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Les boutiques horlogères sont à la mode pour les griffes branchées, mais c’est un peu moins vrai dans le luxe.
Et c’est encore moins fréquent dans l’horlogerie haut de gamme, dont on comprend mal les préventions.
Pourtant, ces « pop ups » commerciaux ont tout pour séduire la nouvelle génération horlogère.
Les préjugés contre l’éphémère ont la vie dure !
Seule marque de montres qui pratique assidûment la boutique éphémère : Swatch, avec son concept de Mobile Instant Store, aujourd’hui parfaitement rôdé sur plusieurs continents. Gentilles jeunes filles et jeunes gens prévenants, accueil parfait, spontanéité d’un accueil sympathique et disponibilité permanente : on est loin de la « soupe à la grimace » habituelle dans les espaces prestigieux des « grandes » marques, quand on a presque envie de s’excuser d’avoir osé pousser la porte…
Cependant, ne pas oublier Rolex, qui ne s’en prive pas sur les grands événements sportifs de la marque (c’est-à-dire souvent et dans les meilleurs spots de cette planète). Et c’est à peu près tout, si on excepte certaines initiatives non horlogères de Louis Vuitton, à Tokyo ou à Brooklyn.
Manifestement, le « pop up retail » – assimilé ainsi aux fenêtres qui s’ouvrent et qui se ferment sans prévenir sur les écrans Internet – n’a pas la cote en milieu horloger. Les points de vente éphémères y sont considérées comme trop mode et trop cheap, bref trop peu porteuses d’image. L’industrie de la montre a trop le culte de la pierre et de la belle adresse pour se risquer sur ce terrain, qui est pourtant un des plus porteurs d’avenir de ces dernières années !
Les marques qui s’y adonnent vont bien au-delà des simples griffes de mode. Derrière les habitués genre Comme des garçons (les meilleurs guérilleros de l’éphémère) ou Gap, citons, entre autres, Nutella à Paris (40 jours de petits déjeuners offerts), Nike à Vancouver (un rendez-vous du week-end pour les joggers), Uniqlo à New York (le temps d’ouvrir une vraie boutique), Southern Comfort en Australie (un bistrot éphémère dans des containers !), Amazon à Dusseldorf (une librairie virtuelle en « dur »), Bonne Maman (pour tourner autour du pot ?) ou Converse (100 jours au numéro 100 d’une célèbre avenue)…
Pour quelques marques on-line, c’est aussi l’occasion de se poser off-line sans renier vraiment son business model, juste pour avoir, l’espace d’un instant, l’ivresse d’un contact réel avec des clients physiques. Quand on songe au développement du commerce horloger on-line, on devine là un immense potentiel d’implantations éphémères et saisonnières parfaitement ciblées (fêtes, événements, manifestations sportives, etc.).
Atouts de ces points de vente – exclusivement citadins – qui se posent et se déposent le temps d’un week-end ou d’une saison : une excellent buzz marketing (surtout s’il est doublé d’une habile campagne de sensibilisation sur un média tactique) autour de la création de l’événement, un excellent gain d’image par le clin d’œil lancé aux amateurs, un accès privilégié à d’autres clientèles que celles des boutiques voisines, une excitation des achats d’impulsion, un effet de curiosité et d’aubaine quand la boutique propose des séries limitées exclusives.
Bien entendu, les bénéfices économiques ne sont pas négligeables, puisque l’investissement immobilier est négligeable, les réglements d’urbanisme contournés et l’opportunisme commercial érigé en principe managérial : on s’installe « en exclusivité » là où il n’y a pas de place, mais dans un contexte ultra-positif et rémunérateur. Sans que ce concept éphémère remplace les boutiques traditionnelles, il le complète, sans avoir cet aspect intrusif que revêtent les concentrations forcenées des marques de luxe dans certaines rues (se souvenir ici comment les montres de luxe ont « tué » la rue du Rhône, à Genève).
Ces « pop up stores » reflètent les nouvelles tendances qui structurent les nouvelles consommations : liberté apparente du choix et de la décision, illusion de la bonne affaire, pied-de-nez décontracté aux institutions, impression d’exclusivité et de privilégiature des « initiés », non-conformisme marchand dans un effet de miroir permanent entre la marque et ses clients. A tel point que la vogue de l’éphémère gagne à présent les restaurants (cartes et menus éphémères), les hôtels (décoration ou localisation éphémère) ou même les marques, mais on est encore loin d’un quelconque danger de « banalisation » de cette tendance.
Il n’est pas illogique que l’éphémère s’impose en contre-courant du développement « durable » : les deux concepts sont au contraire très complémentaires et sans doute eux-mêmes plus « durables » qu’on ne l’imagine.
On reste dans le concept « Fire et forget » (en français : « Tire et tire-toi ! »), qui séduit bien des créateurs de la nouvelle horlogerie : un concept de montres en série limitée et on passe à un autre concept, avec ou sans logique de marque !
Ce qui indique à quel point la boutique éphémère est un concept intéressant pour les jeunes références de l’horlogerie contemporaine. A défaut d’une arcade place Vendôme, un Algéco rue de la Paix ? Pourquoi pas si ça fait sens ! C’est de toute façon plus amusant, moins coûteux et plus rentable que les longues heures passées à faire la cour aux détaillants voisins, déjà surstockés de marques qu’ils ne peuvent pas refuser…
Le problème de l’« image » avancé par les marques traditionnelles n’en est pas un, comme Louis Vuitton l’a prouvé à travers le monde et comme savent le mettre en scène certains esprits agiles (ci-dessus : l’éphémère Vendome Luxury Shop dans les jardins du Ritz, à Paris).
Ephémère n’est pas synonyme de caravaning, comme en témoignent les boutiques Rolex éphémères. La boutique éphémère de Richard Mille pendant Le Mans Classic n’avait rien à envier aux meilleures boutiques de la marque ailleurs dans le monde, mais elle a permis à de nombreux passionnés de regarder de très près et même de toucher des montres qui les auraient nargué ailleurs derrière trois centimètres de vitrage blindé…
La question du coût unitaire des produits proposés devient secondaire par rapport aux bénéfices marketing de cette guérilla commerciale : le tout est de faire coïncider l’offre, l’image et la cible commerciale visée lors de l’implantation provisoire. N’est-ce pas la façon, la plus efficace d’aller « à la rencontre de ces clients », principe marketing qui reste le Graal de toutes les marques, dans le luxe et l’horlogerie comme ailleurs ?
Au dernier salon Belles Montres, à Paris, de nombreux collectionneurs – pas du tout économiquement faibles – ont passé des heures à manipuler des montres et à jouer avec des pièces qu’ils auraient pu facilement trouver dans les boutiques voisines. Sauf que, précisément, rien n’est moins accueillant et convivial [sauf exception] qu’un point de vente traditionnel d’horlogerie, dont il est devenu pénible de pousser la porte.
Alors que toutes les grandes capitales du monde tendent à s’uniformiser avec les mêmes enseignes adeptes du même merchandising, les boutiques éphémères jettent un peu de fantaisie dans un univers marchand qui se désole que les clients se fassent de plus en plus inconstants et imprévisibles.
Les clients du luxe horloger ont beaucoup plus changé leurs habitudes que les marques qu’ils continuent à aimer, mais dont ils supportent de moins l’arrogance et l’autisme.
Le container chic et furtif pourrait devenir une façon intelligente et décalée de renouer le dialogue !
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