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La nouvelle campagne publicitaire de Jaeger-LeCoultre commence à faire causer dans notre petit
microcosme horloger.
La sentence est aussi lapidaire que comminatoire :
« Avez-vous déjà porté une vraie montre » ? Un excellent concept de disruption publicitaire, mais la question repousse les autres marques – y compris celles de Richemont – dans l’enfer des « fausses » montres…
Jérôme Lambert l’a clairement expliqué en présentant cette campagne (création DDB) : « Ce ne sont plus les réalisations horlogères qui figurent sous les feux de la rampe, sinon le savoir-faire, l'inventivité et l'authenticité sans lesquels aucune de ces créations n'aurait pu voir le jour ».
Avec cette précision : « Il s'agit de présenter aux hommes, traditionnellement plus sensibles à la complexité technique et aux performances, les qualités intrinsèques de la marque, à l'instar de l'innovation technique, de l'expérience et du génie inventif ».
A défaut de sobriété ou de modestie, le ton ne manque pas de virilité.
La question est brutale : « Avez-vous déjà porté une vraie montre ? » Elle vise à exclure toute « erreur d'appréciation » concernant les « duperies et tromperies » apparemment proposées par d’autres marques.
Avec cette interrogation finale face à une mallette qui présente une quarantaine de calibres « manufacture » de toutes sortes : « Aucune autre manufacture horlogère ne peut signer cette photo ».
Effectivement, et c'est tautologique, personne hormis la manufacture Jaeger-LeCoultre ne peut signer une composition de mouvements Jaeger-LeCoultre...
Il existe cependant d’autres maisons suisses ou autres qui peuvent proposer autant, sinon plus de mouvements mécaniques « manufactures ».
Admettons que les créatifs de DDB aient pêché par enthousiasme de néophyte…
Reste cette impression de malaise ressenti par de nombreux managers horlogers : « Et nous, nous ne sommes pas des vraies marques ? ». C’est vrai hors du groupe Richemont comme à l’intérieur du groupe Richemont, qui ne manque pas de prétendants tout aussi légitimes pour s’affirmer « manufacture » et pour s’imaginer qu’ils font, eux aussi, des « vraies montres » : le prochain SIHH s’annonce animé !
Même émotion chez les détaillants, notamment ceux de la marque, qui proposent aussi d’autres marques que Jaeger-LeCoultre et qui se trouvent, du fait de cette campagne, pris malgré eux en flagrant délit de déloyauté vis-à-vis de leurs autres partenaires.
Evidemment, personne ne veut officiellement commenter la campagne de Jérôme Lambert, mais le trouble est certain. La tradition de l’omerta dans l’industrie horlogère (et aussi dans la presse spécialisée) est assez forte pour endiguer les indignations publiques, mais elle ne fait qu’attiser, en coulisses, les interprétations sans bienveillance.
La question est désormais posée à tous les amateurs qui auront choisi une autre montre qu'une Jaeger-LeCoultre : « Pourquoi portez-vous des montres qui n'étaient pas vraies ? »
Business Montres a trop souvent souligné l’absence d’audace et de créativité des publicités horlogères – un packshot bien léché en guise de concept – pour ne pas saluer l’initiative de Jaeger-LeCoultre et apprécier à sa juste valeur son impact provocateur.
Je me suis cependant souvenu d’une interview accordée par Jérôme Lambert à l’excellent Joël Jidet et publiée chez nos amis de Forumamontres. C’était en 2005.
Question : « Si vous ne portiez pas une Jaeger-LeCoultre, quelle montre choisie aimeriez-vous porter aujourd’hui ? ». Réponse de Jérôme Lambert : « Une Panerai vintage ou une Vacheron Patrimony ».
Deux hypothèses : ou bien, entretemps, Panerai et Vacheron Constantin ont cessé de faire des « vraies montres ». Ou bien Jérôme Lambert pourrait se contenter de montres qui ne sont pas « vraies ». Horresco referens…
Ci-dessus : Jérôme Lambert en compagnie d'un vrai astronaute (Buzz Aldrin) et d'un vrai people (Massimo Gargia).
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