CHOPARD: Pour Karl-Friedrich Scheufele, «il n’y a plus aucune visibilité dans l’horlogerie!»
 
Le 09-03-2009

Pour s’adapter à la crise, Chopard a réduit ses effectifs. Des mesures qui s’avèrent pour l’heure suffisantes. Baselworld sera un test de taille.

La maison Chopard a su se hisser en dix ans parmi les rares manufactures horlogères à mériter cette appellation, largement galvaudée dans la profession. Indépendante, la société regroupe près de 1800 collaborateurs dans le monde, dont plus de 700 à Meyrin (GE). L’entreprises familiale compte deux vice-présidents. Caroline Gruosi-Scheufele dirige le pôle joaillier, tandis que son frère Karl-Friedrich est en charge de l’horlogerie, qui produit quelque 75.000 pièces par an. Il décrypte pour «L’Agefi» la tourmente que traverse actuellement la branche.

La situation reste très préoccupante pour l’ensemble de l’horlogerie, avec une chute des exportations ces derniers mois. Votre analyse?
Karl-Friedrich Scheufele: Après plusieurs années exceptionnelles, les turbulences importantes au niveau de l’économie mondiale ont commencé à avoir un impact certain sur notre industrie. La crise déploie ses funestes ailes sur l’ensemble des activités économiques. Nous devons nous adapter.

C’est-à-dire?
Plusieurs actions préventives de réduction des coûts ont été réalisées dès le mois d’octobre 2008. Mais au vu de la situation actuelle et du brouillard profond qui sévit pour l’année 2009, le groupe Chopard a décidé de prendre des mesures supplémentaires.

Mais encore?
Après la création de 400 nouveaux postes de travail, dont 220 dans le monde ces trois dernières années, un redimensionnement de nos effectifs est en effet devenu nécessaire. Treize emplois ont été supprimés sur le site de Fleurier (NE) et 23 à notre siège de Meyrin (GE). Des plans d’accompagnement sont prévus pour les personnes concernées. Ces mesures exceptionnelles permettront à l’entreprise de maintenir le cap et de rester un acteur majeur dans les années à venir.

Sera-ce suffisant pour juguler les effets du marasme?
A ce stade, oui. Mais personne n’est en mesure d’anticiper les futurs développements de la récession mondiale. Tout comme personne n’a d’ailleurs pu prévoir le cataclysme qui s’est abattu en à peine 90 jours sur l’ensemble de l’économie planétaire. Au sein de Chopard, nous avons arrêté un budget 2009 inférieur de quelques points de pourcentage par rapport à l’an passé. Mais cette vision est peut-être trop positive.

Quel bilan tirez-vous pour 2008 pour votre société?
L’euphorie s’est poursuivie durant les neuf premier mois de l’année. Et comme déjà évoqué, les trois derniers mois de l’exercice ont subit un effondrement. Bien sûr, nous pourrions dire que l’année, dans sa globalité, s’est soldée par un record. Ce qui est vrai puisque notre chiffre d’affaires a crû de quelques pourcents (selon nos estimations, les ventes ont pour la première fois dépassé la barre des 850 millions de francs, ndlr), mais dans ce contexte, tout est devenu très relatif. Notre priorité du moment : conserver le know how acquis ces dernières années au sein de l’entreprise.

Le salon horloger de Bâle, Baselworld, à la fin du mois sera-t-il celui de tous les dangers?
L’ensemble de la profession est en effet dans l’expectative du rendez-vous bâlois. A l’heure actuelle, nous atteignons environ 80% du nombre de rendezvous avec nos détaillants par rapport à 2008. De nombreux acteurs ont confirmés leur présence, avec un reflux toutefois des clients américains. Globalement, nous tablons sur des prises de commandes inférieures à l’an passé. Le bilan que nous ferons à l’issue de la manifestation nous permettra d’avoir une vision plus claire pour les prochains mois.

C’est justement le principal problème de l’industrie en ce moment…
Absolument. C’est même du jamais vu. Il n’y plus aucune visibilité, à peine un ou deux mois, et encore. Au-delà, le radar est complètement brouillé. Auparavant, nous avions de la prévisibilité pour une période de six mois, une année, voire même plus. Il y a à peine une année, nos carnets de commandes portaient encore sur environ deux ans de production. Mêmes les détaillants se projetaient dans un horizon de plusieurs années. C’est dire le changement de paradigme que toute l’industrie est en train de vivre.

Combien de temps la crise peut-elle durer?
Impossible à dire. Ca ne serait pas sérieux de faire des projections. Toujours est-il que toutes nos commandes n’ont pas été entièrement honorées. Nous avons donc encore du travail sur la planche. Cela dit, tout comme à la bourse, le pessimisme semble exacerbé.

Certes, la crise conjoncturelle est indéniable mais l’horlogerie est également victime de ses propres excès…
La profession a en effet connu un développement historique ces cinq dernières années, certainement excessif, avec une demande exponentielle. Nous étions davantage dans une logique de contrainte, tentant de répondre, parfois dans l’urgence, par tous les moyens possibles aux commandes. Désormais, ce retour à une certaine normalité permettra d’asseoir nos positions, de nous donner plus de temps, de consolider notre base industrielle. En ce sens, c’est salutaire.

Le marasme condamne-t-il votre projet d’extension à la manufacture de Fleurier?
En aucun cas. Nous maintenons nos investissements de 15 millions de francs sur quatre ans. D’ailleurs, les premières machines sont arrivées la semaine dernière et elles commencent à tourner. L’agrandissement se fera probablement à un rythme moins soutenu que prévu initialement.

Que pèse l’horlogerie sur l’ensemble des ventes de Chopard?
Historiquement, l’équilibre était parfait entre l’horlogerie et la joaillerie, soit 50%-50%. Aujourd’hui, l’horlogerie a légèrement pris le dessus, soit 60%. C’est le résultat logique de l’emballement de l’industrie de ces dernières années.

Pensez-vous pouvoir profiter de la crise pour gagner des parts de marché?
C’est possible. Notre situation économique et financière s’avère nettement plus saine que d’autres acteurs de la branche. De plus, nous maitrisons en propre, grâce à nos boutiques, une bonne partie de notre réseau de distribution. Il est donc plus aisé de procéder à des adaptations ou des réajustements, si nécessaire.

L'Agefi
Bastien Buss

 

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