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En reprenant la holding SFT, le groupe en main espagnole a gagné la seule plateforme capable de rivaliser avec Swatch Group. Retour sur une stratégie bifide.
Derrière les faits, la stratégie. Le 11 septembre dernier, le monde horloger apprenait qu’A1, groupe d’investisseurs à la tête du conglomérat chinois Peace Mark, vendait son pied-à-terre helvétique, la holding SFT (lire «L’Agefi» du 11 septembre). Un ensemble de quatre entreprises dédiées à l’industrie horlogère qui a été repris par le groupe Festina, en main d’un actionnaire espagnol. Le montant n’a pas été communiqué. Mais le temps d’un éclair a suffi pour entériner la transaction, l’acquéreur, déjà actionnaire minoritaire, connaissant parfaitement la maison et A1 devant régler un urgent besoin de liquidité. Alain Guttmann, ex-CEO de SFT devenu Executive Vice President du groupe Festina Switzerland, précise que l’affaire n’a pas été bradée, malgré les déboires financiers plombant Peace Mark, suspendu à la Bourse de Honk Kong depuis mi-août. En une année, SFT scelle ainsi son troisième changement de propriétaire. Les unions se succèdent et les ménages n’ont pas chômé. Tant et plus que la corbeille de la mariée en série est aujourd’hui garnie de la seule alternative sérieuse à Swatch Group. Ses filiales, ETA en tête, demeurant les nourrices quasiment exclusives du secteur, hormis quelques solutions d’artisanat haut de gamme.
Festina, entré dans le capital de SFT en même temps que Patrick Chau et Tommy Leung, les partenaires du groupe d’investissement A1, a donc aujourd’hui la haute main sur l’un, si ce n’est le seul outil de production capable de répondre aux injonctions répétées de Nicolas Hayek. Le mentor décriant à l’envi un secteur préférant les marges de la notoriété aux risques de l’industrie. SFT a tenu le pari de s’imposer comme deuxième source et alimente d’ores et déjà quelques-unes des centaines de marques actives en Suisse avec son calibre maison, l’Alternance 10, et désormais son propre spiral et les assortiments qui vont avec. Plus original encore, le groupe s’affirme maintenant comme un moteur du renouveau du quartz suisse haut de gamme. Retour sur une course pour la montre.
Il y a deux ans, Alain Guttmann prenait la direction des opérations, sur mandat de Léman Capital. La holding se nommait alors STM et perdait autant d’argent qu’elle en encaissait, soit près de 75 millions de francs. Le potentiel de l’affaire et l’intérêt d’investisseurs chinois de tâter plus avant du Swiss made avait pourtant rendu possible la vente de l’ensemble, regroupant SFT, Soprod et Swiss Ebauches. Cette dernière entité étant dédiée à une activité alors unique pour un acteur suisse: le quartz bas de gamme, fabriqué entre Sion et Maîche, en France, et assemblé en Chine par près de 1200 employés. Au plus fort de la production, STM distillait ainsi quelque 100 millions d’unités par an sur les marchés asiatiques.
La production de quartz bas de gamme est abandonnée
Un défi industriel et intellectuel – «être suisse et compétitif à l’international» – que la concurrence japonaise a réduit en acte kamikaze. «En trois ans, le prix des mouvements a chuté de 5,5 dollars hong-kongais (environ 80 centimes) à 2,5 dollars HK (près de 30 centimes)», résume Alain Guttmann. Pour garrotter la saignée, deux solutions: soit automatiser la production à 100% – ce que Seiko et Citizen font depuis plus de cinq ans – via un investissement maousse, soit doubler les volumes à 200 millions d’unités.
L’option retenue sera la machine arrière. Au mois de décembre 2007, le groupe décide l’arrêt complet de la production bas de gamme. En mars, les trois unités d’assemblage chinoises ferment et les entités de Sion et de Maîche sont réorientées sur le mouvement mécanique et le quartz haut de gamme. Du Swiss made vendu entre 40 et 100 francs pièce qui emballe le CEO: «Un véritable boulevard par rapport aux mouvements mécaniques!» La remarque ira droit au cœur des marques étranglées par le goulet chronique de l’approvisionnement. Des déçus chaleureusement invités à faire le pas du quartz, presque sans limitation en termes de production. Côté technique, le champ des possibles se montre tout aussi généreux, une platine pouvant porter jusqu’à six moteurs bidirectionnels. De quoi affranchir les directeurs produits et les designers. L’intérêt est d’ailleurs déjà dans l’air du temps, à l’image de l’engouement pour les Calibre S de Tag Heuer ou des T-Touch de Tissot. D’autres adeptes pointent déjà, comme Jean-François Ruchonnet et son projet Snyper (lire «L’Agefi» du 22 septembre).
Pour SFT, le virage en épingle force l’éjection de 1200 petites mains chinoises. En revanche, les effectifs se renforcent en Suisse, passant de 54 à plus de 100 à Sion par exemple. De quoi assurer une production de plus de150.000 pièces par an et consacrer un changement de taille: «Passer d’une société très endettée à pas de dette du tout.»
Le groupe maîtrise désormais tous les métiers
La course est marquée par un second virage, celui de la montre mécanique. A force d’investissements catégorie poids lourds, la filiale Soprod livre aujourd’hui des dizaines de milliers de mouvements par année. Le premier modèle, l’Alternance 10, est mis sur le marché en 2006. En 2007, 70.000 unités sont produites. L’année prochaine le rythme passera, sur base annuelle, à 200.000. La prochaine borne se trouve à 300.000 pièces et devrait être atteinte avec un parc de machines en cours de dopage. La logique industrielle se met ainsi progressivement en place et se paie en une seule monnaie: la souffrance. «Pour arriver à proposer un mouvement de 150 composants pour 150 francs, le prix est très lourd. Jusqu’à présent, à part Rolex et Swatch Group, personne n’a investi dans l’industrialisation. C’est un défi, même pour des puissances comme Richemont.»
Après trois mois de restructuration pour quitter le quartz bas de gamme et donner un tournant à la frange mécanique, Festina est venu apporter les dernières pierres à l’édifice, dont une série de marques actives de l’entrée de gamme, comme Festina, Candino, Jaguar, Lotus et Calypso, à la haute horlogerie, comme Perrelet et Leroy. Parmi les nouveaux piliers, citons également Dubois DTH, au Sentier, qui maîtrise tous les métiers et produit ses propres assortiments (organes réglants) et Astral, qui fabrique le sacro-saint spiral. La plupart des entités, hormis Ineltec à Maîche et quelques autres filiales en Espagne, les unités historiques de la holding STM, initiée en son temps par Victor Bruzzo, ont été regroupées sous le pavillon Soprod. Et cette grande famille forme aujourd’hui «une plateforme industrielle accessible à l’ensemble du secteur». Nicolas Hayek l’a appelée de ses vœux, la concurrence est enfin là.
AGEFI |