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Cet d’horloger d’art récupère des trésors oubliés pour en faire des montres d’exception.
Kari Voutilainen aime faire les poubelles. Non pas que les fins de mois soient difficiles, bien au contraire: sa notoriété d’horloger d’art dépasse largement les frontières de la Suisse et de l’Europe, faisant déborder son carnet de commandes. S’il aime écumer les déchets, c’est pour une quête quasi mystique : récupérer des trésors oubliés pour en faire des montres d’exception. Une démarche que seul un libre-penseur détaché de tout carcan pouvait se permettre. Histoire d’un ancien mouvement Longines sauvé de la destruction et ressuscité sous les traits d’une Voutilainen, le Chronomètre 27.
Au milieu du siècle passé, les concours d’observatoire battent leur plein. Omega, Ulysse Nardin, Patek Philippe ou Longines s’affrontent à Neuchâtel ou à Genève, faisant de ces joutes chronométriques de vrais enjeux commerciaux. A l’image de l’industrie automobile aujourd’hui, dans les domaines de la F1 ou du rallye, les moteurs utilisés n’ont alors rien en commun avec les versions grand public. Equipés de trains de rouages épais, de grands balanciers, souvent mal finies question habillage, ces bien nommées “ montres d’observatoire ” sont invendables. Conçues comme de véritables bêtes de courses, elles n’ont qu’un seul but : être les plus précises possible. Détachés par les marques, les meilleurs régleurs parviennent à des précisions d’un dixième de seconde par semaine, des performances oubliées dans le monde horloger actuel.
Mais l’arrivée du quartz au milieu des années 1960 aura tôt fait de condamner ces concours et leur folklore. Résignées, prêtes à enterrer une époque, plusieurs marques se débarrassent purement et simplement de leurs montres d’observatoire. Parmi ces pur-sang toutefois, les calibres 360 de Longines vont connaître une destinée particulière. Une partie d’entre eux du moins.
“ A Saint-Imier, c’était comme la fin du monde, explique Kari Voutilainen. Longines avait tout jeté à la benne. Ce sont des villageois et des ouvriers qui sont allés récupérer ces mouvements, à la sauvette. ” Des calibres qui, avec le temps, vont s’éparpiller à travers l’Europe. Quarante ans plus tard, l’horloger de Môtiers (canton de Neuchâtel) est parvenu à en retrouver 15 sur les 95 construits à l’époque, rachetés essentiellement à des collectionneurs, jusqu’en Allemagne.
De ces calibres 360, robustes et fiables mais inutilisables en l’état, Kari Voutilainen va faire des joyaux. Car au-delà de la reconstruction complète des mouvements et de leur décoration par l’horloger d’art, les grands connaisseurs savent que ces pièces recèlent un coeur hors du commun. L’échappement est en effet composé d’un balancier Guillaume associé à un spiral à double courbe, Breguet à l’extérieur et Grossmann à l’intérieur. Une particularité rare qui réduisait à néant les déséquilibres du composant, et qui apparaît aujourd’hui comme unique dans l’horlogerie moderne.
Ironie de l’histoire, comme une ancienne voiture de course à qui l’on ferait reprendre du service, le Chronomètre 27 de Voutilainen participera en mai prochain au concours international de chronométrie 2009 organisé par le Musée d’horlogerie du locle. La maison Longines, quant à elle, ne s’y est pas inscrite.
Révolution
Fabrice Eschmann
Photos Matthieu Spohn |