HISTOIRE: Hans Wilsdorf fixe l’heure exacte à nos poignets
 
Le 03-03-2009

Le fondateur de Rolex a été un des premiers à comprendre l'importance de la montre-bracelet.

A l'occasion du 450e anniversaire de l'Université de Genève, la "Tribune de Genève" et l'alma mater présentent la genèse de 20 idées nées dans la région et qui ont changé le monde... Aujourd'hui, la montre-bracelet.

«Quelle heure est-il?» La réponse à cette simple question a longtemps été fort compliquée. Trop lourds, trop rares, trop peu fiables, les garde-temps ont mis des siècles à se fixer au poignet de tous. Dans ce glissement progressif du plaisir de lire l’heure d’une simple flexion du coude, Hans Wilsdorf et son entreprise ont joué un rôle essentiel.

En cinq ans, entre 1926 et 1931, Rolex a déposé des brevets qui ont assuré à ses produits une fiabilité totale. «S’il y a eu des tentatives avant, la montre automatique de Rolex est la première qui propose des solutions efficaces encore utilisées aujourd’hui», confirme Jean-Michel Piguet, conservateur adjoint du Musée international d’horlogerie de La Chaux-de-Fonds.

Au début du XXe siècle, les plus fortunés devaient plonger la main dans la poche afin de lire l’heure portative. Les montres avaient alors des dénominations fleuries comme «oignon» ou «gousset». Elles vivaient leurs dernières années. Dans le maelström d’un monde cosmopolite naissant, les garde-temps allaient migrer de la poche au poignet. S’il n’a pas inventé la montre-bracelet (certains attribuent cette invention à Louis Cartier, en 1904, d’autres remontent à Vienne, en 1875. Vacheron Constantin en aurait produit une dizaine entre 1885 et 1890), «Hans Wilsdorf a été le premier à comprendre l’importance de ce basculement», commente Dominique Fléchon directeur du Centre d’études et de recherche au sein de la Fondation de la haute horlogerie, à Genève.

Hans Wilsdorf a eu la prescience que, pour être achetées, les montres bracelet devaient être absolument fiables. Ce qui peut passer pour une évidence représentait, à cette époque, un défi technique inédit. La miniaturisation et le port à l’air libre représentaient de nouvelles ­contraintes. «Il fallait atteindre le niveau de mesure de la montre gousset, voire faire mieux, c’est-à-dire concevoir une montre-bracelet automatique étanche», résume Dominique ­Fléchon. Se passer du remontage manuel, c’est éviter d’exposer le mouvement aux impuretés. Précision et étanchéité sont des notions interdépendantes dans l’esprit de Hans Wilsdorf dès le départ.

A l’époque, les montres «respiraient». La différence de pression entre l’intérieur et l’extérieur amenait poussières, humidité et transpiration dans la mécanique. La fiabilité en pâtissait. Pire: porter sa montre au poignet l’exposait aux chocs.

C’est dans la capitale de ce nouveau monde, Londres, que Hans Wilsdorf crée Wilsdorf & Davies, en 1905. Cartier et Baume s’y sont aussi installés. «Etre au cœur de l’Empire britannique, c’est être sur le lieu de vente de ses produits, dit Dominique Fléchon. C’est là que l’on voit le grand instinct commercial de Hans Wilsdorf.»

Les voyages en paquebot, en automobile et en avion sont en plein essor; les gentlemen anglais pratiquent le tennis tout de blanc vêtus. Ce sont ces gens aisés que Hans Wilsdorf veut atteindre avec des articles inédits. Il planche sur un modèle de montre de voyage et sur la fameuse montre-bracelet. La maison Aegler, de Bienne, lui en fournira les mouvements.

Les deux inventions majeures qui permettront à Rolex de faire référence viendront en 1926 (Oyster) et 1931 (Perpetual). L’entreprise, suite à une augmentation des droits de douane en Angleterre, doit déménager à Genève. Rolex commercialise désormais la première montre-bracelet automatique à rotor libre (les mouvements du poignet remontent le mécanisme) au boîtier véritablement étanche grâce à un système de vissage du fond du boîtier, de la lunette et de la couronne de remontoir. L’innovation garantit une protection totale du mouvement. «Il ne restait plus rien à inventer, relève Jean-Claude Sabrier, spécialiste de l’histoire des montres automatiques. L’essentiel avait été trouvé.»

Encore faut-il que le public le sache. Entrepreneur habile, Hans Wilsdorf s’est aussi révélé être «un génie du marketing», souffle le journaliste spécialisé Lucien Trueb. Le 27 octobre 1927, Mercedes Gleitze traverse la Manche à la nage. Hans Wilsdorf lui colle une Rolex Oyster au poignet. Un mois plus tard, une immense publicité en première page du Daily Mail raconte l’exploit. Elle a coûté 30?000?francs à Hans Wilsdorf. Le grand public était prêt à découvrir la montre automatique totalement étanche.
De la Bavière à Genève

Bio express
1881: naissance en Bavière.
1900: travaille chez un exportateur d’horlogerie, à La Chaux-de-Fonds.
1903: s’installe à Londres.
1905: création de la société Wilsdorf & Davies.
1907: fondation de Rolex, à La Chaux-de-Fonds.
1908: le nom «Rolex» (mot court, prononçable dans toutes les langues) est déposé.
1920: création de la société Montres Rolex SA, à Genève.
1944: mort de sa femme, qui le laisse sans enfants.
1945: création de la Fondation Hans Wilsdorf.
Juillet 1960: meurt à Genève. Il est enterré au Cimetière Saint-Georges. (DvH)

Le temps a déjà quitté les cadrans de montre
Les écrans qui peuplent les villes remplacent les garde-temps traditionnels. Les horlogers ne sont pas inquiets.

En janvier 2008, le site Web Gizmodo, fréquenté par les fans de technologie, a lancé le sondage suivant: «Lisez-vous plutôt l’heure sur une montre ou sur un téléphone portable?» Les internautes ont été 21?000 à répondre et 63% d’entre eux privilégiaient leur mobile.

L’heure s’est affranchie des cadrans pour s’afficher sur les écrans qui animent la vie contemporaine: iPod, téléphone mobile, ordinateur, informations dans les centres commerciaux, etc. Aux Etats-Unis, les deux tiers des adolescents ne portent d’ailleurs jamais de montre, affirme une étude. Là-bas, les ventes de toquantes bon marché sont en recul depuis 2004 (-12%).

L’objet est-il menacé de disparition? Officiellement, cette évolution n’inquiète pas les horlogers. «Je déclare sans cesse que cette tendance est bénéfique pour le haut de gamme et qu’une montre ne s’achète plus pour lire l’heure. Nous vendons bien davantage le message, le statut, le symbole, l’émotion ou le rêve», rétorquait Jean-Claude Biver, patron de Hublot, dans Le Temps.

Michel Nieto, responsable de Baume & Mercier, affiche la même confiance: «Les marques bas de gamme ont peut-être moins de jeunes clients, mais chez nous, c’est exactement le contraire. Depuis deux ans, la tranche démographique des 18-25?ans connaît une croissance spectaculaire inédite. Il s’agit surtout de jeunes gens fortunés en Inde, Chine ou Russie qui veulent un objet de luxe rassurant, vrai, auquel ils peuvent se raccrocher et s’identifier.»

Ce n’est donc pas sa fonction historique, indiquer l’heure, qui sauvera la montre mais son attrait social. Et l’enjeu est grand. Les exportations horlogères suisses ont atteint 16 milliards de francs en 2007. (dvh)

David Haeberli
Tribune de Genève

 

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