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La question est posée sans détours par certains sites Internet : peut-on à la fois être juge et partie ?
En d’autres termes, une entreprise peut-elle, sans encourir de soupçons, mettre un champion sous contrat publicitaire et mesurer officiellement les victoires de ce même champion ?
Le centième de seconde d’avance accordé par Omega, chronométreur officiel olympique, à son ambassadeur Michael Phelps crée un trouble et suscite bien des interrogations à la fin de ces JO…
Le défi de Michael Phelps n’était pas mince : ce phénoménal champion voulait absolument une huitième médaille d’or, non seulement pour battre le record précédent (les sept médailles d’un autre nageur américain, Mark Spitz, à Munich, en 1972), mais surtout pour s’imposer comme le meilleur nageur de l’histoire du sport en bassin.
Ce qui, accessoirement, ne pouvait avoir qu’une incidence favorable sur des contrats publicitaires qui font que la référence « Michael Phelps » est aujourd’hui une « marque commerciale » à part entière, « propriété » d’un consortium économique d’entreprises intéressées à ses performances.
Promu « ambassadeur d’Omega » depuis 2004, le meilleur nageur du monde va revoir à la hausse tous ses contrats commerciaux. On a parlé de 20 millions de dollars pour cette année 2008. Ses sponsors (Visa, Speedo, Kellog’s ou Omega) ne se plaindront pas de cette huitième médaille qui change tout.
Si Kellog’s ou Visa ne peuvent en aucun cas interférer dans un résultat olympique, il n’en va pas de même pour Omega, chronométreur officiel des jeux Olympiques, qui tenait la clé de cette huitième fabuleuse médaille. L'horloger suisse était ainsi à la fois un des principaux bénéficiaires de ce record et son principal arbitre.
Ce qu’on appelle indiscutablement être à la fois « juge et partie »…
C’est là, effectivement, que le doute peut s’insinuer. Surtout quand la huitième médaille, celle qui fait la différence et qui crée un précédent historique, est acquise à un centième de seconde de différence sur 100 mètres papillon, soit tout juste la longueur d’un doigt, voire d’une phalange…
Pour chronométrer les épreuves de natation, Omega a mis en place les premières « plaquettes de touche » sur la ligne d’arrivée, avec un système de « boîte noire » (ARES : Automatic Recording Evaluation System) qui garantit la fiabilité des résultats. « Garantie » donnée par Omega sur son propre matériel (conception : Swiss Timing, bras armé du Swatch Group pour le chronométrage sportif), sans vraie tierce partie pour contrôler le contrôleur…
Le doute est d’autant plus permis que, pendant toute la course de ce désormais légendaire 100 mètres papillon, c’est le challenger de Phelps, le Serbo-Californien Milorad Cavic, qui avait mené la course, Phelps ne passant le premier virage des 50 m qu’en septième position. Sur tous les écrans, Cavic est apparu comme vainqueur, ce que semblaient également penser et l’entraîneur de Michael Phelps et sa mère, présente au bord du bassin. A l’œil nu et de l’avis unanime, la médaille d’or était pour Cavic.
Même Phelps lui-même semblait accepter sa défaite dans les premières secondes de l’arrivée, quand le verdict de la « boîte noire » est tombé : un centième de seconde d’avance pour le champion américain !
Un centième de trop ? La question se pose déjà pour certains, qui parlent d’un évident conflit d’intérêts dans cette affaire. Un centième qui fait à la fois une formidable pub pour l'ultra-précision du chronométrage officiel signé Omega et une fantastique promotion pour la marque Omega, lié par contrat au principal bénéficiaire de ce centième de seconde historique (c’est le plus petit écart jamais enregistré dans une épreuve olympique de natation)…
Bien entendu, il est absurde d’imaginer Stephen Urquhart, le président d’Omega, en train de « bidouiller » lui-même la boîte noire des chronométreurs officiels pour ajouter un centième de seconde à son ambassadeur préféré (ci-dessus, on le voit avec Michael Phelps, en casquette, et les champions nageurs de l’« écurie » Omega, qui auront gagné 48 médailles olympiques de Beijing 2008 !)…
Bien entendu, il est inimaginable de soupçonner Omega d’établir des chronométrages sur mesures, en fonction de ses intérêts promotionnels et commerciaux…
Aujourd’hui, la question a été tranchée par les juges olympiques : en dépit de nos perceptions visuelles apparentes, Michael Phelps a été le premier à toucher les plaquettes d’arrivée. Point à la ligne !
La finesse du chronométrage officiel (calé sur une précision de l’ordre du 10 000e de seconde) a eu raison de nos « illusions » d’optique. Donc acte : bravo pour Omega, qui a sans doute évité une injustice sportive qui n'aurait pas été détectée au cours des JO précédents…
Sans tomber dans une dérive conspirationniste (entretenue par différents sites Internet), il n’en reste pas moins que le soupçon reste possible et qu'une question éthique est posée.
Le chronométreur officiel – celui qui crée les champions – peut-il par ailleurs être celui qui bénéficie directement et commercialement des victoires remportées par les champions ainsi créés ?
Le fameux « esprit olympique » ne s'oppose-t-il pas à un tel mélange des genres ?
Dans n’importe quelle autre situation sportive, la réaction serait évidente : imagine-t-on, en finale de l’Euro, un arbitre qui serait financièrement associé à une des équipes en lice ?
Il ne s’agit plus aujourd’hui de contester la victoire de Phelps (définitivement acquise et admise, y compris par son concurrent serbe), mais de situer la discussion sur un registre plus éthique, surtout après des jeux Olympiques où même les chevaux ont triché !
La réponse à ce débat moral – qui ne remet pas en cause l’honorabilité évidente d’Omega, et encore moins sa performance chronométrique – est entre les mains du Comité international olympique.
••••• Cette question se pose d’ailleurs pour d’autres sports, notamment la compétition automobile : on se souvient du temps où TAG Heuer chronométrait un championnat de F1 dont une des écuries courait sous les couleurs de TAG Heuer. Malaise rétrospectif !
Et interrogations similaires pour ce qui concerne les courses de l’Indy Car, chronométrée par TAG Heuer au 10/1 000e de seconde. Il n’est pas rare que les champions, sous contrat avec TAG Heuer, y soient séparés par un petit dix-millième de seconde, soit l’épaisseur d’un autocollant sur le pare-chocs avant du bolide ! Qui contrôle le contrôleur ?
Contre-exemples probants : pour chronométrer l’America’s Cup, Louis Vuitton ne disposait pas d’équipe à son nom, ni d’intérêts dans un des syndicats en course.
En revanche, quand le chronométrage n’est pas un élément décisif de la compétition, comme pour les épreuves de tennis ou de golf, il n’est pas gênant qu’une marque soit liée à des champions : Rolex reste insoupçonnable concernant Roger Federer ou Lorena Ochoa…
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