CRISE: Le luxe pour tous, un paradoxe insoluble
 
Le 04-03-2009

La crise remet en question le concept de luxe de masse.

Pauvre petite fille riche! Voilà donc ce que l'on a envie de dire du luxe aujourd'hui. Après des décennies flamboyantes, ce secteur prend l'eau de toutes parts : baisses des ventes, dépôts de bilan de marques centenaires, crise d'identité...

Le luxe schizophrène

Tiraillé entre le besoin de rester rare et unique et l'envie de vendre à la masse, entre les stratégies des créateurs des maisons de couture et celles des capitaines d'industrie qui ont pris les rênes de certains empires, le luxe ne sait plus où donner de la tête.

Une schizophrénie qui pousse la journaliste américaine Dana Thomas, qui a publié une enquête de 400 pages sur le sujet, Luxe & Co, à prédire la mort du secteur si personne ne réagit. "Banalisées, les notions de rareté, de qualité et de plaisir sont dilapidées", s'exclame-t-elle.

Aujourd'hui, 40% des Japonais possèdent un produit siglé Louis Vuitton. Les marques ont tout fait pour se développer dans les pays émergents. D'après Dana Thomas, au moins un tiers du marché du luxe, qui pèse plus de 130 Mds€, se fera en Russie, en Chine ou en Inde au cours des dix ans à venir.

Certes, les nouveaux riches, comme les oligarques russes, dépensent sans compter (les parfumeurs s'inquiètent d'ailleurs de risques sanitaires : leurs femmes se feraient des bains de leurs fragrances préférées, une idée très dangereuse pour la santé), mais ce sont surtout les classes moyennes montantes qui suscitent la convoitise. Deux cents millions de Chinois auraient les moyens de s'offrir du Hermès.

Le luxe se serait donc corrompu pour séduire à grande échelle cette nouvelle clientèle.

Problème : aujourd'hui, elle ne consomme plus. "L'un des facteurs qui influence le plus la consommation des produits de luxe en Chine est le pouvoir d'achat des jeunes générations, qui montrent beaucoup d'enthousiasme pour les grandes marques. [...] De nombreux consommateurs de produits de luxe sont de jeunes employés de bureau, dont le pouvoir d'achat est extrêmement instable", expliquait déjà à l'automne dernier Liu Zheng, analyste de l'industrie des produits de luxe.

Au Japon, où un quart des ventes mondiales se font, selon le magazine suisse Market, le comportement des acheteurs est identique. Et les ventes s'érodent (-39% en douze ans). "La morosité économique et l'appréciation de l'euro face au yen [...] ont fait fléchir la demande", analyse le magazine.

Signe du marasme actuel, Vuitton vient d'annuler la construction d'une grande boutique, dont l'ouverture était prévue pour 2010, dans un quartier chic de Tokyo.

Résultat, au Japon, "Louis Vuitton et Gucci ont lancé des collections moins prestigieuses, faisant appel à des matières moins coûteuses pour continuer à vendre", raconte Market. Une technique de plus en plus à la mode avec la crise. Bulgari réduit déjà les finitions sur le dos de ses bracelets de montre ou utilise des emballages et des flacons moins chers pour ses parfums.

Jez Frampton, directeur exécutif chez Interbrand, alerte : "Quel est le risque à long terme ? Il y a seulement vingt ans, de telles mesures seraient restées dans l'ombre. Mais aujourd'hui, dans une époque du 'tout information', ces mouvements sont visibles, ce qui peut nuire à l'image de marque sur le plus long terme." On est loin du retour au rare et unique que prône Dana Thomas.

La fin des traditions

D'après JP Morgan, les ventes de produits de luxe devraient perdre 4% en 2009, après quatre années de croissance à 10%. Elles pourraient ensuite chuter de 3% supplémentaires en 2010.

Des marques, parmi les plus célèbres ou les plus anciennes, font déjà les frais de ce ralentissement. Fin 2008, un analyste d'une banque financière déclarait à l'AFP qu'"en une année, des groupes pourtant très solides comme le suisse Richemont (Cartier, Montblanc...) ou le français LVMH (Vuitton, Gucci) ont perdu 40% de leur valeur. Nous n'avions jamais vu cela." Quant à Chanel, qui n'est pas coté, ses difficultés se manifestent d'une autre manière : la marque procède à des suppressions de postes.

Au Royaume-Uni, ce ne sont pas de dégringolades boursières ou de réductions d'effectifs dont il est question, mais de dépôts de bilan. Il ne fait pas bon être fournisseur officiel de la reine, en ce moment. Cela semble même être synonyme de faillite. La maison de couture Hardy Amies, qui habillait Elizabeth II depuis 1952, a ainsi déposé le bilan. Tout comme les fournisseurs officiels de porcelaine Royal Worcester & Spode et Waterford Wedgwood. Ce dernier a vu sa cotation suspendue à la Bourse de Dublin après s'être retrouvé, peu après le 1er janvier, avec un cours de 0,001 euro.

Nos marques françaises perdent leur âme, mais survivent pour l'instant, tandis que les fleurons purement british doivent rendre les armes. Restez prudemment à l'écart du secteur.

moneyweek.fr
Ingrid Labuzan

 

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