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Même le luxe, qui restait jusqu'à présent un îlot insolent de prospérité et que l'on pensait épargné par les aléas économiques, va pâtir de la crise économique mondiale.
Pour la première fois depuis six ans, ce secteur devrait entrer en récession en 2009, et sa croissance pourrait nettement ralentir en 2008, selon la septième étude qui lui est consacrée, publiée par le cabinet de conseil en stratégie Bain & Company.
C'est devenu une marque... de fabrique chez Louis Vuitton : le maroquinier de luxe français sera la première à s'implanter sur un marché qui pourrait s'avérer prometteur. Mi-2009, elle inaugurera son premier magasin à Oulan-Bator, la capitale de la Mongolie. Pas très loin du désert de Gobi et des monts du Khangaï, Vuitton espère séduire les plus fortunés des 2,6 millions d'habitants de ce pays qui présente l'une des plus faibles densités de population au monde. La société avait déjà été la première marque française de luxe à s'implanter, dès 1992, en Chine - où elle compte aujourd'hui plus d'une vingtaine de boutiques -, en Inde au début des années 2000, puis plus récemment au Vietnam. Avec une obsession : bénéficier d'une stratégie de pionnier et acquérir une forte notoriété avant ses concurrents.
Cette année, la croissance des ventes de produits de luxe dans le monde pourrait ralentir sévèrement : + 3 %, à 175 milliards d'euros. C'est une baisse sensible du taux de croissance - il s'établissait à + 9 % en 2007. Les ventes mondiales devraient ainsi reculer de 2 % en 2009, et même de 7 % à taux de change constants, a précisé cette étude, qui a analysé les 220 plus grandes entreprises du secteur.
"L'impact de la crise financière plongera certains secteurs en récession", explique l'auteure, Claudia d'Arpizio, qui a dirigé l'étude depuis Milan. "Son ampleur et sa durée dépendront de la façon dont les entreprises réagiront. Les plus résistantes seront celles qui possèdent des marques internationales fortes et diversifiées", ajoute-t-elle.
L'étude note "un fléchissement des marchés matures", qui constituent 80 % des ventes mondiales des produits de luxe. Ainsi, le Japon, déjà en récession, devrait passer de - 2 % en 2007 à - 7 % en 2008, en raison de la faiblesse du yen par rapport à l'euro. Cette disgrâce du marché se traduit par un report sur des achats moins chers (parfums, chaussures...). L'Europe, qui reste le principal marché du luxe (elle compte pour 38 % du marché mondial), devrait s'attendre à voir sa croissance divisée par deux en 2008 à 5 % (contre 10 % en 2007), tandis que les Etats-Unis subiront leur première année de stagnation (0 % en 2008 contre + 4 % en 2007), depuis la baisse des dépenses liées aux attentats du 11-Septembre.
Le ralentissement du marché ne sera pas uniforme : les marques considérées comme plus accessibles, comme Coach ou Ralph Lauren, pâtiront davantage de la crise économique. Selon l'étude, les marques comme Gucci ou Louis Vuitton sont achetées pour les styles de vie qu'elles représentent : leur croissance est restée élevée en 2007 (+ 9 %), mais devrait seulement être en ligne avec le marché en 2008 (+ 3 %). Les seules qui devraient tirer leur épingle du jeu sont les marques de "super haut de gamme", comme Hermès ou Loro Piana, dont l'élitisme devrait attirer les acheteurs les plus fortunés (+ 10 % en 2007 et + 8 % en 2008).
Coup de froid
Quels secteurs seront les plus touchés ? L'étude prévoit une stagnation dans l'habillement, malgré une croissance des lignes complémentaires des marques ainsi qu'un coup de froid sur les bijoux de valeur, tant en Europe qu'aux Etats-Unis. Avec une exception pour les montres, qui restent un relais de croissance formidable dans les pays émergents. "C'est généralement le premier article de luxe acheté dans les économies émergentes", précise l'étude. Les accessoires resteront les "rois et les reines du marché", notamment les chaussures et la maroquinerie.
Les riches acheteurs sentiront-ils moins bon ? Probable, puisque l'étude prévoit une division par deux de la croissance des parfums vendus en 2008 (+ 2,6 %) par rapport à 2007 (+ 5,2 %). En revanche, les cosmétiques résisteront à la crise.
Bain & Company reste toutefois très confiant dans l'avenir du secteur, qui conserve "des fondamentaux solides", comme le flux touristique croissant ou la progression attendue des dépenses des personnes "riches" et "super riches" (à la tête d'un actif net supérieur au million de dollars) de l'ordre de 20 % à 35 % dans les marchés émergents, comme le Brésil, la Russie, l'Inde et la Chine, dans les cinq prochaines années.
Le leader mondial du luxe, LVMH, se veut optimiste : il poursuit sa dynamique de croissance (+ 10 % sur les neuf premiers mois) et confirme ses objectifs pour l'année. "Le groupe a deux atouts principaux : la multiplication de sa présence dans les différents métiers du luxe (alcool, parfum, montres, mode, maroquinerie, bijoux...) et sa grande diversité géographique. LVMH reste leader dans les pays émergents", explique-t-on chez LVMH. D'ailleurs, Gucci Group (PPR) comme LVMH restent tirés par une forte croissance en Chine. Même Hermès a connu une croissance modérée en octobre (+ 6 %), et a révisé "par prudence" ses prévisions en 2008 à la baisse (entre 9 % et 10 % tout de même). "Nous ne changeons rien" en ces temps de crise, tempère Patrick Thomas, gérant d'Hermès. Il a beau jeu de rappeler que "depuis son entrée en Bourse en 1993, le titre a été multiplié par 20, les bénéfices par 10."
Moins haut de gamme, Hugo Boss a déjà revu ses objectifs à la baisse. De façon plus spectaculaire, L'Oréal, le chouchou de la croissance à deux chiffres depuis vingt-quatre ans, devra se contenter d'une hausse de ses ventes de 4 % en 2008. Enfin, autre symbole du luxe français, le champagne a déjà vu ses exportations chuter de 22 % aux Etats-Unis au premier semestre 2008.
Nicole Vulser
Le Monde |