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Osvaldo Patrizzi, fondateur et ex-président d’Antiquorum, adresse une lettre ouverte à Bob Maron, le nouveau propriétaire de la maison.
Message ou missile ?
En tout cas, ce n’est pas un billet doux et Patrizzi n’y va pas avec le dos de la cuillère…
Ça commence poliment : « Félicitations, cher Bob ». Celui qui écrit cette lettre a fondé Antiquorum et l’a managé d’une main de fer jusqu’à ce qu’il soit limogé en août 2007. Celui qui recevra le message est le nouveau propriétaire de la maison d’enchères, le quatrième en un an [voir nos informations précédentes à ce sujet].
Pour avoir arpenté ensemble toutes les salles de vente et toutes les bourses aux montres du monde entier, les deux compères se connaissent bien et on peut imaginer qu’ils se tutoieraient s’ils se parlaient en français. C’est donc très librement qu’ils s’entretiennent.
La suite est plus brutale : « Sais-tu où tu as mis les pieds ? » [Bob Maron étant tout sauf un perdreau de l'année, on imagine que oui, mais le doute affiché par Osvaldo Patrizzi crée un suspense]...
On entre ensuite dans le concret : « Es-tu sourd au point de ne pas entendre ceux qui frappent à la porte d’Antiquorum ? ». Comprenez par là les huissiers qui exigent le remboursement des dettes de la société…
• Et Patrizzi d’énumérer, en plus des 11 millions de francs suisses réclamés à Antiquorum par Quorum House (un société financière qui servait de relais à Osvaldo Patrizzi pour ses achats de collections de montres) ;
• 889 000 francs réclamés par l’administration suisse au titre de diverses taxes ;
• 512 000 francs exigés par l’imprimeur des catalogues ;
• 700 000 francs facturés par PricewaterhouseCooper (la société qui a « audité » Antiquorum après l’éviction de Patrizzi) ;
• plus quelques autres dettes auprès des malheureux vendeurs qui ont apporté leurs montres dans les dernières dispersions d’Antiquorum.
• Patrizzi ne manque pas de rajouter 5 millions de francs à rembourser au marquis espagnol qui a vend sa collection de montres neuves en mai dernier ;
• sans oublier 500 000 dollars dûs à Joseph Lam, autre compagnon de Bob Maron et d’Osvaldo Patrizzi sur les champs de bataille horlogers…
Rien de tout cela n’étonnera vraiment les lecteurs de Business Montres, qui n’avait pas publié précisément tous ces chiffres, mais qui en connaissait la valeur (à l’exception sans doute de la dette PricewaterhouseCooper, qu’on me disait payée). Je peux en confirmer l’exactitude globale, largement vérifiable à l’Office des poursuites de Genève (service qui centralise les actions en recouvrement dans le canton)…
Avec Osvaldo Patrizzi, après ce plat de résistance ultra-calorique, c’est fromage et dessert.
• Fromage avec un rappel des salaires pris par les uns et les autres à la direction d’Antiquorum : 2 millions de dollars par pour Bob Maron (c’est confortable, surtout en Californie, par ces temps de credit crunch) et 700 000 dollars pour Yo Tsukahara, le CEO d’Antiquorum (même à Genève, c’est très cosy).
Salaires qu’on est prié de rapporter à l’endettement de la maison d’enchères, au nombre des vendeurs qui pleurent pour être payés et aux faibles chances qui s’offrent à Bob Maron de rentrer un peu de cash : « Crois-tu vraiment que c’est revendant les fonds de tiroir de ton stock que tu vas toucher le gros lot lors de la prochaine vente de New York ? ».
Propos qui ne relèvent évidemment plus du billet doux, mais des meilleures Série Noire.
• Le dessert, ce sont les allusions finales aux raisons qui ont conduit Evan Zimmerman, l’ex-allié de Patrizzi, à trahir ce dernier : « Tu devrais songer au coup de poignard dans le dos que Zimmerman n’a pas hésité à me donner, alors que je devais lui faire cadeau de 25 % des parts. Tout ça pour ne pas me payer les 48 millions de dollars qu’Antiquorum aurait dû me verser lors de mon départ à la retraite, en décembre 2008 ».
Avec ce conseil d'ami : « A ta place et sachant que Zimmerman n’a plus aujourd’hui que 10 % de ces mêmes parts, fais attention : Bob, surveille bien tes arrières ».
Ça, ce n’est plus de la dentelle, mais de la littérature hard boiled, du thriller à l'estomac, presque du gore horloger !
En général, on ne s’exprime pas ainsi dans l’univers toujours feutré du luxe et des collections de prestige. Toujours murmurée à mots couverts, la querelle était restée dans le salon : elle se prolonge maintenant dans le saloon…
Et c’est Osvaldo Patrizzi qui a dégainé le premier ! On déduira de son coup de sang qu’il doit être actuellement très remonté contre Bob Maron, qu’il avait paru vouloir épargner quand celui-ci avait racheté les actions d’Antiquorum à Gerald et Bernie Chase.
Est-ce le coup d’envoi de nouvelles péripéties juridico-médiatiques ? A la louche, sur le tapis vert, on n’est pas loin des soixante millions de francs suisses : ce n’est pas rien, même sur les rives lémaniques…
Est-ce une tentative de déstabilisation médiatique de l’actuelle direction d’Antiquorum, cette fois lancée par le camp Patrizzi, qui semble du coup se sentir assez fort pour ferrailler ainsi publiquement ? A deux mois des grandes ventes genevoises de novembre et face à une actualité économique capable de ruiner la confiance des collectionneurs, c’est assez dangereux…
La suite au prochain numéro : on n’est jamais déçu quand on suit de près ce dossier !
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