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Dévoilés au public européen par Business Montres, les manœuvres financières autour du groupe horloger Peace Mark se prolongent en Suisse, avec le rachat par le groupe Festina du pôle Swiss Made de Peace Mark.
Pour les lecteurs de Business Montres, l’alliance objective Peace Mark-Festina n’est pas une révélation. En reprenant aux Chinois l’ensemble Soprod (ex-SFT), Miguel Rodriguez honore un partenariat déjà ancien et donne même un sérieux coup à ses amis chinois, toujours englués dans la renégociation d’un endettement aussi pressant que paralysant.
D’une part, le groupe Peace Mark s’offre quelques liquidités supplémentaires, ce qui peut prolonger de quelques jours les négociations en cours et calmer provisoirement les banquiers de Honk Kong.
• Côté Peace Mark, on en est tout de même à 111 millions d’euros inconsciemment empruntés à très court terme, soit 176 millions de francs suisses. Les horlogers de Hong Kong avaient tout misé tout sur des « sauveurs providentiels » comme leurs amis du fonds d’investissement CVC, mais ces derniers ont déclaré forfait !
Plus les semaines passent et plus les managers locaux de ABN Amro, ING Bank, Bank of America Securities, Commonwealth Bank of Australia, Deutsche Bank and United Overseas Bank s’affolent et s’intoxiquent les uns les autres, chacun craignant d’être le dernier à qui on va refiler la patate chaude d’un endettement impossible à supporter sans grave thrombose coronarienne.
Du coup, le rachat annoncé par Festina (qui était déjà partie prenante dans le tour de table du rachat de Soprod et actionnaire minoritaire de l’entité Swiss Made des Hongkongais) permet de promettre quelques dizaines de millions d’euros aux banquiers terrorisés.
Montant estimé de la transaction : sans doute pas loin de 80 millions de francs suisses pour l’ensemble Soprod ex-SFT (Soprod, Indtec, IMM). A Hong Kong, on se sent déjà mieux.
• Côté Festina, on se fait plaisir. Miguel Rodriguez s’offre officiellement une capacité manufacturière (calibres mécaniques, dont l’excellente série des Alternance 10 ou 20, complications, mouvements quartz, composants et même spiraux) qui vient renforcer son propre pôle de haute horlogerie, regroupé autour d’Astral (spiraux et composants sratégiques).
Il met également la main sur un fichier client de premier plan et sur un carnet de commandes qui assure une rentabilité évidente à toute l’opération.
Industriellement, le coup est parfaitement bien joué.
On peut imaginer que Peace Mark a doublé cette revente de discrètes clauses de partenariat privilégié, tant du côté des usines en Chine (Festina a ses propres ateliers de production dans la région de Shenzhen) que sur les marchés européens, où Festina se pose de plus en plus en concurrent direct du Swatch Group. A une échelle certes modeste, mais avec des ambitions très nettes, dans l’entrée de gamme (Festina, Lotus, Jaguar, Calypso) que dans le haut de gamme mécanique (Candino, Perrelet, Leroy et d’autres surprises à venir : n’oublions pas que Peace Mark est toujours officiellement propriétaire de Milus et de multiples marques françaises)…
Ne le répétez pas, mais la réalité crève les yeux : avec cette consolidation industrielle, Festina est désormais – toutes proportions gardées – le premier, sinon le seul, concurrent d’ETA. On peut donc s’attendre à une reprise prochaine des torpillages sous-marins et de la guerre de l’ombre
Révélée par à l'époque par Business Montres, l’aventure Swiss Made de Peace Mark aura tout juste duré un an, mais Patrick Chau et Tommy Leung auront beaucoup appris.
• Tout d’abord, que les Suisses, avec lesquels ils avaient signé des accords de partenariat, sont tout sauf gentils quand on vient les chercher sur leur territoire de légitimité. L’avenir permettra sans doute d’établir que le tsunami bancaire qui a détruit les capacités stratégiques de Peace Mark n’était sans doute pas un typhon purement local.
• Ensuite, les dirigeants de Peace Mark auront compris que l’horlogerie – l’industrie du temps – est un métier dont il faut respecter les constantes de temps. Le groupe hongkongais avait brûlé les étapes dans sa course à la croissance externe, passant en quelques années d’un combinat d’usines disparates à un pôle horloger de premier plan sur la scène internationale, riche de maillons bien répartis de la production à la commercialisation, en passant par une intelligente diversification en Europe et jusqu’au cœur de la Suisse horlogère.
En s’endettant trop et trop vite à trop court terme, on finit par perdre toute capacité de manœuvre stratégique. Recemment, Peace Mark avait misé gros en rachetant au prix fort Sincere, réseau essentiel dans le Grand Jeu horloger est-asiatique : c’était peut-être le dessert trop crémeux qui empêche de bien digérer le riche repas précédent.
• L’intervention de Festina comme « chevalier blanc » reste une preuve d’habileté stratégique, mais on n’en attendait pas moins de managers rompus aux subtilités du mah-jong. Ils passent la main à leur « ami » de Festina, qui leur permet en outre de s’offrir un ballon d’oxygène financier à un moment critique.
Le môle d’alliés objectifs constitué autour de Peace Mark (Business Montres avait cité notamment Franck Muller et Festina, mais d’autres puissances suivent ça de près) reste intact : seul le bastion avancé en terre helvétique a changé de main. Le projet stratégique n’a pas non plus à être modifié.
Les grandes manœuvres vont continuer, avec ou sans Peace Mark, qui pourrait bientôt tomber entre les mains du Carlyle Group, sans qu’on sache aujourd’hui si ce fonds d’investissement obéit à une logique purement financière et opportuniste ou à des visées plus subtiles, soit comme « ami » discret des intérêts sino-hongkongais regroupés autour de Peace Mark, soit comme « liquidateur » de la puissance émergente que représentait Peace Mark sur la scène horlogère internationale.
A PROPOS DU RACHAT POSSIBLE
DE PEACE MARK PAR CARLYLE
Cet éventuel rachat de Peace Mark poserait tout de même quelques problèmes.
Les liens des managers de Peace Mark avec les actuels dirigeants chinois ne sont un mystère pour personne, ce qui explique sans doute les facilités bancaires qui ont permis au groupe de poser les premières pierres de son empire (seuls les banquiers de la onzième heure ont flanché).
•••• On se demande comment coexisteront les dignitaires du Parti communiste de la République populaire de Chine et les néo-conservateurs américains qui quadrillent l’empire Carlyle.
Les premiers arment les talibans. Les seconds financent les guerres du pétrole contre les réseaux islamistes, en Afghanistan et dans tout l’arc de crise polarisé entre le Tigre et l’Euphrate…
•••• En attendant, sans un dollar HK en caisse, les patrons de Peace Mark n’ont plus la moindre capacité d’initiative stratégique, au pied du pic Victoria ou ailleurs dans le monde. Et leurs concurrents ricanent de soulagement.
•••• Peut-être ont-ils tort de se réjouir. D’une part, la panique larvée des banquiers locaux est un indice de la crise qui mine sourdement l’apparente prospérité sino-asiatique : la confiance s’est enfuie et les eaux du « port des parfums » sont aussi grises que le moral des analystes dans les gratte-ciels de Central.
•••• D’autre part, c’est sur le pilier Peace Mark que reposent bon nombre des passerelles lancées en Chine en Asie du Sud-Est par les marques de montres européennes. Si ce pilier flanche, c’est toute l’actuelle économie horlogère qui s’effondre, faute de relais suffisant au Proche-Orient et en Russie : tout le monde a déjà constaté la mise en drapeau du moteur américain et le point mort du moteur européen.
•••• Enfin, cette débâcle de l’offensive Peace Mark n’est vraisemblablement qu’un ballon d’oxygène pour une industrie helvétique de la montre qui tarde à se restructurer autour d’une nouvelle donne internationale. Le vent d’Est s’est calmé, mais les ambitions internationales des horlogers chinois restent aussi insatiables qu’insatisfaites. Et ils prouvent avec Festina qu’ils ont des alliés dans la place.
En révélant, voici trois ans, la mise en place du réseau Peace Mark en Europe, puis en dévoilant ses avancées successives, Business Montres évoquait un « cheval de Troie » : la métaphore reste d’actualité.
Les prochaines manches auront un goût de revanche : non seulement Patrick Chau et Tommy Leung n’ont pas dit leur dernier mot (loin de là), mais leurs successeurs prendront sans doute moins de gants…
On n’a pas fini de rire… jaune !
POUR CEUX QUI AURAIENT DES DOUTES ET QUI ME POSENT DES QUESTIONS SUR CARLYLE...
Carlyle ? Ce fonds est tout sauf un chevalier blanc et il n’est pas dirigé par des enfants de choeur.
On connaît les liens de Carlyle avec la CIA américaine et avec la classe politique des Etats-Unis, notamment James Baker (ex-secrétaire à la Défense) et la famille Bush, père et fils.
Pour l’anecdote, c’est Olivier Sarkozy, le demi-frère du président de la République française, qui copilote depuis 2008 les services financiers internationaux d’un Carlyle Group qui a réussi à se faufiler entre les gouttes de l’actuelle crise banco-financière américaine.
Autre controverse : les liens croisés surprenants entre la Maison-Blanche de George W. Bush et la famille Ben Laden (voir un résumé de cette connexion dans la notice Wikipedia consacrée à Carlyle).
Avec 52 milliards d’euros d’actifs judicieusement investis et des relations politiques au plus haut niveau dans toutes les sphères du monde développé, le groupe Carlyle gère une soixantaine de fonds à travers le monde.
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