environ 10 millions de francs suisses, auprès du fisc, des banques, des fournisseurs et des vendeurs) et en situation de faillite virtuelle, Antiquorum n’a plus de fonds de roulement, ni d’espoir de « rentrer de l’argent » avant les ventes de cet automne, d’autant plus problématiques qu’Antiquorum a perdu la confiance des collectionneurs, qui refusent désormais de confier leurs belles pièces à une maison incapable de les valoriser dignement.
A la rentrée, le retour d’Osvaldo Patrizzi sur le marché des enchères de collection ne va pas favoriser la relance Antiquorum, maison qui n'est déjà plus dans le peloton de tête des auctioneers horlogers.
L’exemple du « marquis espagnol », dont la collection a été bradée au mois de mai (encore un vendeur qui n’a toujours rien touché après la vente de ses montres !), a été fatal à la réputation de l’équipe Tsukahara.
La source est donc tarie, et il ne reste plus pour alimenter les catalogues d’octobre que les « stocks » du marché non officiel gérés par les copains américains…
Les banques suisses ont fermé le robinet (à Genève, on lit beaucoup les analyses publiées par Business Montres), sans espoir de les réouvrir avant longtemps, et les « chevaliers blancs » se font rares à l’horizon.
L’augmentation de capital de 2,2 millions promise par Gerald Chase est sans doute versée (ce qui le rend virtuellement propriétaire de 51 % des actions), mais elle est durablement bloquée sur un compte de consignation par un tribunal de Zürich, qui n'a pas encore statué sur la légalité de cette augmentation de capital.
C’était le dernier ballon d’oxygène espéré par la faction Tsukahara pour éviter la banqueroute : comment seront payés les salaires des prochains mois, et les vendeurs des dernières ventes ?
L’été sera meurtrier à Genève…
•••• Pour les non-initiés, le schüblig est la saucisse à griller (bœuf et porc) sans laquelle les tables suisses ne seraient pas tout-à-fait suisses…
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