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Movado Group a accusé un recul de près de 25% de ses ventes sur le troisième trimestre. Pour la plupart des analystes, la récession guette pour 2009.
L’anémomètre fournit des informations sur la vitesse et la direction du vent. En économie, cela s’appelle un indicateur avancé. Plus précisément, cet outil permet au capitaine de maximiser la vitesse du bateau en évitant les dangers. En horlogerie, ce type de données fait cruellement défaut. Quoique. Movado Group vient en effet de publier des chiffres prouvant que la flottille horlogère vogue vers de violentes tempêtes, quelque part au milieu des 40e rugissants.
La société américaine, qui possède les marques Ebel, Concord, Movado, Lacoste, Tommy Hilfiger Watches, Hugo Boss Watches ou encore Coach Watches, a, elle, déjà atteint les 50e hurlants. Durant le troisième trimestre 2008, le groupe dirigé et présidé par Efraim Grinberg, a dû confesser un recul de 24,6% de ses ventes. Sur les neuf premiers mois de l’année, la chute du chiffre d’affaires s’établit à 12,85%.
Movado, groupe coté à Wall Street, n’est toutefois pas le miroir exact d’autres entités horlogères, comme Swatch Group, Richemont ou encore Chopard. La société n’est en effet pas aussi globalisée que ses concurrentes. Elle souffre d’une surexposition au marché cacochyme des Etats- Unis, où le climat de consommation s’avère plus qu’atone. Toutefois, quelques marques suisses ont énormément misé sur ce pays ces dernières années, qui reste malgré tout l’un des deux premiers débouchés au niveau des exportations de montres suisses.
L’affaissement de la consommation outre-Atlantique doit probablement impacter de manière violente des marques du milieu de gamme, comme Victorinox, Baume & Mercier ou encore Tag Heuer. Sur la seule base des chiffres de Movado, le constat est cinglant. Le déni de réalité, c’est terminé. L’horlogerie est rattrapée par la sclérose de l’économie.
Vers un recul généralisé
De là à dire que l’horlogerie est entrée en récession, il n’y a qu’un pas. Qu’un florilège d’analystes a déjà allégrement franchi. Dans une étude publiée hier, Helvea se demande si le secteur ne va pas au devant d’un grand froid. L’analyste Alessandro Migliorini table, dans la foulée, sur un recul des exportations horlogères suisses l’année prochaine de 10 à 12%, tout en précisant que le fléchissement touchera différemment les marques. En se basant sur les statistiques de la Fédération horlogère, on peut constater que certains marchés déclinent depuis plusieurs mois déjà. Il en va ainsi de l’Australie (-6% depuis le début de l’année), de la Russie (-2%), de l’Espagne (-5%), de la Grande-Bretagne (-3%) et du Japon (-3,8%). Ce pays cristallise d’ailleurs de nombreuses inquiétudes, avec une récession plus grave que prévu (lire également en page 3). La chute observée en Espagne et en Grande- Bretagne ne surprend pas, en raison du marasme conjoncturel qui frappe ses deux Etats.
Plus inquiétant, selon Helvea, d’autres pays européens pourraient enregistrer des déclins de 10 à 15% en 2009. Pour sa part, la Banque cantonale de Zurich se montre particulièrement pessimiste pour Swatch Group. La société, présidée par Nicolas Hayek (lire ci-dessous), pourrait afficher un recul de son chiffre d’affaires de 9% l’an prochain. Moins alarmiste, Citi prévoit une baisse de 2,5% des ventes, mais seulement de 1% pour la division horlogerie-bijouterie. HSBC anticipe, de son côté, une stagnation pour Richemont lors des deux prochains exercices et un fléchissement pour Swatch Group de 5,5% en 2009. Pour Sarasin, les ventes de Richemont reculeront de 3,3% en 2008- 2009.
«Le luxe n’est plus immunisé»
D’après la dernière étude de Bain & Company, la demande pour les articles de luxe va régresser de 3 à 7% l’an prochain. Une première depuis que la société publie cette enquête initiée au début des années nonante. Preuve que même le haut de gamme ne va pas passer entre les gouttes, malgré le mythe de la résilience supérieure de ce segment. D’ailleurs, dans une interview parue dans le New York Times, Francesco Trapani, patron de Bulgari, l’a clairement dit: «Le luxe n’est plus immunisé.» Les anémomètres s’affolent, les icebergs se rapprochent. Hardis capitaines qui pourront naviguer sans trop de dégâts.
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Nicolas Hayek achète massivement des titres Swatch Group
Pessimisme exacerbé, avanie boursière, morosité des marchés, spectre de récession mondiale. Les membres de la direction et du conseil d’administration de Swatch Group n’en ont cure. La piété et la confiance de ces dirigeants dans le modèle et l’avenir du numéro un mondial de l’horlogerie n’a pas fléchi d’un iota. Cette dévotion se traduit ces derniers mois par des achats massifs d’actions, si l’on en croit les annonces publiées par SIX Swiss Exchange relatives aux transactions du management. Depuis le 9 octobre, ce sont très précisément 1,64826 million de titres qui ont été racheté lors de huit transactions, pour la coquette somme de 4,998514 millions de francs. Il s’agit exclusivement d’emplettes d’actions nominatives, qui affichent une décote par rapport au titre au porteur. La majorité de ces opérations ont été réalisées par un «membre exécutif du conseil d’administration - membre de la direction». En des termes moins sibyllins, il pourrait s’agir de Nicolas Hayek, président du conseil d’administration et seul membre de cet organe, avec sa fille Nayla, à exercer également des activités opérationnelles. Il est de plus plausible que plusieurs rachats émanent d’autres membres de la famille. Ce qui signifie que le clan Hayek consolide massivement ses positions et par làmême son statut de principal actionnaire du groupe. Au 31 décembre 2007, le pool Hayek ainsi que ses sociétés contrôlaient l’équivalent de 39,1% des voix de la société biennoise.
Pour l’heure, la liturgie Swatch Group n’est pas chantée dans d’autre chapelle horlogère. La dernière tentation chez Richemont serait plutôt au délestage. Ainsi, depuis la mi-août, des membres du conseil d’administration et de la direction se sont séparés au total de 80.000 titres, pour 55.000 achats seulement. Les emplettes de Nicolas Hayek lui permettent de faire un joyeux pied de nez au marché financier, aux banquiers et autres analystes de tous poils, véritables moutons noirs du patriarche de l’horlogerie. Récemment, à l’occasion de l’Assemblée générale d’economiesuisse, il a prononcé un discours au vitriol. Avec comme cible principale les multiples dérives du système. «L’actuelle crise financière détruit des valeurs pour des gigantesques quantités de milliards de dollars [...] L’économie réelle n’a aucune responsabilité dans ce désastre! Aujourd’hui encore, aucun contrôle satisfaisant de ce secteur de l’économie n’est visible.» Et plus loin: «Ils ne sont heureusement qu’une poignée, mais les escrocs et les fripouilles sont malgré tout trop nombreux à ces bourses – par ailleurs si régulées et si puritaines! »
AGEFI
BASTIEN BUSS |