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Les Etats-Unis achètent plus de montres suisses haut de gamme que jamais. Mais qui va s'occuper de ces merveilles mécaniques demain, quand les premiers services seront nécessaires? L'Amérique ne compte que 7000 à 8000 horlogers, et la moitié d'entre eux ont plus de 61 ans.
"Quand j'apprenais l'horlogerie, à la fin des années 1970 à New York, il y avait 43 programmes de formation aux Etats-Unis, se rappelle Charles Berthiaume, vice-président des opérations techniques chez Rolex USA. Aujourd'hui, il n'y en reste plus que onze."
Il y en aurait encore moins si Rolex n'avait pas créé, il y a six ans en Pennsylvanie, le Lititz Watch Technicum, une école d'horlogerie dont Charles Berthiaume est le directeur. Swatch Group, lui, a ouvert en 2005 la Nicolas G. Hayek Watchmaking School aux portes de New York.
Depuis quelques années, les deux groupes horlogers aident aussi des programmes de formation dispensés dans d'autres écoles.
Rolex finance deux cursus universitaires qui étaient menacés de disparition dans les Etats du Minnesota et de Washington. Swatch Group - en alternance avec Audemars Piguet, Breitling et Richemont - finance un programme en Oklahoma.
Chacune de ces formations coûtent annuellement environ 200 000 dollars (240 000 francs). Les deux écoles "suisses" et les trois programmes américains sont pour l'instant les seules certifiés Wostep (une formation unifiée, pilotée à Neuchâtel). Ils produisent une quarantaine d'étudiants par an.
80 horlogers
En ajoutant les six autres programmes existants, ce pays de 300 millions d'habitants - et premier marché d'exportation des montres helvétiques - n'accouche que de 80 horlogers. Pas de quoi remplacer leurs milliers d'aînés qui partiront à la retraite ces prochaines années.
Charles Berthiaume reste pourtant optimiste: "Nous avons vraiment besoin de cette nouvelle génération, et je pense que nous sommes lentement en train de combler le fossé."
Même sentiment chez Paul Madden, directeur de la Nicolas G. Hayek Watchmaking School: "L'effort a été payant. Les écoles font leur effet et, si le besoin se faisait sentir, je pense que d'autres seront créées."
Le besoin n'existe pas encore: malgré leur tout petit nombre, les programmes n'affichent pas complets. La preuve que, davantage que la formation, c'est bien l'image et l'attrait de la profession qui sont en cause.
Déficit d'image
"C'est encore plus le cas aux Etats-Unis qu'ailleurs, confirme Maarten Pieters, directeur du Wostep. La promotion du métier y est beaucoup trop absente."
Le déficit d'image serait visible jusqu'au Bureau américain du travail: "Les horlogers y sont placés au même rang que les réparateurs de machines à sous!"
Directeur de l'American Watchmakers-Clockmakers Institute, James Lubic regrette le même manque d'image. "Les marques suisses font beaucoup pour les écoles, notre institut, le perfectionnement des horlogers. Mais il faudrait qu'elles travaillent davantage à la promotion de la profession."
Si les marques consacraient à cette dernière l'équivalent de 10% de ce qu'elles dépensent en publicité, ajoute-t-il en riant, "le fossé se comblerait plus rapidement!"
Paul Madden, comme James Lubic, estime que les entreprises suisses devraient travailler en équipe pour revitaliser l'image et l'attrait de "cette belle carrière."
Cercle vicieux
D'abord parce que, dans ce pays sans industrie horlogère, "personne d'autre le fera". Ensuite, parce que cet effort "bénéficierait à notre industrie toute entière." Les clients, précise-t-il, y gagnent aussi: "Envoyer les montres en Suisse est beaucoup plus long et plus cher."
Pourquoi les marques ne le font-elles pas encore? Peut-être parce que pour certaines, comme le glisse Maarten Pieters, "quand les ventes vont très bien, on oublie le service après-vente!"
James Lubic, lui, y voit l'effet d'un cercle vicieux. Faire trop de pub autour du manque d'horlogers serait avouer un service après-vente fragilisé. "Alors les marques préfèrent rester discrètes pour ne pas alarmer leurs clients."
Bon salaire et securité de l'emploi
Avec l'arrivée du quartz, beaucoup ont cru que la montre mécanique était morte et enterrée. Les écoles d'horlogerie se sont vidées. Aujourd'hui, la montre mécanique est plus en forme que jamais et il manque, selon l'American Watchmakers-Clockmakers Institute, au moins 2000 horlogers aux Etats-Unis.
Malheureusement, chez l'Oncle Sam encore plus qu'ailleurs, les métiers manuels n'ont pas la cote - hormis ceux liés à l'électronique. Tout le monde rêve de porter une Rolex mais, semble-t-il, personne ne trouve prestigieux de savoir en monter une.
La profession, pourtant, a des attraits. Une formation Wostep, ce n'est que 3000 heures d'études (théoriques et pratiques), que les programmes dispensent en seulement deux ans, parfois trois.
A la sortie de l'école, le nouvel horloger peut toucher, selon où il travaille, entre 40 000 et 60 000 dollars par an. Un très bon premier salaire aux Etats-Unis: dans bien d'autres métiers plus courus, il faut étudier au moins quatre ans pour toucher une somme équivalente.
Le manque d'horlogers, le succès croissant des montres haut de gammes et la longue durée de vie des produits assurent aussi une solide sécurité de l'emploi. De la sortie de l'école jusqu'à la retraite - voire après: de nombreux horlogers continuent d'exercer après 65 ans.
L'évolution de l'industrie fait que, de plus en plus souvent, les pièces (même les mouvements) ne sont plus réparés mais simplement échangés. L'opération demande moins d'expertise que celle exigée des horlogers, alors une nouvelle profession est en préparation: technicien en horlogerie. Aux Etats-Unis, elle pourrait être lancée dans deux ans.
L'Impartial |