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Révélation de Worldtempus : Ebel vient de signer un accord de partenariat exclusif avec le Realmadrid (Espagne) et annoncera, ces jours-ci d’autres accords avec des clubs européens de premier plan
(Olympique Lyonnais, Glasgow Rangers, Ajax Amsterdam, en attendant d'autres équipes).
Que vont donc faire les horlogers sur les stades de football ?
Repérée dans la presse espagnole (Marca, le grand quotidien sportif local, 500 000 exemplaires) : une pleine page sur l’accord passé entre le Realmadrid (on ne présente plus) et la manufacture Ebel, qui devient ainsi le partenaire exclusif du club pour tout l’univers horloger (montres, chronométrage officiel sur les stades, etc.).
Ebel avait déjà signé un accord comparable avec Arsenal (Royaume-Uni, 2007) et avec le Bayern Munich (Allemagne, 2008).
La marque confirme ainsi son engagement stratégique dans le football, en choisissant une tactique originale : créer une équipe de grands clubs (les plus beaux maillots de la Ligue européenne) au lieu de soutenir des équipes nationales, des joueurs ou des compétitions sportives.
On voit bien se dessiner la ligne suivie par Ebel : une réorientation très claire de la communication sur le football, univers choisi pour ses différents avantages promotionnels, avec une démarche pensée sur le long terme.
Ce qui ne place pas Ebel en situation de confrontation directe avec Hublot, qui a successivement misé sur un événement (Euro), sur une équipe nationale (Mexique, Espagne) et même sur une fédération locale (Espagne), selon les principes tactiques de marketing opportuniste chers à Jean-Claude Biver. Ebel évite également la confrontation avec les marques qui soutiennent directement des joueurs (IWC et Zidane, delaCour, Franck Muller, etc.) ou qui rêvent de prendre en main les futures grandes compétitions, comme le Mondial sud-africain de 2010 ou l’Euro polonais de 2012.
Avantages promotionnels du football, qui a définitivement perdu sa mauvaise réputation auprès des marques de luxe [on avait parlé de syndrome Richemont pour expliquer cette bizarre footballphobie horlogère, sport qui passionne par ailleurs la plupart des patrons de marque] :
• Une légitimité « verticale », aussi bien chez les supporters de base que chez les parrains financiers et les VIP associés aux clubs. Pour ce qui est de l’audience, il faut savoir que le site d’Arsenal est consulté quotidiennement par un million et demi de personnes. Ebel y organise un concours, « Fatest goal », qui mobilise en permanence 20 000 joueurs.
• Une audience « horizontale » insoupçonnée, notamment en Asie : les connexions européennes ne représentent qu’un tiers de la fréquentation quotidienne du site d’Arsenal, les deux-tiers venant d’Asie. L’audience de la Ligue anglaise est essentiellement internationale : moins de 3 % au Royaume-Uni. Tous ceux qui ont voyagé en Asie ont noté l’incroyable succès du football dans ces régions, tant pour l’audience télévisée (à n’importe quelle heure de la journée) que pour les boutiques ou les paris. Le football est aujourd’hui planétaire et il fait affectivement partie de la « vie des gens » : Ebel l’a compris avant les autres manufactures…
• Des « valeurs » communes : la ritournelle marketing sur les valeurs est un peu galvaudée, mais il est évident que le football partage un certain nombre de « valeurs » communes avec l’horlogerie, notamment l’enracinement dans une tradition historique (Arsenal, 1886 ; Bayern, 1900 ; etc. : il y a beaucoup de densité humaine dans l’aventure de ces clubs), le goût des « légendes » contemporaines (icônes médiatiques, glamour, scandales et success stories), la mobilisation d’émotions fortes (dimension affective dans le quotidien des amateurs), le culte du statut social et le prestige (traduit en termes salariaux pour les stars du football), la modernité esthétique (que de stades sont aujourd’hui des œuvres d’art et des lieux marquants de l’architecture moderne !), etc.
• La reconnaissance collatérale, par l’attention portée à la marque : les grands clubs sont des « marques » commerciales cotées en Bourse et valorisables quand elles se diversifient. Le Bayern est ainsi une « Superbrand » 2008, connue par 99,7 % des Allemands, d’où une association positive pour les marques liées au club.
• Une visibilité ponctuelle à forte valeur ajoutée médiatique : l’accord d’Ebel avec les clubs se remarque dans les LED perimeters autour des pelouses (possibilité de faire passer des messages enrichis et même des images de montres), dans les horlogers Ebel semées autour du stade, dans les panneaux des arbitres et même sur les écrans géants du stade (c’est un superbe clip Ebel, avec des images quasi-subliminales, qui rythme la vidéo du compte à rebours, dans les secondes qui précèdent le coup d’envoi des matches d’Arsenal). La couverture médiatique est immanquablement gagnante en termes de rapport investissement/imprégnation.
• Un business connexe non négligeable, entre les montres en série limitée réservées aux enthousiastes du club, les commandes spéciales du club pour récompenser les joueurs et les VIP, ainsi que tous les profits additionnels générés par les co-parrains du club (par exemple le copinage avec Audi – à quand une Ebel for Audi ? – ou Nike). Business d’autant plus intéressant qu’il est international (il ne reste plus qu’à gérer la relation avec le détaillant local…
• Une affinité évidente entre l’élite footballistique et les montres, qui sont à ce jour l’objet le plus luxe dans cet univers, donc le plus valorisant en termes d’image et aussi le plus collectionné par les uns et les autres. On parle beaucoup de belles montres dans les loges, entre personnes qui ont les moyens de leurs passions. Ici, les montres aident à requalifier l’aura du football, en même que le football retrempe la légitimité des montres.
Le seul point noir serait aujourd’hui la tache blanche que représente les Etats-Unis sur la carte mondiale du football. Là bas, ne serait-ce que pour des questions de pause publicitaire obligatoire, une mi-temps de 45 minutes est inenvisageable, ce qui freine la médiatisation du football. Seul espoir : le fait que les ados américains adorent le soccer, plus amusant et exotique pour eux que ce qu’ils appellent football américain. C’est au moins un indice encourageant pour l’avenir.
L’autre problème gênant serait la multiplication des contrats privés entre les stars du ballon rond et les marques de luxe, en particulier horlogères. Au sein d’un grande équipe, tel ou tel attaquant vedette peut très bien avoir ses propres partenaires commerciaux, d’où une gestion complexe des droits à l’image. Ceux qui coachent les champions ont trouvé la faille juridique : une marque ne peut pas exploiter l’image individuelle d’un joueur du club partenaire s’il a des accords avec une autre marque, mais, si les joueurs sont plus de quatre ou cinq (détail variable selon les pays) sur la même image, la notion de « représentation collective » intervient et une marque peut donc utiliser pour sa communication l’image de joueurs sous contrat avec d’autres marques…
Aujourd’hui, Ebel prend une sérieuse option sur le leadership horloger dans ce domaine. Avec un principe marketing assez simple : « Faire des montres que les joueurs aient envie de porter », ce qui résoud du même coup les questions de contrat annexe. En plus de Hublot ou de JeanRichard, d’autres marques sont aux aguets pour attaquer sur les terrains de football (on sait qu’Audemars Piguet ou le Swatch Group s’y intéressent de près).
Grégory Pons
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