SIHH: Bouffée de luxe signé Richemont
 
Le 19-01-2009

Soixante ans après que son fondateur ait roulé ses premières cigarettes dans une baraque sud-africaine, le groupe est devenu l’un des leaders mondiaux du luxe. Alors qu’elles préparent à couper dans leurs effectifs, treize de ses marques s’exposeront au SIHH à Genève. Radiographie d’un géant.

Pionnier, véritable philanthrope, il a joué un rôle clé dans le développement des secteurs commercial et industriel en Afrique du Sud: en ce 18 janvier 2006, le président sudafricain du moment Thabo Mbeki rend un hommage appuyé à Anton Rupert, qui, à l’âge de 89 ans, vient de tirer sa révérence. Discrètement, comme il avait toujours vécu. Pourtant parti de rien, ce docteur en chimie a créé en soixante ans un véritable empire pour se hisser au second rang des plus grosses fortunes d’Afrique du Sud, derrière les Oppenheimer (diamants de Beers). Connu en Europe pour avoir bâti pas à pas le groupe Richemont – une tâche qu’il déléguera en réalité à son homme de confiance sur place, Joseph Kanoui – Anton Rupert a par ailleurs beaucoup investi en Afrique du Sud par l’intermédiaire notamment de Rembrandt Group (aujourd’hui Remgro).

Homme d’affaires avisé, il a roulé pendant ses études ses premières cigarettes destinées à la vente. Puis acheté une petite fabrique qui donnera naissance quelques décennies plus tard à un véritable conglomérat. Ceux qui ont travaillé à ses côtés lui portent le plus grand respect.

Visionnaire à tous égards, Anton Rupert a développé très tôt une conscience environnementale. Cofondateur du WWF, président de la branche sud-africaine de cette association écologique, il a mené moult combats, dont certains aux côtés de Nelson Mandela. Thabo Mbeki a également vu en lui un homme ayant su prendre des positions courageuses envers l’apartheid plaidant pour divers partenariats avec la majorité noire d’Afrique du Sud.

Conscient des difficultés auxquelles se heurterait immanquablement son pays, Anton Rupert a également scindé ses activités et regroupé toutes les opérations non sud-africaines dans des sociétés helvétiques. En 1993, il passe la main à son fils Johann. Ce dernier s’était déjà illustré positivement dans plusieurs activités du Rembrandt Group en Afrique du Sud, après avoir notamment fait ses gammes durant cinq ans à la Chase Manhattan Bank à New York et dans la banque d’affaires franco-américaine Lazard Frères. Johann Rupert s’est par ailleurs vu décerner deux fois le titre d’homme d’affaires de l’année par le Sunday Times, en 1988 et 1996.

BIG BROTHER CARTIER

C’est le tabac qui mènera la famille Rupert à prendre ses premières positions dans le secteur du luxe. Au travers de Dunhill notamment, qui détenait les marques Montblanc et Chloé. Et lorsque Joseph Kanoui cherchera des investisseurs pour racheter Cartier, Anton Rupert répondra présent. Inimaginable à l’époque, c’est pourtant grâce au strapontin Cartier que Richemont se hissera sur la deuxième marche du podium mondial du luxe.

Si leurs histoires sont indissociablement liées, c’est tout simplement parce que Richemont va croître grâce aux excellentes performances de Cartier. Cette dernière est non seulement le navire amiral de la flotte Richemont, mais aussi la marque autour de laquelle le groupe de luxe s’est construit. A la fin des années 1960, Cartier est une société moribonde. En 1968, pendant que d’autres jettent le pavé, le Français Robert Hocq obtient de Cartier la licence pour produire et commercialiser des briquets en plaqué or. Quatre ans plus tard, grâce au flamboyant succès de cette activité annexe, un groupe d’investisseurs emmené par Joseph Kanoui rachète la branche française de Cartier. Ces années marquent également les débuts d’Alain Dominique Perrin et de Franco Cologni dans le giron de la société. Suit le lancement des «Must de Cartier» en 1973, un concept inédit qui propose de nouvelles icônes Cartier à un prix plus accessible. «Beaucoup, parmi les descendants des fondateurs et parmi les concurrents, nous ont considérés comme des renégats », aime à rappeler Alain Dominique Perrin.

Cette descente en gamme représentait un pari risqué. D’autres sociétés ne s’en sont jamais remises. Cartier, au contraire, profite pleinement de cette stratégie pour renforcer sa notoriété. Et faire exploser ses ventes! Au point de réaliser aujourd’hui un chiffre d’affaires (estimé à 2,3 milliards d’euros pour son dernier exercice) souvent vingt fois supérieur à celui de ses concurrents du moment...

Cartier New York et Cartier Londres, rejoignent l’entité française; l’ensemble devient Cartier Monde dès 1979, puis Cartier International. Président de cette dernière dès 1981, Alain Dominique Perrin créé, trois ans plus tard, la Fondation Cartier pour l’art contemporain. Une démarche totalement inédite à l’époque.

COUP DE SEMONCE

A l’image de Louis Vuitton chez LVMH ou d’Omega chez Swatch Group, Cartier joue un rôle déterminant pour Richemont. «Big Brother»,comme la marque est appelée chez quelques-unes des sociétés soeurs, contribue pour deux tiers au bénéficie opérationnel du groupe. C’est dire que quand Cartier s’enrhume, tout le groupe Richemont tousse.

Ce fut le cas au tournant du millénaire. Coup de semonce chez Cartier: les Must ont fini par faire mal à la marque, la clientèle fortunée traditionnelle s’étant réfugiée ailleurs. Manque de créativité, entendait-on également chez les détaillants qui peinaient à écouler leur marchandise. Actuel président et CEO de Cartier International, Bernard Fornas débarque en 2002 avec pour mission de redresser la barre. Renouer avec la créativité passée, renforcer l’outil de production, rééquilibrer l’offre entre prix d’appel et pièces d’exception et accélérer le développement du réseau de distribution sur le plan international figurent parmi les priorités. Avant le coup de froid généralisé de la fin de 2008, cette stratégie s’était révélée payante, Cartier enregistrant les meilleurs résultats de son histoire au cours du premier semestre de l’exercice 2008-2009.

«Joaillier des rois, roi des joailliers», Cartier affiche aujourd’hui des ambitions décuplées dans la haute horlogerie et entend ainsi devenir – derrière une autre marque horlogère couronnée, Rolex– «le prince des horlogers», histoire de combler une faiblesse dans la haute horlogerie technique. Pour ce faire, la société s’attaquera plus vigoureusement à ce marché en présentant une offre estampillée du prestigieux Poinçon de Genève.

UNE ACQUISITION DÉTERMINANTE

Au-delà de Cartier, la constitution du pôle de luxe de Richemont prend un tournant déterminant en 2000 par l’acquisition de Jaeger-LeCoultre, IWC et A. Lange Söhne. Les observateurs n’en ont pas cru leurs yeux: dans une lutte qui avait mis aux prises Richemont, LVMH, PPR et Swatch Group, le premier a finalement accepté de débourser 3,2 milliards de francs pour trois sociétés qui réalisaient un chiffre d’affaires global avoisinant à peine les 350 millions. Depuis lors, même les vendeurs les plus optimistes n’ont plus envisagé de tels ratios.

Johann Rupert avait compris que face à ses concurrents directs, cette acquisition serait déterminante et constituait surtout l’une des dernières opportunités intéressantes, Breguet étant tombé dans l’escarcelle de Swatch Group un an auparavant pendant que LVMH faisait main basse sur les marques TAG Heuer, Ebel, Zenith et Chaumet.

Autre élément déterminant: le versant industriel était le talon d’Achille des marques Richemont. Or le savoir-faire acquis au travers de Jaeger-LeCoultre, IWC et A. Lange Söhne devait lui permettre d’accélérer le processus de verticalisation de la production des marques du groupe. Une verticalisation - synonyme d’autonomie – qui s’avère indispensable aujourd’hui.

DES INNOVATIONS SAILLANTES

Depuis sa création en 1988, et plus que tout autre acteur du luxe, Richemont a marqué de son empreinte l’univers horloger en étant à l’origine de quelques-unes des plus importantes évolutions du secteur. L’esprit visionnaire de son management a fait du groupe un ambassadeur incontournable pour l’horlogerie de prestige. Le dire semble être une évidence, mais cela ne l’était pas il y a vingt ans, aux grandes heures de la Swatch à quartz. C’est à Richemont par exemple que l’on doit les premières utilisations et la généralisation de l’appellation «haute horlogerie» à une époque où il n’était question que d’«horlogerie haut de gamme». Au-delà de la terminologie, l’appellation a accompagné la mue de l’horlogerie mécanique suisse – notamment sa concentration dans les créneaux supérieurs – et a souligné son caractère exclusif. Aujourd’hui pourtant, la dénomination «haute horlogerie » est utilisée par la quasi-totalité des acteurs de la branche pouvant revendiquer ce positionnement.

Richemont a également été à l’origine d’initiatives intéressantes dans le domaine de la formation. Alors qu’il était aux commandes de Cartier, Alain Dominique Perrin a créé en 1990 à Paris l’Institut supérieur de marketing du luxe. Une filière suivie par bon nombre de cadres. Enfin, c’est également à Franco Cologni que l’on doit la création en 2003 à Milan de la Richemont Creative Academy, une Haute Ecole internationale de design spécialisée en arts appliqués.

C’est également sous l’impulsion du groupe Richemont, et de Franco Cologni, qu’a été créée en 2005 la Fondation de la haute horlogerie (FHH) avec l’appui des marques indépendantes Audemars Piguet et Girard-Perregaux. La FHH s’est fixée comme missions d’informer et de former; elle entend notamment promouvoir et défendre l’aspect culturel lié à la haute horlogerie.

Souffrant dans un premier temps dans sa filiation avec Richemont, la FHH est parvenue ces derniers mois à rallier à sa cause plusieurs acteurs de poids, à l’instar de Chopard, Chanel ou TAG Heuer. Actuellement, la fondation compte parmi ses partenaires 28 marques, quatre musées d’horlogerie ainsi que la Fédération de l’industrie horlogère suisse (FH).

MAUVAIS TIMING

Parmi les défis relevés par Johann Rupert, celui de faire de Richemont un pure player du luxe, histoire d’éviter la décote du titre en regard de sa participation dans le tabac via British American Tobacco (dont Richemont détient près de 20%). L’opération a été menée l’an dernier par la séparation des activités luxe (Richemont) et tabac (récupérées dans un véhicule d’investissements luxembourgeois, Reinet Investments). Il s’agissait d’«éliminer le rabais sur le titre», ont traduit les analystes de la Banque Wegelin. Le dauphin de LVMH sur le marché du luxe publiait pourtant pour cet exercice des résultats supérieurs aux attentes: un bénéfice net,en hausse de 18%sur un an, s’élevait à 1,57 milliard d’euros pour un chiffre d’affaires de 5,3 milliards (+10%).

Dire que cette clarification tombe au plus mauvais moment est un euphémisme. Premièrement, le marasme boursier de l’automne dernier n’a pas permis au titre Richemont désormais pur luxe de récupérer le différentiel de cote. Deuxièmement, l’opération arrive d’autant plus mal que les dividendes dus à la participation dans BAT ont souvent permis de présenter des résultats très honorables en basse conjoncture. Or le secteur du luxe s’apprête justement à affronter des années difficiles.




Quel est l'avenir du SIHH à Genève?
Inauguré en 1991, le Salon international de la haute horlogerie ouvre ses portes le 19 janvier. Ce salon professionnel, également une création Richemont, est devenu un rendez-vous majeur. Le Salon International de la haute horlogerie est volontairement resté un petit club de marques exclusives majoritairement Richemont, et ce même si plusieurs sociétés y ont fait de plus ou moins longs passages au cours de ses 18 premières éditions. A l’image de Daniel Roth, Gérald Genta, Franck Muller, YSL Collection, Breguet, Bovet et Perrelet.

Richemont et ses partenaires sont aujourd’hui sur le point de relever un défi de taille. L’édition 2009 va en effet vérifier l’intérêt – légitime ou non – de se tenir en janvier. Organisé d’ordinaire au printemps, ce salon se déconnecte de Baselworld et tente de jouer une partition en solitaire en invitant très tôt dans l’année les meilleurs détaillants du monde.

La décision avait provoqué des réactions pour le moins mitigées, beaucoup s’interrogeant sur la volonté des revendeurs de se déplacer deux fois en Suisse en trois mois pour passer commande. Or la dégradation de la situation économique rend ce pari encore plus difficile et a déjà contraint les organisateurs à revoir à la baisse leurs prévisions de fréquentation, notamment pour les visiteurs américains et asiatiques.

Alors qu’elles préparent des coupes dans leurs effectifs, beaucoup de marques retiennent leur souffle. Car les prévisions ne sont guère réjouissantes, les détaillants affirmant souvent que leur niveau de stock élevé ne les incitera guère à passer de grosses commandes. On est loin de l’euphorie de 2008 et des prières de certains pour souhaiter un ralentissement susceptible d’enrayer la surchauffe.

CHRONOLOGIE
SOIXANTE ANS D’HISTOIRE

Des débuts avec les cigarettes Voorbrand au lancement en 2009 de l’activité de Polo Ralph Lauren Watch & Jewellery Compagny.

Années 1940
Anton Rupert crée sa première fabrique de cigarettes. Quarante ans après, par ses participations dans Rothmans International, il a acquis une place de poids. Il est également actif dans la finance et les mines.

1988
Création de Richemont. L’entité détient une minorité dans Cartier Monde et dans Rothmans International (cette dernière détenant également des participations dans Cartier Monde et dans Montblanc et Chloé au travers d’Alfred Dunhill). Acquisition de PBM (Piaget, Baume & Mercier).

1991
Sous l’impulsion d’Alain Dominique Perrin, Cartier, Piaget et Baume & Mercier créent le SIHH, auquel se joignent les marques Gérald Genta et Daniel Roth.

1993
Richemont sépare les activités tabac et luxe en deux entités: Rothmans International et Vendôme Luxury Group. Johann Rupert, fils aîné d’Anton, reprend en main la destinée du groupe.

1995
Contrôle à 100% de Rothmans International et entrée dans l’univers de la télévision par la création de NetHold (50% pour Richemont).

1996
Vendôme Luxury Group acquiert Vacheron Constantin pour 70 millions. Fusion des activités tabac de Richemont et de Rembrandt Group.

1997
Acquisition par Vendôme Luxury Group de la moribonde Officine Panerai et de Lancel. Fusion de NetHold avec Canal+ France dont Richemont détient 15%.

1999
Acquisition de 60% du capital du joaillier Van Cleef & Arpels. Fusion de Rothmans International et de BAT dont Richemont détient 23,3% de la nouvelle entité.

2000
Rachat pour 3,2 milliards des Manufactures Horlogères (LMH), regroupant Jaeger-LeCoultre, IWC et A. Lange & Söhne.

2003
Finalisation des rachats de Van Cleef & Arpels et de A. Lange & Söhne désormais contrôlés à 100%. Johann Rupert en est CEO et président.

2004
Réduction à 18,6% de la participation dans BAT. Norbert Platt est nommé CEO de Richemont.

2005
Vente de Hackett Limited suivie, l’année suivante, de celle de Old England.

2007
Prise de participation dans la maison de couture Azzedine Alaïa. Richemont inaugure son nouveau siège à Bellevue, aux portes de Genève.

2008
Acquisition de Manufacture Roger Dubuis. Scission des activités du groupe en une division luxe en Suisse et un véhicule d’investissement au Luxembourg.

2009
Lancement de l’activité commerciale de The Polo Ralph Lauren Watch and Jewellery Company, joint-venture entre Richemont et Polo Ralph Lauren.

Bilan
Michel Jeannot

 

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