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L’horloger indépendant tient salon dans ses propres murs. Il a dévoilé une actualité débordante, dont un nouveau garde-temps et un stylo futuriste.
Le tapis rouge sentait encore le plâtre. Alors que le SIHH n’avait pas encore fait son inauguration, et que les premiers exposants s’apprêtaient à déclencher en rafale leurs conférences de presse, François-Paul Journe inaugurait son nouveau hall de présentation au cœur de Genève. Un parterre bigarré a assisté à cette petite messe, histoire de célébrer l’outsider de génie. Le SIHH l’avait snobé il y a quelques années. Il préfère depuis jouer cavalier seul, fidèle à sa vision du métier, nonobstant les appels du salon prestigieusement orchestré par le groupe Richemont. Entre deux coups de larsen, François-Paul Journe a présenté en toute humilité sa dernière création. Le Centigraphe, bardé de trois cadrans décomposant les secondes jusqu’à la limite du sensible. «Cela reste un amusement, a précisé le créateur. Après la Sonnerie souveraine, tout est facile.» Un modèle dont trois exemplaires vendus aux enchères serviront à alimenter les caisses de la fondation ICM, dédiée à la recherche sur les maladies de Parkinson et d’Alzheimer. Et c’est avec la même réserve que l’horloger a annoncé l’inauguration d’une nouvelle boutique en nom propre ouverte hier sans fanfare à la place Longemalle, à Genève.
La réception s’est tenue dans son bâtiment, propriété de la marque depuis 2003 et aménagée comme le reste de l’entreprise, avec patience. Mot clé pour saisir la véritable vision du luxe de l’horloger, apprécié par ses collaborateurs non comme un patron démiurge, mais un véritable artisan éclairé. Le développement de la manufacture se fait ainsi, sans hâte et dans le respect total des règles du métier. En toute indépendance financière et avec un calme contrastant de manière aigue avec les habituels fastes criards du secteur. «Nous sommes petits et atypiques», résume le maître de maison, qui se décrit comme un horloger, pas un homme de marketing.
En 2006, François-Paul Journe, financièrement à 100% indépendant et sans dette, a vendu 850 montres, situées entre 27.000 et 700.000 francs. L’objectif étant de renforcer la production à 1200 pièces, d’ici trois ans, dès que les locataires encore accrochés à leur bail auront cédé la place à de nouveaux ateliers. Un point anecdotique qui démontre s’il le fallait la philoosophie de la maison. En acquérant son siège actuel, l’horloger a dû composer avec les locataires en place et récupère depuis palier après palier un espace dont il est propriétaire.
La maîtrise de la vente est essentielle
L’essentiel des efforts a jusqu’alors été dépensé à la maîtrise de la chaîne de production et à la création de l’outil, ce qui s’est fait dans les temps selon le plan initial. L’attention se porte maintenant à la maîtrise de la vente. «C’est là que tout se fait. Et je veux le faire à ma manière.» La marque est représentée dans une cinquantaine de points de ventes multimarques. «C’est peu et c’est trop.» Entendez que la présence territoriale est une bonne chose, mais que pour des produits d’une telle exclusivité, «être présent dans les grands centres économiques serait suffisant.» N’en déplaise aux détaillants qui se languissent devant les garde-temps toujours plus convoités. Et l’homme de préciser: «Les choses se font ou ne se font pas. Je n’ai jamais démarché.»
Le premier marché de l’horloger se trouve outre-Atlantique, où la culture horlogère est née en même temps que la marque. «Je suis arrivé sur le marché en 1999, les collectionneurs commençaient alors à émerger aux Etats-Unis.» En Asie, le développement est plus modeste, avec notamment une boutique à Hong Kong et une autre au Japon. Ce dernier est d’ailleurs réputé pour être le marché le plus difficile, et malgré trois années de présence, pour les montres Journe, 2007 est la véritable «première année» où elle commence à s’imposer. Un autre point de vente en nom propre devrait bientôt être ouvert à Singapour et Pékin est en ligne de mire. Quant à la toute fraîche boutique genevoise, elle remet la marque en selle dans sa ville d’élection après la séparation opérée avec la chaîne de détaillants des Ambassadeurs.
La sobre discussion avec l’horloger est soudain interrompue. Un jeune homme s’approche, le directeur des Cadranniers de Genève, filiale détenue à part égale avec Harry Winston, se présente un dossier sous le bras. Une histoire de leasing. Deux nouvelles machines pour lesquelles la banque réclame son lot de paraphes. François-Paul Journe accueille la tâche tout sourire et sort de son revers un stylo étrange dont le sommet s’ouvre comme des quartiers d’orange: la dernière création de l’horloger, beaucoup plus porté au ludique qu’il n’y paraît. Dans tous les bons écritoires dès cet automne.
Agefi |